Le 20 juin 2022, la SAS Transdev Reims a interjeté appel du jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [P] [K] du surplus de ses demandes.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juillet 2023.
Exposé des prétentions et moyens des parties :
Par conclusions reçues au greffe le 19 juin 2023, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, la SAS Transdev Reims demande à la cour de déclarer son appel recevable et bien-fondé, d'infirmer le jugement en ce qu'il a ouvert des droits à congés au salarié et en ce qu'il l'a condamnée au titre de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens. Elle demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes portant sur les années 2017, 2018 ainsi que sur la période allant du 1er janvier au 15 septembre 2019, et de débouter le salarié à ce titre. Elle sollicite confirmation du jugement en ce qu'il a débouté le salarié du surplus de ses demandes et enfin, elle sollicite la condamnation du salarié à lui payer la somme de 500,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, sur le fondement de l'
article L 1471-1 du code du travail🏛, elle prétend que la prescription est acquise pour les demandes de l'année 2017, 2018 et d'une partie de l'année 2020, en faisant observer que le salarié était informé de ses droits à congés sur les bulletins de paie qui lui étaient régulièrement délivrés.
Elle soutient pour le surplus que le code du travail, en son article L.3141-5, à l'instar du droit de l'union européenne, conditionne le droit à congés au travail effectif de sorte que le salarié ne cumule pas des droits à congés pendant des arrêts de travail pour maladie non-professionnelle, puisque cette période n'est pas assimilée à une période de travail effectif par le texte précité.
Elle soutient que l'article 7 § 1 de la directive 2003/88/CE n'est pas d'application directe, en affirmant qu'elle n'est pas un établissement public mais une société de droit privé. En tout état de cause, elle soutient que cette directive ainsi que l'article 2 de la charte sociale européenne ne remettent pas en cause l'application du texte national, dans la mesure où ils se contentent de fixer la durée minimale des congés et renvoie aux législations nationales pour les conditions d'ouverture des droits aux congés. Elle souligne que l'article 2 de la charte sociale européenne invoqué, pas plus que la directive précitée, ne sont d'application directe. Elle fait observer que l'article 31§ 2 de la charte des droits fondamentaux ne fixe pas de durée minimale pour la période de congés annuels.
Elle ajoute qu'à supposer qu'une incompatibilité existe entre le texte national et les textes européens, il n'est pas possible d'écarter le droit national dans un litige entre particuliers, et qu'il appartient au législateur, et non au juge, de mettre le droit en conformité avec le droit communautaire.
Elle prétend, comme le jugement dont elle demande confirmation, que la prise effective de congés payés ne peut être suppléée par le versement d'une indemnité, sauf cas de rupture du contrat de travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Finalement, elle critique le jugement qui, en l'absence d'écrit de l'employeur, a repris les arguments du salarié, sans tenir compte des éléments exposés oralement par le conseil de l'employeur, alors que la procédure est orale.
Par conclusions reçues au greffe le 28 mars 2023, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, M. [P] [K] demande à la cour de déclarer l'appelante recevable mais non fondée en son appel et de le déclarer recevable et bien-fondé en son appel incident. Il demande infirmation du jugement en ses mesures utiles et confirmation du jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à créditer à son profit des jours de congés payés pour les années 2017, 2018, et 2019. Il demande à la cour d'ordonner à l'employeur de créditer sur son bulletin de paye 60 jours de congés et de le condamner à lui payer la somme de 5 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que c'est à bon droit que le juge de première instance a retenu l'existence d'un droit garanti à congés payés de quatre semaines en l'état de l'article 7 §1er de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, de l'article 2 de la charte sociale européenne et de l'article 31 § 2 de la charte des droits fondamentaux, d'effet direct s'agissant d'une société chargée d'un service d'intérêt public et disposant de pouvoirs exorbitants, et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui ne distingue pas selon que l'arrêt de travail est motivé par un motif professionnel ou non professionnel ; qu'en application de ces principes fondamentaux, il est en droit d'obtenir les congés acquis pendant ses périodes d'arrêt maladie.
Sur la prescription, il prétend se fonder sur les dispositions de l'
article L3245-1 du code du travail🏛 en rappelant que la prescription en matière d'indemnisation des congés payés commence à courir à partir de la rupture du contrat de travail pour les trois années précédant ladite rupture et que de plus, la Cour de cassation a posé un principe d'imprescriptibilité au regard précisément de la nature des congés payés.
Motifs de la décision :
Au préalable il convient de noter que la recevabilité de l'appel principal et de l'appel incident n'est pas contestée.
De même, il n'est pas inutile de faire observer que le salarié ne réitère pas en cause d'appel sa demande d'indemnité de congés payés, mais limite sa demande à l'ouverture de droits à congés. Dans la mesure où l'employeur a demandé confirmation du jugement déboutant le salarié du surplus de ses demandes comprenant les demandes d'indemnité de congés payés, la cour n'ait saisie aucun appel principal ni incident sur cette question qui ne lui est donc pas dévolue.
1 - sur la recevabilité des demandes d'indemnité de congés payés
Les parties s'opposent sur le délai et le fondement de la prescription.
