ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
Conseil d'Etat
Statuant au contentieux
N° 184896
8 / 9 SSR
Ministre de l'économie et des finances
Zanetti
M Maïa, Rapporteur
M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement
M Groux, Président
Lecture du 2 Juin 1999
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours enregistré le 14 janvier 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 13 novembre 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir annulé le jugement du 24 novembre 1994 du tribunal administratif de Marseille, a déchargé M Lucien Zanetti, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels, après une décision de dégrèvement partiel, il était resté assujetti, au titre des années 1980, 1981 et 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M Maia, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M Lucien Zanenetti,
- les conclusions de M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ;
Considérant qu'aux termes des dispositions, alors applicables, de l'article L 47 du livre des procédures fiscales : "Une vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. Cet avis doit préciser les années soumises à la vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix "
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M Zanetti, dont l'épouse était la légataire universelle de Mme Valle, a acquis de cette dernière, par acte notarié du 20 mars 1981, la propriété d'une maison d'habitation située à Marseille pour un prix de 350000 F, payable au comptant à concurrence de 50000 F et, pour le reste, sous la forme d'une rente viagère de 900 F par mois ; que, par lettre du 22 avril 1983, postérieure au décès de Mme Valle, survenu le 14 janvier 1982 et ayant pour objet indiqué le contrôle de la vente "Valle/Zanetti", un inspecteur du service de la fiscalité immobilière du centre des impôts de Marseille - 9ème arrondissement - a informé M Zanetti qu'il souhaitait le recevoir à son bureau le 5 mai 1983 et l'a prié, notamment, de bien vouloir, à cette occasion, lui fournir des justifications sur les modalités de paiement du prix de l'acquisition immobilière qu'il avait faite le 20 mars 1981, ainsi que sur l'origine des fonds lui ayant permis de régler au comptant à Mme Valle la somme convenue de 50000 F, et lui remettre les relevés de ses comptes bancaires pour la période du 20 mars au 31 décembre 1981 ; que, par un avis, daté du 24 janvier 1984 et reçu le 27 du même mois, M Zanetti a été informé par l'administration de ce qu'elle allait procéder, pour les années 1980, 1981 et 1982, à une vérification approfondie de sa situation fiscale d'ensemble ; que, le 12 juin 1984, le vérificateur a adressé à M Zanetti, en application de l'article L 16 du livre des procédures fiscales, une demande de justifications portant sur l'origine d'un grand nombre de sommes qui avaient été portées au crédit de ses comptes bancaires et d'épargne et de ceux de son épouse au cours des trois années 1980, 1981 et 1982, de l'excèdent des disponibilités employées sur les disponibilités dégagées apparaissant sur une balance de trésorerie en espèces établie pour les trois mêmes années, ainsi que des fonds à l'aide desquels M Zanetti avait acquis les 30 juin, 6 et 12 octobre 1981 des bons de caisse et des obligations pour un montant total de 400000 F ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Lyon a déduit des circonstances ci-dessus relatées, ainsi que du fait que, bien qu'elle ait concerné d'autres impôts que l'impôt sur le revenu et que les investigations auxquelles son auteur avait pu procéder, en matière de droits de mutation, n'aient eu aucune suite, la demande adressée le 22 avril 1983 à M Zanetti par un inspecteur du service de la fiscalité immobilière du centre des impôts de Marseille - 9ème arrondissement - avait eu pour effet de "faciliter" l'engagement de la procédure de demande de justifications, à laquelle elle s'intégrait désormais, que l'administration devait être regardée comme ayant utilisé les informations tirées de l'examen des relevés de comptes bancaires demandés le 22 avril 1983 à M Zanetti, pour les besoins de la vérification approfondie de la situation fiscale de ce dernier et commencé de procéder à cette vérification, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L 47 du livre des procédures fiscales, avant l'envoi de l'avis du 24 janvier 1984, de sorte que l'ensemble des redressements effectués à l'issue de ce contrôle se trouvaient entachés d'irrégularité ; qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que l'administration avait soutenu devant elle que le contrôle de la "vente Valle/Zanetti" avait eu pour seul objet de déterminer si cette transaction n'avait pas dissimulé une donation soustraite à l'application des droits de mutation à titre gratuit prévus par la loi, et que, de son côté, M Zanetti s'était borné à alléguer que l'administration avait procédé, avant l'envoi de l'avis de vérification du 24 janvier 1984) à un contrôle de ses relevés de comptes bancaires au sujet des acquisitions de valeurs mobilières qu'il avait effectuées aux dates, déjà mentionnées, des 30 juin, 6 et 12 octobre 1981, d'autre part, qu'en admettant même qu'il ait été effectué, un tel contrôle n'était pas de nature à caractériser l'exécution par l'administration d'une vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble, au sens de l'article L 47 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d'appel a donné aux faits qu'elle a constatés une qualification juridique erronée ; que, par suite, le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt de cette cour qui ont déchargé M Zanetti, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels, après des dégrèvements partiels prononcés les 28 mars 1991 et 15 janvier 1996, il était resté assujetti au titre des années 1980, 1981 et 1982, à raison de certaines des sommes mentionnées dans la demande de justifications du 12 juin 1984, regardées par l'administration, à défaut de réponse suffisante par M Zanetti à cette demande, comme des revenus d'origine indéterminée devant être taxés d'office en application de l'article L 69 du livre des procédures fiscales ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de régler l'affaire au fond ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, ainsi qu'il ressort de ce qui a été dit ci-dessus, que M Zanetti n'est pas fondé à soutenir que la vérification approfondie de sa situation fiscale d'ensemble aurait été irrégulière, en ce qu'elle aurait débuté avant l'envoi de l'avis du 24 janvier 1984 ;
