Jurisprudence : CJCE, 29-02-1996, aff. C-193/94, Procédures pénales c/ Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos

CJCE, 29-02-1996, aff. C-193/94, Procédures pénales c/ Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos

A0073AWM

Référence

CJCE, 29-02-1996, aff. C-193/94, Procédures pénales c/ Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1006486-cjce-29021996-aff-c19394-procedures-penales-c-sofia-skanavi-et-konstantin-chryssanthakopoulos
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Cour de justice des Communautés européennes

29 février 1996

Affaire n°C-193/94

Procédures pénales
c/
Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos



61994J0193

Arrêt de la Cour
du 29 février 1996.

Procédures pénales contre Sofia Skanavi et Konstantin Chryssanthakopoulos.

Demande de décision préjudicielle: Amtsgericht Berlin-Tiergarten - Allemagne.

Libre circulation des personnes - Permis de conduire - Obligation d'échange - Sanctions.

Affaire C-193/94.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-0929

1. Libre circulation des personnes ° Liberté d'établissement ° Permis de conduire ° Obligation d'échange du permis délivré par l'État membre d'origine contre un permis de l'État membre d'accueil ° Admissibilité jusqu'à la mise en application de la directive 91/439

(Traité CE, art. 52; directive du Conseil 91/439)

2. Libre circulation des personnes ° Liberté d'établissement ° Permis de conduire ° Inobservation de l'obligation d'échange du permis délivré par l'État membre d'origine contre un permis de l'État membre d'accueil ° Assimilation à la conduite sans permis ° Sanctions pénales ° Sanctions disproportionnées ° Inadmissibilité

(Traité CE, art. 52; directive du Conseil 80/1263)

1. En l'état actuel du droit communautaire et avant la mise en application de la directive 91/439, relative au permis de conduire, l'article 52 du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre exige que le titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre échange ce permis contre un permis de l'État membre d'accueil dans un délai d'un an à compter de l'établissement de sa résidence habituelle sur le territoire de cet État pour continuer à y bénéficier du droit de conduire un véhicule à moteur.

En effet, compte tenu de la complexité de la matière et des divergences qui subsistaient entre les législations des États membres, le Conseil, auquel il incombait de réaliser l'harmonisation des conditions de délivrance des permis de conduire et de prévoir leur reconnaissance mutuelle entre les États membres, afin de supprimer les entraves à la libre circulation des personnes résultant de l'obligation de se munir d'un permis de conduire délivré par l'État membre d'accueil, était habilité à procéder de manière progressive à cette harmonisation et a donc pu valablement permettre aux États membres d'imposer, à titre transitoire, ladite obligation d'échange.

2. L'article 52 du traité s'oppose à ce que la conduite d'un véhicule à moteur par une personne qui aurait pu obtenir un permis de l'État d'accueil en échange du permis délivré par un autre État membre, mais qui n'a pas procédé à cet échange dans le délai imposé, soit assimilée à la conduite sans permis et soit de ce fait pénalement sanctionnée d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende, compte tenu des conséquences qui résultent de l'existence d'antécédents judiciaires pour l'exercice d'une profession indépendante ou salariée, notamment pour l'accès à certaines activités ou à certaines fonctions, ce qui constituerait une restriction ultérieure et durable de la liberté de circulation des personnes.

En effet, les États membres qui, en l'absence d'une réglementation communautaire en la matière, restent compétents pour sanctionner la violation de l'obligation d'échange du permis de conduire qu'ils peuvent imposer en vertu de la directive 80/1263 relative à l'instauration d'un permis de conduire communautaire, ne sauraient toutefois prévoir une sanction disproportionnée qui, vu l'incidence que le droit de conduire un véhicule à moteur comporte pour l'exercice effectif des droits qui se rattachent à la libre circulation des personnes, créerait une entrave à cette libre circulation. Or, l'assimilation à la conduite sans permis, entraînant l'application de sanctions pénales, même de nature pécuniaire, est disproportionnée à un double titre. Elle l'est, d'une part, parce que la délivrance d'un permis de conduire par un État membre en échange de celui délivré par un autre État membre ne constitue pas le fondement du droit de conduire un véhicule sur le territoire de l'État d'accueil, lequel est directement conféré par le droit communautaire, mais l'attestation de l'existence d'un tel droit, et que l'obligation d'échange répond donc pour l'essentiel à des exigences inhérentes à la gestion administrative. Elle l'est, d'autre part, par les conséquences qu'elle entraîne pour le devenir professionnel de l'intéressé.