Or, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.
En l'espèce, il ne peut être question d'indemnité compensatrice de congés payés puisque le contrat n'est pas rompu. Il s'agit donc de reconnaître un droit à congé pendant l'exécution du contrat de travail de sorte que le délai à appliquer est effectivement le délai biennal de l'article L 1471-1 du code du travail, comme le soutient l'employeur.
Ce délai court à compter du jour où celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Or, la Cour de justice de l'Union européenne juge que la perte du droit au congé annuel payé à la fin d'une période de référence ou d'une période de report ne peut intervenir qu'à la condition que le travailleur concerné ait effectivement eu la possibilité d'exercer ce droit en temps utile. Elle ajoute qu'il ne saurait être admis, sous prétexte de garantir la sécurité juridique, que l'employeur puisse invoquer sa propre défaillance, à savoir avoir omis de mettre le travailleur en mesure d'exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer bénéfice dans le cadre du recours de ce travailleur au titre de ce même droit, en excipant de la prescription de ce dernier (CJUE 22 septembre 2022, LB c/ TO, C- 120/21, points 45 et 48).
Dès lors, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit.
Il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement.
Or, en l'espèce, la SA Transdev ne peut en justifier puisqu'elle dénie au salarié son droit à congé.
Par conséquent, il ne saurait y avoir de prescription dans le cas d'espèce.
2 - sur le fond
Aux termes de l'article 7 §1er de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, les salariés bénéficient annuellement d'un droit garanti à congés payés de quatre semaines.
La cour de cassation a déjà jugé que la société TRANSDEV, en application de l'
article 7, II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982🏛, recodifié aux
articles L. 1221-1, L. 1221-4, L. 1221-5 et L. 1221-6 du code des transports🏛🏛🏛🏛 par l'
ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010🏛, était délégataire de l'exploitation d'un réseau de transport en commun intérieur, et qu'un tel délégataire assurait un service public dont l'étendue, les modalités et les tarifs étaient fixés par l'autorité publique organisatrice, que les agents du réseau de transport public étaient habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions afférentes et qu'il s'agissait finalement d'un organisme chargé en vertu d'un acte de l'autorité publique d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et disposant à cet effet de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, qui pouvait donc se voir opposer les dispositions d'une directive susceptible d'avoir des effets directs (
Cass. Soc. 22 juin 2016 n°15-20111⚖️).
Certes, aux termes de l'
article L. 3141-3 du code du travail🏛, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur, de sorte que le salarié en arrêt de travail pour motif non professionnel, n'étant pas en situation de travail effectif, se retrouve dans une situation qui ne lui ouvre pas droit à congés payés.
Cependant, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
De plus, le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE 6 novembre 2018, Ab Ac c/ Bauer, C-569/16 et Ad c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).
En effet, l'article 2 de la charte sociale européenne garantit au salarié annuellement quatre semaines de congés payés. En outre, selon l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
Certes, la charte des droits fondamentaux de l'union ne fixe pas une période minimale de congés payés comme le fait remarquer la société appelante. Cependant, l'article 53 de cette même charte, précise qu'aucune de ses dispositions ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés fondamentales reconnues, dans leur champ d'application respective, par le droit de l'union, étant observé qu'en son article 6§1, le traité de l'union européenne reconnaît à cette charte la même valeur que les traités.
Aussi, la Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
Par arrêt du 6 novembre 2018 (Ab Ac c/ Bauer, C-569/16 et Ad c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
La cour de cassation a jugé que s'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union.
Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
Il en serait de même, sur le fondement de l'article 7 § 1 de la directive précitée, si le litige opposait le bénéficiaire du droit à congé à un employeur qui aurait le statut d'autorité publique.
Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des
articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail🏛, dans la limite de quatre semaines.
Le salarié demande 20 jours de congés payés pour l'année 2017, de même pour l'année 2018 et pour l'année 2019.
Cependant, en application des dispositions de l'
article R 3141-4 du code du travail🏛, le début de la période prise en compte pour le calcul des droits congés est le 1er juin.
Par conséquent, pour couvrir les années litigieuses, il faut se référer aux périodes de référence suivantes :
- du 1er juin 2016 au 31 mai 2017,
- du 1er juin 2017 au 31 mai 2018,
- du 1er juin 2018 au 31 mai 2019.
Or, il ne ressort pas des bulletins de paie que l'employeur ait accordé au salarié les congés minimum auxquels il avait droit en application des textes européens précités. Seuls neuf jours de congés ont été pris en novembre 2016 au titre de l'année N, soit au titre de la première période de référence.
Aussi il sera fait droit à la demande dans la limite de 11 jours pour 2017, de 20 jours pour 2018, et de 20 jours pour 2019.
Le jugement sera donc partiellement infirmé comme il sera dit au dispositif.
Succombant au sens de l'
article 696 du code de procédure civile🏛, l'appelante de supportera les frais irrépétibles et les dépens de l'instance par confirmation du jugement.
En appel, elle supportera les dépens, sera déboutée de sa demande d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, sera condamnée à payer au salarié la somme de 1 500,00 euros.