Considérant que cet avis fixait au 7 février 1984 la date de la première rencontre entre M Zanetti et le vérificateur ; que M Zanetti, qui ne soutient pas que les opérations de vérification auraient commencé à une date antérieure à celle de cette première rencontre, n'est pas fondé à se prévaloir de ce que la notification de redressements qui lui a été adressée le 13 juillet 1984 indiquait, par erreur, que ces opérations avaient été effectuées à partir du 27 janvier 1984, pour soutenir qu'il n'aurait pas bénéficié des dispositions précitées de l'article L 47 du livre des procédures fiscales, en vertu desquelles une vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble ne peut débuter qu'à l'issue d'un délai suffisant pour permettre au contribuable de se faire assister d'un conseil de son choix ;
Considérant que les articles L 16 et L 69 du livre des procédures fiscales, disposent que, lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir, des revenus plus importants que ceux qui ont fait l'objet de sa déclaration, l'administration peut lui demander des justifications et le taxer d'office à l'impôt sur le revenu s'il s'est abstenu de répondre à cette demande ou s'il n'a pas produit de justifications suffisantes, dans un délai qui, en vertu de l'article L 11 du même livre, ne peut être inférieur à trente jours ; que l'administration a constaté que les comptes bancaires et d'épargne de M Zanetti et de son épouse avaient été crédités de sommes excédant le double de leurs revenus déclarés, au titre des années 1980, 1981 et 1982 et qu'il existait entre les disponibilités employées et les disponibilités dégagées, en espèces, par les intéressés, un écart inexpliqué de 125200 F en 1980, de 382492 F en 1981 et de 131688 F en 1982 ; que, si M Zanetti soutient avoir perçu en espèces divers revenus dont le vérificateur aurait omis de tenir compte et que ce dernier aurait procédé, dans la balance de trésorerie qu'il a établie, à une évaluation exagérée de son train de vie en espèces et de celui de sa famille, il n'apporte pas d'éléments suffisants au soutien de ces allégations ; qu'ainsi, chacun des deux éléments réunis par l'administration était suffisant pour l'autoriser à demander à M Zanetti, en application de l'article L 16 du livre des procédures fiscales, des justifications sur l'origine des sommes dont ces données laissaient présumer qu'il avait pu disposer ;
Considérant que M Zanetti soutient que, compte tenu clés délais d'acheminement postaux, l'administration devrait être regardée comme l'ayant privé des garanties prévues par l'article L 16 précité, en établissant la notification de ses bases d'imposition au titre des années 1980 à 1982, dès le 13 juillet 1984, soit avant l'expiration du délai de trente jours qui lui avait été imparti pour répondre à la demande de justification du 12 juin 1984 ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que cette notification n'a été reçue par M Zanetti qu'après l'expiration de ce délai ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant que, pour justifier de l'origine de diverses sommes portées au crédit de ses comptes bancaires et d'épargne ou de ceux de son épouse, M Zanetti se borne à produire des copies de chèques, dont certains portent plusieurs ordres ; qu'il ne prouve pas, ce faisant, que ces sommes n'auraient pas eu le caractère de revenus ; que, pour soutenir que l'acquisition, faite par lui, en 1981, de valeurs mobilières d'un montant total de 400000 F, aurait été financée par la vente de bons de caisse détenus antérieurement, il se borne à produire des attestations bancaires qui, si elles certifient l'existence d'un remboursement de bons de caisse, ne précisent, ni la référence de ces bons, ni la date de leur souscription ;
Considérant qu'en se bornant, pour contester l'évaluation faite par l'administration de son train de vie en espèces et de celui de sa famille, au titre des années 1980 à 1981, à faire valoir, par voie d'affirmation générale, qu'elle n'aurait pas tenu compte de ce que deux de ses enfants subvenaient à leurs besoins au cours de ces années, M Zanetti n'en établit pas le caractère exagéré ;
Sur les pénalités :
Considérant que M Zanetti n'a pu justifier, en réponse à la demande de justification qui lui a été adressée, de l'origine des sommes sur la base desquelles les suppléments d'impôt sur le revenu en litige ont été mis à sa charge ; que l'administration n'établit pas, cependant, qu'il aurait intentionnellement dissimulé des revenus ; qu'il y a lieu, en conséquence, de substituer aux majorations prévues, en cas de mauvaise foi du contribuable, qui ont été appliquées à ces impositions, dans la limite des montants desdites majorations, les intérêts de retard prévus par l'article 1727 du code général des impôts, et de réformer, en ce sens, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 novembre 1994 ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat, par application des dispositions de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991, à payer à M Zanetti la somme qu'il demande, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 13 novembre 1996 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : Les intérêts de retard prévus par l'article 1727 du code général des impôts sont substitués aux majorations pour mauvaise foi appliquées aux suppléments d'impôt sur le revenu auxquels M Zanetti reste assujetti, au titre des années 1980, 1981 et 1982, dans les limites des montants de ces majorations.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 novembre 1994 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M Zanetti devant la cour administrative d'appel de Lyon est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par M Zanetti, au titre de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à M Lucien Zanetti.