Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 17-06-2024, n° 470620

CE 9/10 ch.-r., 17-06-2024, n° 470620

A67365IC

Référence

CE 9/10 ch.-r., 17-06-2024, n° 470620. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/108738843-ce-910-chr-17062024-n-470620
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Abstract

► Sont communicables les documents pouvant être établis par simple extraction des bases de données dont l'administration dispose, sauf charge de travail déraisonnable pour l'administration.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 470620⚖️


Séance du 29 mai 2024

Lecture du 17 juin 2024

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La fédération syndicale " Confédération paysanne " a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler pour excès de pouvoir la décision de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) refusant implicitement la communication des documents et données relatifs à la convention initiale d'appui technique conclue avec le ministère de l'agriculture, aux fiches de commande, aux rapports d'avancement des travaux et au rapport final d'exécution, aux versions de travail des tableaux présentant la situation de chaque commune eu égard à son classement en zone soumise à des contraintes naturelles (ZSCN) ou dans les différentes zones soumises à des contraintes spécifiques (ZSCS), aux extractions de la base de données DoneSol ayant été utilisées pour le traitement des critères pédologiques, aux extractions de la base de données Météo-France ayant été utilisées pour le traitement des critères " climatiques " et " excès d'eau dans les sols ", aux extractions de la base de données de l'Institut géographique national (IGN) au pas de 25 mètres ayant été utilisées pour le traitement du critère " relief ", aux tableaux présentant les résultats de traitement des critères, par polygone et par unité typologique du sol (UTS) sur chacune des communes de l'hexagone, aux tableaux présentant le calcul du pourcentage de sols contraint par polygone, avec prise en compte des investissements, pour chacune des communes de l'hexagone, aux tableaux des résultats par polygone et par UTS sur chacune des communes de l'hexagone en vue de la détermination du classement en ZSCN ou ZSCS " méthode des critères combinés ", aux documents ayant été adressés au ministère de l'agriculture ou reçus de sa part dans le cadre de l'appui technique fourni par l'INRAE, ainsi que d'enjoindre à l'INRAE de les lui communiquer dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte.

Par un jugement n° 2003790 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif d'Orléans⚖️ a, en premier lieu, jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elle concerne les extractions de la base de données de l'IGN au pas de 25 mètres ayant été utilisées pour le traitement du critère " relief ", en deuxième lieu, annulé la décision implicite de refus de communication de l'INRAE en tant qu'elle porte sur la communication des extractions de la base de données DoneSol ayant été utilisées pour le traitement des critères pédologiques, des tableaux présentant les résultats de traitement des critères, par polygone et par UTS sur chacune des communes de l'hexagone, des tableaux présentant le calcul du pourcentage de sols contraint par polygone, avec prise en compte des investissements, pour chacune des communes de l'hexagone ainsi que des tableaux des résultats par polygone et par UTS sur chacune des communes de l'hexagone en vue de la détermination du classement en ZSCN ou ZSCS " méthode des critères combinés ", en troisième lieu, enjoint à l'INRAE de communiquer ces documents dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement, en quatrième lieu, annulé la décision implicite de Météo France en tant qu'elle refuse la communication des extractions de la base de données ayant été utilisées pour le traitement des " critères climatiques " et " excès d'eau dans les sols ", en cinquième lieu, enjoint à Météo-France de procéder à leur communication dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la Confédération paysanne.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 janvier 2023 et 18 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'INRAE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de la fédération syndicale " Confédération paysanne " concernant la production des documents qu'il détient ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter cette partie de la demande de la fédération syndicale " Confédération paysanne " ;

3°) de mettre à la charge de la fédération syndicale " Confédération paysanne " la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 12 février 2020, la fédération syndicale " Confédération paysanne " a demandé au centre de recherche Val de Loire de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), la communication de plusieurs documents relatifs à la révision de la définition des zones défavorisées délimitées par l'arrêté du 27 mars 2019 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Par un courrier du 18 mai 2020, l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), qui a succédé à l'INRA, a partiellement fait droit à cette demande en communiquant les conventions qu'il a conclues avec le ministre chargé de l'agriculture dans le cadre de la révision des zones défavorisées simples, ainsi que les fiches de commande, les rapports d'avancement des travaux et le rapport final d'exécution. L'INRAE se pourvoit en cassation contre le jugement du 17 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé partiellement sa décision de refus de communication de certains des documents demandés et lui a enjoint d'y procéder.

Sur le pourvoi :

2. En premier lieu, s'agissant du refus de communication de différents tableaux de résultats, aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ".

3. Ces dispositions n'ont pas pour effet d'imposer à l'administration d'élaborer un document dont elle ne disposerait pas pour faire droit à une demande de communication. En revanche, constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions les documents qui peuvent être établis par simple extraction des bases de données dont l'administration dispose, si cela ne fait pas peser sur elle une charge de travail déraisonnable, notamment en l'obligeant soit à modifier l'organisation d'une base de données, soit à développer des outils de recherche, ou à modifier ceux actuellement à sa disposition, pour l'extraction des informations demandées.