Dans l'affaire C-193/94,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'Amtsgericht Tiergarten, Berlin, et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Sofia Skanavi

Konstantin Chryssanthakopoulos,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 6, 8 A et 52 du traité,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. N. Kakouris et G. Hirsch, présidents de chambre, G. F. Mancini (rapporteur), F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, J. L. Murray, P. Jann, H. Ragnemalm et L. Sevón, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour le gouvernement allemand, par M. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement français, par M. Philippe Martinet, secrétaire des affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la même direction, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. Stephen Braviner, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assisté de M. Rhodri Thompson, barrister,

° pour la Commission des Communautés européennes, par M. Goetz zur Hausen, conseiller juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement allemand, représenté par M. Gereon Thiele, Assessor au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. Rhodri Thompson, et de la Commission, représentée par M. Goetz zur Hausen, à l'audience du 12 septembre 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 octobre 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 20 mai 1994, parvenue à la Cour le 4 juillet suivant, rectifiée par ordonnance du 26 juillet 1994, parvenue à la Cour le 8 août suivant, l'Amtsgericht Tiergarten, Berlin, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 6, 8 A et 52 du traité CE.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre de poursuites pénales engagées par le ministère public à l'encontre de Mme Skanavi et de son époux, M. Chryssanthakopoulos.

3 En vertu des dispositions combinées de l'article 4 de la Verordnung ueber internationalen Kraftfahrzeugverkehr (règlement allemand relatif à la circulation automobile internationale, ci-après l'"IntVO") et de l'article 21, paragraphe 1, point 1, du Strassenverkehrsgesetz (code de la route allemand, partie législative, ci-après le "StVG"), Mme Skanavi est prévenue du délit de conduite sans permis, qui est puni d'une peine pouvant aller jusqu'à un an d'emprisonnement ou d'une amende ou, lorsque l'infraction est commise par négligence, d'une peine pouvant aller jusqu'à six mois d'emprisonnement ou d'une amende. M. Chryssanthakopoulos encourt les mêmes peines, en vertu des dispositions combinées dudit article 4 de l'IntVO et de l'article 21, paragraphe 1, point 2, du StVG, pour avoir, en sa qualité de détenteur d'un véhicule automobile, ordonné ou autorisé qu'une personne conduise ce véhicule sans permis.

Les directives relatives au permis de conduire

4 Les permis de conduire ont fait l'objet d'une première harmonisation par l'adoption de la première directive 80/1263/CEE du Conseil, du 4 décembre 1980, relative à l'instauration d'un permis de conduire communautaire (JO L 375, p. 1), qui, comme l'indique son premier considérant, vise notamment à contribuer à l'amélioration de la sécurité routière et à faciliter la circulation des personnes qui s'établissent dans un État membre autre que celui dans lequel elles ont passé un examen de conduite ou qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.

5 A cette fin, la directive 80/1263 a rapproché les règles nationales en la matière, notamment pour ce qui concerne les systèmes nationaux de délivrance des permis de conduire, les catégories de véhicules et les conditions de validité desdits permis. Elle a également établi un modèle communautaire de permis et institué un système de reconnaissance mutuelle par les États membres des permis de conduire, ainsi que d'échange de ces derniers lorsque les titulaires transfèrent leur résidence ou leur lieu de travail d'un État membre à un autre.

