Jurisprudence : CJCE, 03-07-2001, aff. C-380/99, Bertelsmann AG c/ Finanzamt Wiedenbrück

CJCE, 03-07-2001, aff. C-380/99, Bertelsmann AG c/ Finanzamt Wiedenbrück

A7747AT4

Référence

CJCE, 03-07-2001, aff. C-380/99, Bertelsmann AG c/ Finanzamt Wiedenbrück. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/996822-cjce-03072001-aff-c38099-bertelsmann-ag-c-finanzamt-wiedenbruck
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Cour de justice des Communautés européennes

3 juillet 2001

Affaire n°C-380/99

Bertelsmann AG
c/
Finanzamt Wiedenbrück



61999J0380

Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 3 juillet 2001.

Bertelsmann AG contre Finanzamt Wiedenbrück.

Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.

Sixième directive TVA - Article 11, A, paragraphe 1, sous a) - Base d'imposition - Frais d'expédition de primes en nature.

Affaire C-380/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page 0000

Dans l'affaire C-380/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Bundesfinanzhof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Bertelsmann AG

Finanzamt Wiedenbrück,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, V. Skouris (rapporteur), J.-P. Puissochet, R. Schintgen et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Bertelsmann AG, par Mes A. Raupach et D. Pohl, Rechtsanwälte,

- pour le gouvernement allemand, par M. W.-D. Plessing et Mme B. Muttelsee-Schön, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. A. Robertson, barrister,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et K. Gross, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Bertelsmann AG et de la Commission à l'audience du 25 janvier 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 mars 2001,

rend le présent

Arrêt

1 Par décision du 5 août 1999, parvenue à la Cour le 8 octobre suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Bertelsmann AG (ci-après "Bertelsmann") au Finanzamt Wiedenbrück (ci-après le "Finanzamt"), au sujet des avis de recouvrement fixant pour les exercices 1985 à 1990 la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") due par Bertelsmann sur des primes en nature que celle-ci avait livrées à des personnes déjà clientes en contrepartie de la présentation de nouveaux clients potentiels.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Aux termes de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive:

"La base d'imposition est constituée:

a) pour les livraisons de biens et les prestations de services [...], par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers [...]"

4 L'article 11, A, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive dispose:

"Sont à comprendre dans la base d'imposition:

[...]

b) les frais accessoires tels que les frais de commission, d'emballage, de transport et d'assurance demandés par le fournisseur à l'acheteur ou au preneur [...]"

La réglementation nationale

5 L'article 3 de l'Umsatzsteuergesetz de 1980 (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ci-après l'"UStG") définit les opérations soumises à la TVA. En particulier, l'article 3, paragraphe 12, de l'UStG vise les opérations d'échange et prévoit ce qui suit:

"Il y a échange lorsque la rémunération d'une livraison consiste en une livraison. Une opération est assimilable à un échange lorsque la rémunération d'une prestation de services consiste en une livraison ou en une prestation de services."

6 L'article 10, paragraphe 2, deuxième phrase, de l'UStG, qui concerne la base d'imposition des échanges et des opérations assimilables à un échange, dispose:

"En cas d'échange, d'opérations assimilables à un échange ou de dation en paiement, la valeur de chaque opération vaut contrepartie de l'autre opération."

Le litige au principal et la question préjudicielle

7 Bertelsmann est la société dominante d'un groupe de sociétés exerçant leurs activités dans le domaine des clubs de livres et des clubs de disques. Pendant les années 1985 à 1990, les sociétés faisant partie du groupe remettaient des primes en nature, telles que des livres, des disques et des bicyclettes, à des personnes déjà membres des clubs en contrepartie de la présentation de nouveaux membres. Ces sociétés achetaient les primes en nature auprès de fournisseurs extérieurs au groupe et prenaient en charge les frais relatifs à l'expédition de ces primes aux membres ayant servi d'intermédiaires.

8 Dans des avis de recouvrement relatifs aux exercices 1985 à 1990, le Finanzamt a considéré que les livraisons des primes en nature constituaient des opérations assimilables à un échange et il a intégré dans la base d'imposition de ces opérations à la TVA, outre le prix d'achat de ces primes, également les frais d'expédition pris en charge par lesdites sociétés.

