SOC.
PRUD'HOMMESFB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 6 mars 2002
Cassation
M. CHAGNY, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président
Pourvoi n° N 00-41.388
Arrêt n° 888 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Emmanuel Z, demeurant Vernouillet,
en cassation d'un arrêt rendu le 24 janvier 2000 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section D), au profit
1°/ de la société La Suisse assurance IARD (France), dont le siège est Paris,
2°/ de la société La Suisse assurance vie (France), dont le siège est Paris,
défenderesses à la cassation ;
Vu la communication faite du Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 janvier 2002, où étaient présents M. Chagny, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, M. Lanquetin, conseiller, Mme Trassoudaine-Verger, conseiller référendaire, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Chagny, conseiller, les observations de la SCP Monod et Colin, avocat de M. Z, de Me Choucroy, avocat des sociétés La Suisse assurance IARD (France) et La Suisse assurance vie (France), et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z a été engagé à compter du 25 janvier 1993 en qualité de fondé de pouvoir par le groupe La Bâloise assurance, dont il est devenu secrétaire général puis directeur général adjoint ; que les actions du groupe La Bâloise assurance et son portefeuille de contrats d'assurance ayant été cédés à la société La Suisse assurance vie (France), le contrat de travail de M. Z s'est poursuivi avec cette dernière société et la société La Suisse assurance vie IARD par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ; qu'il a été licencié le 6 octobre 1998 pour faute grave, l'employeur lui faisant grief d'avoir, en contradiction avec les directives qui avaient été données le 13 octobre 1997, d'une part, accordé à certains commerciaux des compléments de rémunération au titre de l'exercice 1997 et, d'autre part, signé des avenants aux contrats de travail de deux de ses plus proches collaborateurs, entraînant leur promotion et l'augmentation substantielle du montant de leur rémunération, une modification de la structure de leur salaire et de leur objectif ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale pour avoir paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur le second moyen
Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, alors, selon le moyen, que le licenciement n'est régulier que s'il a été notifié par l'employeur lui-même et que la lettre de licenciement doit émaner clairement de l'employeur et non d'un tiers, quels que soient ses liens avec l'employeur ; que M. Z s'est vu notifier le 10 juillet 1998 le transfert de son contrat de travail aux sociétés La Suisse assurance vie (France) et La Suisse assurance IARD, lesquelles constituaient deux personnes morales distinctes et différentes de la société "La Suisse" assurance (France) ; que, même si les signataires de la lettre de licenciement ou l'un d'entre eux au moins avaient la qualité de représentant légal des deux sociétés La Suisse assurance vie (France) et La Suisse assurance IARD, employeurs conjoints de M. Z, il ne ressortait pas clairement de cette lettre de licenciement, à en-tête de la société "La Suisse" assurance (France), que ses auteurs agissaient effectivement en cette double qualité et qu'était ainsi notifiée au salarié la rupture de ses relations contractuelles tant avec la société La Suisse assurance vie (France) qu'avec la société La Suisse assurance IARD ; qu'en décidant néanmoins que la procédure était régulière, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-1 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé que la lettre de licenciement envoyée au salarié avait été signée par les mandataires de l'une des sociétés du groupe qui l'employait et qui a fait ressortir qu'elle ne comportait aucune restriction, englobant tous les emplois qu'il occupait dans les entreprises du groupe, a pu décider que la rupture du contrat de travail était régulière ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen
Vu l'article L. 122-44 du Code du travail, ensemble l'article L. 122-12, alinéa 2, du même Code ;
Attendu que, pour débouter le salarié de son action, l'arrêt retient que le nouvel employeur qui n'avait pas la maîtrise des opérations effectuées par les salariés de l'ancien employeur avant la cession des actifs, n'a pu avoir connaissance des faits litigieux qu'au moment du transfert des services et des dossiers du personnel dont il est devenu l'employeur, le 21 septembre 1998 ;
Attendu, cependant, qu'aux termes de l'article L. 122-44 du Code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ; que lorsque l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail est applicable, le même contrat de travail se poursuit, à compter de la date du transfert, sous une direction différente ; qu'il s'ensuit que le nouvel employeur peut invoquer à l'appui du licenciement du salarié des manquements commis par le salarié alors qu'il se trouvait sous l'autorité de l'ancien employeur, dès lors qu'aucun des deux employeurs successifs n'a laissé écouler un délai de deux mois après avoir eu connaissance des dits manquements ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui, ayant constaté que les agissements reprochés au salarié étaient datés des 3 novembre et 29 décembre 1997, que le contrat de travail du salarié s'était poursuivi avec le nouvel employeur à compter du 1er juillet 1998 et que la procédure de licenciement avait été engagée le 25 septembre 1998, s'est abstenue de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'ancien employeur n'avait pas eu connaissance de ces mêmes faits, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 janvier 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne les sociétés La Suisse assurance IARD (France) et La Suisse assurance vie (France) aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille deux.