6 En vertu de l'article 8, paragraphe 1, de ladite directive, si le titulaire d'un permis de conduire national ou d'un permis de modèle communautaire en cours de validité, délivré par un État membre, acquiert une résidence normale dans un autre État membre, son permis y reste valable au maximum pendant l'année qui suit l'acquisition de la résidence. Dans ce délai, sur demande du titulaire et contre remise de son permis, l'État membre d'accueil lui délivre un permis de conduire de modèle communautaire de la catégorie ou des catégories correspondantes sans lui imposer, notamment, la réussite d'un examen pratique et théorique ni la satisfaction de normes médicales. Néanmoins, cet État peut refuser l'échange du permis dans les cas où sa réglementation nationale, y compris les normes médicales, s'oppose à la délivrance du permis.

7 La directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire (JO L 237, p. 1), a, d'une part, réalisé une nouvelle étape dans l'harmonisation des dispositions nationales, notamment pour les conditions de délivrance des permis et les catégories de véhicules. D'autre part, elle a supprimé l'obligation d'échanger le permis de conduire en cas de changement d'État de résidence normale qui, selon son neuvième considérant, constitue un obstacle à la libre circulation des personnes et ne peut être admise compte tenu des progrès réalisés dans le cadre de l'intégration européenne.

8 En vertu de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439, les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus. L'article 8, paragraphe 1, de la même directive prévoit que le titulaire d'un permis de conduire en cours de validité délivré par un État membre qui a établi sa résidence normale dans un autre État membre peut demander l'échange de son permis contre un permis équivalent, sans toutefois y être tenu.

9 Conformément à son article 12, les États membres arrêtent, après consultation de la Commission, avant le 1er juillet 1994, les dispositions législatives, réglementaires ou administratives nécessaires pour la mise en application de la directive 91/439 à partir du 1er juillet 1996. L'article 13 dispose que la directive 80/1263 est abrogée à partir de la même date.

Les faits du litige au principal

10 Mme Skanavi et M. Chryssanthakopoulos, ressortissants grecs, se sont établis en Allemagne pour reprendre auprès de la Treuhand l'entreprise Guestrower Moebel GmbH (ci-après "Guestrower Moebel"). A l'époque des faits de l'affaire au principal, Guestrower était dirigée par M. Chryssanthakopoulos.

11 Mme Skanavi, qui résidait en Allemagne depuis le 15 octobre 1992, a fait l'objet d'un contrôle de police le 28 octobre 1993, alors qu'elle conduisait une voiture particulière appartenant à Guestrower Moebel avec un permis de conduire délivré par les autorités helléniques, sans être en possession d'un permis de conduire allemand.

12 Au vu de ces faits, le ministère public près le Landgericht Berlin a requis la condamnation de chaque prévenu à une amende s'élevant à quinze taux journaliers de 200 DM, soit à 3 000 DM.

13 Le juge de renvoi a estimé que les prévenus avaient commis par négligence les infractions qui leur sont imputées, Mme Skanavi ayant omis de procéder à l'échange de son permis dans le délai d'un an à compter de l'acquisition de sa résidence habituelle en Allemagne. Toutefois, il a considéré que la législation allemande en cause pourrait être contraire aux dispositions des articles 6, 8 A et 52 du traité.