9 Estimant que l'inclusion des frais d'expédition dans la base d'imposition des livraisons des primes en nature n'était pas conforme à la sixième directive, Bertelsmann a introduit, sans procédure administrative préalable, un recours direct ("Sprungklage") auprès du Finanzgericht Münster (Allemagne).

10 Son recours n'ayant pas abouti, Bertelsmann a formé un recours en "Revision" devant le Bundesfinanzhof. Celui-ci indique dans la décision de renvoi que, à son avis, la valeur des biens livrés ne saurait constituer le seul élément de référence afin de déterminer la base d'imposition pour les livraisons en cause au principal. En effet, il considère que la base d'imposition doit comprendre aussi les frais d'expédition, puisque l'expédition des primes en nature était comprise dans la livraison de ces primes, en tant que prestation accessoire à celle-ci. Toutefois, estimant que le litige dont il était saisi ne pouvait pas être résolu de manière claire sur le fondement des arrêts de la Cour du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, Rec. p. 6365), et du 2 juin 1994, Empire Stores (C-33/93, Rec. p. I-2329), le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"La base d'imposition pour la livraison d'une prime en nature, envoyée au bénéficiaire en contrepartie de la présentation d'un nouveau client, comprend-elle, en application de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, outre le prix d'achat de la prime en nature, également les frais d'expédition?"

Sur la question préjudicielle

11 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive doit être interprété en ce sens que la base d'imposition pour la livraison d'une prime en nature constituant la contrepartie de la présentation d'un nouveau client comprend, outre le prix d'achat de cette prime, également les frais d'expédition, lorsque ceux-ci sont pris en charge par celui qui livre la prime.

Arguments formulés dans les observations présentées devant la Cour

12 Bertelsmann soutient que, comme la contre-valeur constituant la base d'imposition pour la livraison des primes en nature est une valeur subjective difficilement déterminable, seul le prix d'achat de ces primes doit être pris en compte. Sa thèse serait confirmée par l'arrêt Empire Stores, précité, où la Cour n'aurait pas inclus les frais d'expédition dans la base d'imposition, bien que cet arrêt ait concerné une société de vente par correspondance. En outre, Bertelsmann fait valoir que les frais d'expédition ne peuvent pas être considérés comme des frais accessoires au sens de l'article 11, A, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive, puisque cette société les assume elle-même et n'en demande pas le paiement à ses acheteurs, à savoir les clients ayant servi d'intermédiaires.

13 Les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, soutiennent en revanche que la base d'imposition pour la livraison d'une prime en nature comprend, outre le prix d'achat de cette prime, également les frais d'expédition. Tout en admettant que, dans l'arrêt Empire Stores, précité, en raison de la question alors posée à la Cour, celle-ci ne s'est pas exprimée de manière explicite sur l'intégration des frais d'expédition dans la base d'imposition, ils font valoir qu'il ressort clairement de cet arrêt que les frais de semblables prestations accessoires à la livraison doivent être inclus dans la base d'imposition.

14 Les gouvernements allemand et du Royaume-Uni font valoir par ailleurs que la nécessité d'intégrer les frais d'expédition dans la base d'imposition découle également du principe selon lequel la TVA doit être liquidée de manière uniforme et neutre sur le plan concurrentiel. Le gouvernement du Royaume-Uni prétend notamment que, si l'on admettait que la prestation de service de l'assujetti consistant en l'expédition ne doit pas être prise en compte pour calculer le montant imposable, cela permettrait d'éviter une taxe en assurant des livraisons en nature qui réduiraient la valeur du montant imposable. Dès lors, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni soutiennent que la taxe grevant la prestation d'expédition devrait être mise en oeuvre sur le plan économique comme si le client ayant servi d'intermédiaire avait acquis la prime en nature et son expédition en contrepartie du paiement d'une somme d'argent couvrant également les frais d'expédition.

Appréciation de la Cour

15 Il ressort de l'arrêt du 27 mars 1990, Boots Company (C-126/88, Rec. p. I-1235, points 15 et 16), que, avant de pouvoir admettre l'applicabilité de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, il faut exclure l'applicabilité de son article 11, A, paragraphe 2, sous b).

