Jurisprudence : Cass. soc., 10-10-2000, n° 98-41.389, Rejet.



SOC. PRUD'HOMMES
COUR DE CASSATION
Audience publique du 10 octobre 2000
M. GÉLINEAU-LARRIVET, président
Pourvoi n° N 98-41.389
Rejet
Arrêt n° 3704 FS P sur le second moyen
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par la société L'Oréal, société anonyme, dont le siège est Paris,
en cassation d'un arrêt rendu le 2 février 1998 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section A), au profit de M. Ouassini Y, demeurant Sevran,
défendeur à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 20 juin 2000, où étaient présents M. Gélineau-Larrivet, président, M. Coeuret, conseiller rapporteur, MM. Carmet, Boubli, Ransac, Chagny, Bouret, Lanquetin, conseillers, Mmes Trassoudaine-Verger, Lebée, M. Richard de La Tour, Mme Andrich, M. Funck-Brentano, Mme Ruiz-Nicolétis, conseillers référendaires, Mme Barrairon, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Coeuret, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société L'Oréal, les conclusions de Mme Barrairon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. Y, engagé le 1er juillet 1968, par la société L'Oréal en qualité d'ouvrier hautement qualifié, est passé du coefficient 175 au coefficient 190 à compter du 1er janvier 1994, son salaire de base ne subissant aucune modification, seule la prime d'ancienneté étant augmentée ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour être reclassé au coefficient 205, conformément à un accord collectif du 14 décembre 1978, et obtenir différents rappels de salaires et de prime ;
Sur le premier moyen
Attendu que la société L'Oréal fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 1998) d'avoir donné à M. Y le coefficient 205 et de lui avoir accordé des rappels de prime d'ancienneté, alors, selon le moyen, que, d'une part, la classification d'un salarié doit être déterminée au regard des fonctions réellement exercées par celui qui réclame un coefficient ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher et de préciser les fonctions réelles de M. Y en lui accordant un coefficient de façon purement théorique, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1, L. 132-4 et L. 132-27 du Code du travail alors, d'autre part, que rien n'interdit à un employeur de proposer, par décision unilatérale individuelle plus favorable, un coefficient supérieur à celui qui doit être attribué au salarié au regard de l'accord collectif applicable dans l'entreprise, que le seul fait que le coefficient 190 proposé ne correspondait, dans l'accord d'entreprise, à aucun poste défini dans la filière où s'exerçait l'activité de M. Y, ne saurait rendre illicite la décision de l'employeur et ne saurait autoriser le salarié à revendiquer un coefficient encore plus élevé qui ne lui était pas proposé ; que la cour d'appel a ainsi violé les textes précités, outre l'article 1134 du Code civil, alors, enfin, et en toute hypothèse, que la convention collective des industries chimiques applicable dans l'entreprise, qui définit les coefficients, et l'accord collectif d'entreprise, qui explicite quels postes de la société L'Oréal correspondent, dans chaque branche de ses activités, à ces coefficients, ne sont pas contradictoires mais complémentaires ; qu'en offrant au salarié, jusque là affecté d'un coefficient 175, un coefficient prévu par la convention collective, même si l'accord d'entreprise ne prévoyait pas expressément que, dans la filière où travaillait le salarié, il existait des fonctions correspondant à ce coefficient, l'employeur s'est borné à appliquer ces textes, qu'il n'a ni ignorés, ni violés ; que l'arrêt attaqué les a ainsi méconnus, outre les textes déjà cités ;

Mais attendu qu'en tant qu'il consacre une réduction du nombre des coefficients applicables, l'accord d'entreprise du 14 décembre 1978, dans sa version en vigueur à la date où le salarié a vu son classement modifié, doit prévaloir, comme étant plus favorable au salarié, sur la convention collective des industries chimiques ; que, dès lors, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'accord précité ne comportant plus le coefficient 190, le salarié qui faisait l'objet d'une mesure de promotion professionnelle devait être, à cette occasion, classé directement au coefficient 205 et bénéficier en conséquence de rappels de salaires et de primes ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen
Attendu que la société L'Oréal fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir donné à M. Y le coefficient 205 et de lui avoir alloué des rappels de prime d'ancienneté pour 1994 et partie de 1995 avec congés payés y afférents, alors, selon le moyen, d'une part, que le fait de proposer à un salarié une augmentation du montant de sa prime d'ancienneté relève du seul pouvoir de direction de l'employeur ; que ce dernier tire cette prérogative de sa qualité d'employeur et du lien de subordination inhérent à la relation de travail, tel qu'il se déduit des articles 1779 et 1780 du Code civil ; que, sous réserve de ne pas commettre de discrimination prohibée, l'employeur reste libre d'accorder à un salarié, par décision unilatérale plus favorable, une telle gratification, sans devoir en fournir les raisons ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ce principe fondamental du droit du travail, outre les articles 1779 et 1780 du Code civil, alors, d'autre part, que le seul fait que certains salariés de l'entreprise aient bénéficié du coefficient 205 ne saurait conférer à M. Y un droit identique dont la méconnaissance par l'employeur s'analyserait automatiquement en une mesure discriminatoire à son encontre, que le principe général d'égalité des salaires consacré par le droit du travail ne vaut que dans l'hypothèse d'un travail égal ; que si l'augmentation proposée à M. Y implique une reconnaissance de ses qualités professionnelles, pour autant cette reconnaissance par l'employeur ne saurait signifier que la situation de l'intéressé corresponde à celle des autres salariés qui ont bénéficié d'un passage au coefficient 205 ; qu'en s'abstenant d'effectuer cette recherche, la cour d'appel a violé les articles L. 133-5-4 et L. 136-2-8 du Code du travail ; alors, enfin, et en toute hypothèse, que c'est à la partie qui invoque l'existence d'une discrimination qu'incombe la charge de la preuve ; qu'en se bornant à constater que l'employeur n'est pas en mesure d'expliquer les raisons de la gratification accordée à M. Y eu égard aux compétences des salariés bénéficiant d'un passage direct au coefficient 205, la cour d'appel a procédé à un renversement de la charge de la preuve et a ainsi violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié qui a soumis au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de rémunération, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Attendu, dès lors, qu'en décidant que l'employeur ne fournissait aucun élément permettant d'expliquer les raisons pour lesquelles, eu égard à ses compétences et aux compétences des salariés ayant bénéficié du passage direct au coefficient supérieur, la gratification servie au salarié n'était que partielle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision - que le moyen n'est pas fondé

PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société L'Oréal aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille.

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