14 A cet égard, le juge national a notamment relevé que l'autorisation de conduire un véhicule à moteur constitue, dans les circonstances actuelles, une condition essentielle pour l'exercice d'une profession et que, par conséquent, des exigences excessives sont susceptibles d'affecter la libre circulation. Dans ce contexte, l'obligation d'échange constituerait une discrimination à l'encontre des ressortissants d'autres États membres qui s'établissent en Allemagne. Alors même que l'échange ne serait soumis à aucune condition particulière, le titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre qui conduit un véhicule après l'expiration du délai imparti pour procéder à l'échange du permis serait assimilé à une personne qui n'aurait jamais été en possession d'un permis de conduire ou qui aurait fait l'objet d'un retrait de permis. Il encourrait de ce fait des peines d'emprisonnement ou d'amende et acquerrait ainsi des antécédents judiciaires, ce qui pourrait également avoir des conséquences pour l'exercice de sa profession, telles que le retrait d'une concession pour défaut de conscience professionnelle. A supposer même que l'obligation d'échange soit justifiée par des raisons objectives, telles que la nécessité de vérifier l'authenticité du permis ou d'effectuer les inscriptions supplémentaires éventuellement requises par la législation allemande, les sanctions prévues pour sa violation seraient disproportionnées par rapport à la gravité de l'infraction.

15 Compte tenu de ce qui précède, l'Amtsgericht Tiergarten, Berlin, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:

"Les articles 6, 8 A et 52 du traité instituant la Communauté européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale qui, sous peine d'un emprisonnement d'un an au maximum ou d'une amende pour délit de conduite sans permis, impose la transcription en permis de conduire allemand des permis de conduire nationaux délivrés dans d'autres États membres de la Communauté, dans un délai d'un an à compter de l'établissement de la résidence habituelle du titulaire du permis étranger sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne?"

Sur l'objet de la question préjudicielle

16 Il convient de constater, à titre liminaire, que la question posée par la juridiction de renvoi porte sur l'interprétation des dispositions du traité CE, alors que les faits de l'affaire au principal se sont déroulés le 28 octobre 1993, soit trois jours avant l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne. Or, si l'article 6 du traité CE reprend, en substance, le contenu de l'article 7 du traité CEE et si l'article 52 n'a pas été modifié par le traité sur l'Union européenne, l'article 8 A constitue une disposition nouvelle qui, selon ladite juridiction, pourrait s'opposer à l'application de la réglementation nationale en cause dans la procédure pénale dont elle est saisie.

17 Il apparaît ainsi que le juge national pourrait faire application du principe, connu de son droit national, de la rétroactivité de la loi pénale plus favorable et, par conséquent, écarter le droit national pour autant que celui-ci serait contraire aux dispositions du traité.

18 Il y a donc lieu de répondre à la question posée dans la mesure où il appartient au juge national d'apprécier tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 23 février 1995, Bordessa e.a., C-358/93 et C-416/93, Rec. p. I-361, point 10).

Sur l'obligation d'échanger le permis délivré par un autre État membre

19 Par sa question, la juridiction nationale cherche à savoir, en premier lieu, si, en l'état actuel du droit communautaire et avant la mise en application de la directive 91/439, les articles 6, 8 A et 52 du traité s'opposent à ce qu'un État membre exige que le titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre échange ce permis contre un permis de l'État membre d'accueil dans un délai d'un an à compter de l'établissement de sa résidence habituelle sur le territoire de cet État pour continuer à y bénéficier du droit de conduire un véhicule à moteur.

20 A cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l'article 6 du traité, qui consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, n'a vocation à s'appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règle spécifique de non-discrimination (voir, notamment, arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18/93, Rec. p. I-1783, point 19).

21 Or, le principe de non-discrimination a été mis en oeuvre et concrétisé, dans le domaine du droit d'établissement, par l'article 52 du traité.

22 Il convient de relever ensuite que l'article 8 A du traité, qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l'Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, trouve une expression spécifique dans l'article 52 du traité. Or, dans la mesure où l'espèce au principal relève de cette dernière disposition, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur l'interprétation de l'article 8 A.