16 Il est constant que les frais d'expédition en cause au principal constituent des frais de transport. En revanche, il est également constant que Bertelsmann ne demandait pas le paiement de ces frais d'expédition aux destinataires des primes en nature. Il en résulte que l'article 11, A, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce au principal. C'est donc au regard de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de cette directive qu'il convient de déterminer la base d'imposition pour la livraison desdites primes.

17 En vue d'interpréter à cet effet la notion de "contrepartie" visée à l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la contrepartie d'une livraison de biens peut consister en une prestation de services et en constituer la base d'imposition au sens de ladite disposition s'il existe un lien direct entre la livraison de biens et la prestation de services et si la valeur de cette dernière peut être exprimée en argent (voir, notamment, arrêts précités Naturally Yours Cosmetics, points 11, 12 et 16, et Empire Stores, point 12).

18 En l'espèce au principal, une livraison de biens a été effectuée en contrepartie d'une prestation de services consistant en la présentation de nouveaux clients. Il convient à cet égard de constater, d'une part, qu'il existe un lien direct entre la livraison des primes en nature et la présentation de nouveaux clients et, d'autre part, que, les services rendus à Bertelsmann étant rémunérés par la livraison de biens, leur valeur peut être exprimée en argent (voir arrêt Empire Stores, précité, points 16 et 17).

19 La question se pose alors de savoir si un lien direct existe non seulement entre la livraison des primes en nature et la présentation de nouveaux clients, mais également entre l'expédition de ces primes et ladite prestation de services.

20 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, au regard de la TVA, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire (voir, notamment, arrêts du 25 février 1999, CPP, C-349/96, Rec. p. I-973, point 30, et du 11 janvier 2001, Commission/France, C-76/99, Rec. p. I-249, point 27).

21 Il y a lieu de constater que, dans l'espèce au principal, eu égard aux circonstances de celle-ci, l'expédition des primes en nature constitue une prestation accessoire à la prestation principale que constitue la livraison de celles-ci. En effet, les clients ayant présenté de nouveaux clients ont droit à la livraison de la prime en nature ainsi qu'à son expédition. Dès lors, la livraison et l'expédition de la prime en nature forment ensemble une opération unique, rémunérée par une contrepartie qui consiste en la présentation de nouveaux clients.

22 Quant à la détermination de la contre-valeur servant de base d'imposition pour une telle opération, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il s'agit d'une valeur subjective, puisque la base d'imposition est la contrepartie réellement reçue et non une valeur estimée selon des critères objectifs (voir, notamment, arrêts précités Naturally Yours Cosmetics, point 16, et Empire Stores, point 18).

23 En outre, ainsi que la Cour l'a précisé au point 19 de l'arrêt Empire Stores, précité, cette valeur, pour être subjective, doit être celle que le bénéficiaire de la prestation de services attribue aux services qu'il entend se procurer et correspondre à la somme qu'il est disposé à dépenser à cette fin.

24 Il convient de constater que, par application du principe ainsi énoncé dans l'arrêt Empire Stores, précité, font partie de la valeur de la prestation de services toutes les dépenses supportées par le bénéficiaire pour l'obtention de la prestation en question, y compris les frais des prestations accessoires qui sont liées à la livraison des biens. Il s'ensuit que, en l'espèce au principal, dès lors que le bénéficiaire n'a pas seulement acquitté le prix d'achat des primes en nature, mais également les frais d'expédition pour la livraison de celles-ci, ces frais doivent être inclus dans la base d'imposition de ladite livraison.

25 Il y a dès lors lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que, en application de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, la base d'imposition pour la livraison d'une prime en nature constituant la contrepartie de la présentation d'un nouveau client comprend, outre le prix d'achat de cette prime, également les frais d'expédition, lorsque ceux-ci sont pris en charge par celui qui livre la prime.

Sur les dépens

26 Les frais exposés par les gouvernements allemand et du Royaume Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Bundesfinanzhof, par décision du 5 août 1999, dit pour droit:

En application de l'article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, la base d'imposition pour la livraison d'une prime en nature constituant la contrepartie de la présentation d'un nouveau client comprend, outre le prix d'achat de cette prime, également les frais d'expédition, lorsque ceux-ci sont pris en charge par celui qui livre la prime.

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