4. Il résulte de ce qui précède qu'en se fondant sur la seule circonstance que l'INRAE n'invoquait aucune impossibilité technique, n'alléguait aucune charge de travail excessive et ne démontrait pas ne pas être en mesure de procéder, par extraction de la base de données dont il disposait, à l'établissement des tableaux demandés par la fédération requérante présentant les résultats de traitement des critères par polygone et par unité typologique du sol (UTS) sur chaque commune, le calcul du pourcentage de sols contraint par polygone, avec prise en compte des investissements, pour chaque commune et les résultats par polygone et par UTS sur chaque commune en vue de la détermination du classement en ZSCN ou ZSCS, sans rechercher si la satisfaction de ces demandes nécessitait d'élaborer un document nouveau, impliquant notamment de modifier soit l'organisation de cette base de données, soit les outils de recherche dont l'institut disposait, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit.

5. En second lieu, s'agissant de l'extraction de la base de données DoneSol, aux termes du sixième alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Lorsqu'une administration mentionnée à l'article L. 300-2 est saisie d'une demande de communication portant sur un document administratif qu'elle ne détient pas mais qui est détenu par une autre administration mentionnée au même article, elle la transmet à cette dernière et en avise l'intéressé ".

6. Pour annuler la décision de refus de communication attaquée en tant qu'elle portait sur la demande d'extraction de la base de données DoneSol utilisée pour le traitement des critères pédologiques, le tribunal administratif, après avoir relevé que l'INRAE faisait valoir que le caractère trop général et imprécis de la demande de la Confédération paysanne ne lui permettait pas de déterminer à quelles personnes, disposant des données demandées, il devait, le cas échéant, transmettre la demande de communication, s'est fondé sur la seule circonstance que l'institut n'avait produit à l'instance aucun document permettant de déterminer la nature et l'ampleur des données qui ne pourraient être communiquées sans l'accord préalable d'un tiers. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait au besoin de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour établir sa conviction sur le point en litige, le tribunal administratif d'Orléans a méconnu son office.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que l'INRAE est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il annule sa décision implicite de refus de communication de tableaux de présentation des résultats ainsi que de documents résultant d'extractions de la base DoneSol et qu'il lui enjoint de les communiquer.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la même mesure, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛.

Sur le règlement du litige :

En ce qui concerne le refus de communication des tableaux de présentation de résultats :

9. Il ressort des pièces du dossier que la satisfaction de la demande de communication des tableaux de présentation des résultats mentionnés au point 4 imposerait à l'administration d'élaborer des documents nouveaux, au sens de l'article L. 311-1 et du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, par la mise en œuvre d'un processus informatique spécifique suivi d'un retraitement des informations impliquant la mise en œuvre d'outils informatiques nouveaux.

10. Les documents demandés ne pouvant ainsi être établis par simple extraction des bases de données dont dispose l'INRAE sans induire une charge de travail déraisonnable, c'est à bon droit que l'INRAE a rejeté cette demande de communication.

En ce qui concerne le refus de communication des extractions de la base de données DoneSol de l'INRAE utilisées pour le traitement des critères pédologiques :

11. Il ressort des pièces du dossier que la satisfaction de la demande de communication de documents résultant d'extractions de la base DoneSol, à supposer obtenu l'accord des tiers qui ont transmis les données à l'INRAE pour une finalité particulière, imposerait également à l'administration d'élaborer des documents nouveaux, au sens de l'article L. 311-1 et du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, la modification de l'organisation de la base de données étant alors nécessaire à la restauration, pour les soixante-dix référentiels régionaux, des données dans la version utilisée entre 2015 et 2018. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'INRAE a rejeté cette demande de communication.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération syndicale " Confédération paysanne " n'est pas fondée à demander l'annulation de décision implicite de l'INRAE en tant qu'elle refuse la communication de tableaux de présentation des résultats, ainsi que de documents résultant d'extractions de la base DoneSol, y compris ses conclusions à fin d'injonction.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la fédération syndicale " Confédération paysanne " la somme de 3 000 euros à verser à l'INRAE au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du 17 novembre 2022 du tribunal administratif d'Orléans sont annulés.

Article 2 : La demande présentée au tribunal administratif d'Orléans par la fédération syndicale " Confédération paysanne ", en ce qu'elle tend à la communication par l'INRAE des extractions de la base de données DoneSol ayant été utilisées pour le traitement des critères pédologiques, des tableaux présentant les résultats de traitement des critères, par polygone et par UTS sur chacune des communes de l'hexagone, des tableaux présentant le calcul du pourcentage de sols contraint par polygone, avec prise en compte des investissements, pour chacune des communes de l'hexagone ainsi que du ou des tableaux des résultats par polygone et par UTS sur chacune des communes de l'hexagone en vue de la détermination du classement en ZSCN ou ZSCS " méthode des critères combinés " est rejetée.

Article 3 : La fédération syndicale " Confédération paysanne " versera à l'INRAE la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement et à la fédération syndicale " Confédération paysanne ".

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à Météo-France et à l'Institut national de l'information géographique et forestière.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat, Mme Alexandra Bratos, auditrice et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 17 juin 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana

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