23 En ce qui concerne l'article 52, la Cour a déjà constaté, dans l'arrêt du 28 novembre 1978, Choquet (16/78, Rec. p. 2293, point 4), que les réglementations relatives à la délivrance et à la reconnaissance mutuelle des permis de conduire par les États membres ont une influence à la fois directe et indirecte sur l'exercice des droits garantis par les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs, à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services. En effet, compte tenu de l'importance des moyens de transport individuels, la possession d'un permis de conduire dûment reconnu par l'État d'accueil peut avoir une incidence sur l'exercice effectif, par les personnes relevant du droit communautaire, d'un grand nombre d'activités professionnelles, salariées ou indépendantes et, plus généralement, de la liberté de circulation.

24 Dans le même arrêt, point 7, la Cour a cependant considéré que, compte tenu des exigences de la sécurité routière, la reconnaissance pure et simple des permis de conduire, en faveur des personnes qui choisissent de s'établir à demeure sur le territoire d'un État membre autre que l'État qui leur a délivré un permis de conduire, ne pouvait être envisagée sans un degré suffisant d'harmonisation des conditions de délivrance de ces permis.

25 Dans ces conditions, il incombait au Conseil de réaliser cette harmonisation et de prévoir que les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus, afin de supprimer les entraves à la libre circulation des personnes résultant de l'obligation de se munir d'un permis de conduire délivré par l'État membre d'accueil.

26 Or, il convient de constater, d'une part, que ces entraves ne seront totalement supprimées que par l'application, à compter du 1er juillet 1996, de la directive 91/439, qui prévoit en son article 1er, paragraphe 2, la reconnaissance mutuelle, sans aucune formalité, des permis de conduire délivrés par les États membres. D'autre part, l'obligation faite aux personnes qui s'établissent sur le territoire d'un État membre d'échanger le permis délivré par un autre État membre contre un permis de l'État d'accueil constitue en elle-même un obstacle à la libre circulation des personnes, ainsi que le Conseil l'a indiqué dans le préambule de ladite directive.

27 Toutefois, compte tenu de la complexité de la matière et des divergences qui subsistaient entre les législations des États membres, le Conseil était habilité à procéder de manière progressive à l'harmonisation nécessaire. Il a donc pu valablement permettre aux États membres d'imposer, à titre transitoire, ladite obligation d'échange.

28 Dès lors, il y a lieu de répondre à la première branche de la question posée que, en l'état actuel du droit communautaire et avant la mise en application de la directive 91/439, l'article 52 du traité ne s'oppose pas à ce qu'un État membre exige que le titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre échange ce permis contre un permis de l'État membre d'accueil dans un délai d'un an à compter de l'établissement de sa résidence habituelle sur le territoire de cet État pour continuer à y bénéficier du droit de conduire un véhicule à moteur.

Sur les sanctions prévues pour la violation de l'obligation d'échange

29 En second lieu, la juridiction nationale demande si les articles 6, 8 A et 52 du traité s'opposent à ce que la conduite d'un véhicule à moteur par une personne qui aurait pu obtenir un permis de l'État d'accueil en échange du permis délivré par un autre État membre, mais qui n'a pas procédé à cet échange dans le délai imposé, soit assimilée à la conduite sans permis et soit de ce fait pénalement sanctionnée d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende.

30 Pour les raisons exposées aux points 20 à 22, il n'y a lieu de se prononcer que sur l'interprétation de l'article 52.

31 A cet égard, il convient d'abord de constater que, en vertu des dispositions de la directive 80/1263, le permis de conduire délivré par un État membre est reconnu par les autres États membres dans lesquels le titulaire n'a pas sa résidence habituelle et, pendant un an, même par l'État dans lequel il établit sa résidence habituelle.

.32 Il y a lieu d'observer ensuite que, si ledit titulaire peut être obligé de procéder à l'échange du permis pour continuer à bénéficier du droit de conduire des véhicules à moteur sur le territoire de l'État membre d'accueil après l'expiration du délai d'un an, son permis d'origine reste valable dans l'État membre qui l'a délivré et continue d'être reconnu par les autres États membres.

33 Enfin, s'il est vrai que les États membres peuvent refuser l'échange du permis dans certaines circonstances expressément prévues par la directive, cette possibilité ne saurait affecter le droit dont bénéficient les titulaires du permis d'obtenir l'échange de ce dernier en dehors de ces circonstances exceptionnelles.

34 Il s'ensuit que la délivrance d'un permis de conduire par un État membre en échange de celui délivré par un autre État membre ne constitue pas le fondement du droit de conduire un véhicule à moteur sur le territoire de l'État d'accueil, qui est directement conféré par le droit communautaire, mais l'attestation de l'existence d'un tel droit.

35 Dans ces conditions, l'obligation d'échange que les États membres peuvent imposer en vertu de la directive répond, pour l'essentiel, à des exigences inhérentes à la gestion administrative.

36 En l'absence d'une réglementation communautaire en la matière, les États membres restent compétents pour sanctionner la violation d'une telle obligation. Il résulte toutefois d'une jurisprudence constante relative à l'inobservation des formalités requises pour la constatation du droit de séjour d'un individu protégé par le droit communautaire que les États membres ne sauraient prévoir une sanction disproportionnée qui créerait une entrave à la libre circulation des personnes et que tel est notamment le cas d'une peine d'emprisonnement (voir, notamment, arrêt du 12 décembre 1989, Messner, C-265/88, Rec. p. 4209, point 14). En raison de l'incidence que le droit de conduire un véhicule à moteur comporte pour l'exercice effectif des droits qui se rattachent à la libre circulation des personnes, les mêmes considérations s'imposent en ce qui concerne la violation de l'obligation d'échanger le permis de conduire.

37 Il convient d'ajouter que l'assimilation de la personne qui a omis de procéder à l'échange du permis à la personne qui conduit sans permis, entraînant l'application de sanctions pénales, même de nature pécuniaire, comme celles qui sont prévues par la législation nationale en cause, serait également disproportionnée à la gravité de cette infraction, compte tenu des conséquences qui en résultent.

38 En effet, ainsi que l'a relevé la juridiction de renvoi, une condamnation pénale pourrait avoir des conséquences pour l'exercice d'une profession indépendante ou salariée, notamment pour l'accès à certaines activités ou à certaines fonctions, ce qui constituerait une restriction ultérieure et durable de la liberté de circulation des personnes.

39 Dès lors, il y a lieu de répondre à la seconde branche de la question posée par la juridiction nationale que l'article 52 du traité s'oppose à ce que la conduite d'un véhicule à moteur par une personne qui aurait pu obtenir un permis de l'État d'accueil en échange du permis délivré par un autre État membre, mais qui n'a pas procédé à cet échange dans le délai imposé, soit assimilée à la conduite sans permis et soit de ce fait pénalement sanctionnée d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende, compte tenu des conséquences qui en résultent, telles que celles dans l'ordre juridique national en cause.

Sur les dépens

40 Les frais exposés par les gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur la question à elle soumise par l'Amtsgericht Tiergarten, Berlin, par ordonnance du 20 mai 1994, rectifiée par ordonnance du 26 juillet 1994, dit pour droit:

1) En l'état actuel du droit communautaire et avant la mise en application de la directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire, l'article 52 du traité CE ne s'oppose pas à ce qu'un État membre exige que le titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre échange ce permis contre un permis de l'État membre d'accueil dans un délai d'un an à compter de l'établissement de sa résidence habituelle sur le territoire de cet État pour continuer à y bénéficier du droit de conduire un véhicule à moteur.

2) L'article 52 du traité s'oppose à ce que la conduite d'un véhicule à moteur par une personne qui aurait pu obtenir un permis de l'État d'accueil en échange du permis délivré par un autre État membre, mais qui n'a pas procédé à cet échange dans le délai imposé, soit assimilée à la conduite sans permis et soit de ce fait pénalement sanctionnée d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende, compte tenu des conséquences qui en résultent, telles que celles dans l'ordre juridique national en cause.

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