Jurisprudence : CAA Lyon, 2e, 16-03-2023, n° 21LY03252


Références

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON

N° 21LY03252

2ème chambre
lecture du 16 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B A a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015.

Par un jugement n°1806215 du 2 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2021, Mme A représentée par Me Grifat demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la réduction de ces impositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les frais irrépétibles ;

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'Etat de résidence ne saurait opérer des prélèvements sociaux d'un montant supérieur à celui des prestations servies par cet Etat ;

- la France, pays de résidence, n'est autorisée à appliquer les prélèvements sociaux au titre de la pension en capital de source suisse que dans la limite des pensions qu'elle a servies ; le montant en capital de source suisse s'élevant à la somme de 1 499 933 euros et les prélèvements sociaux appliqués en France s'établissant à la somme de 110 996 euros, ces cotisations sont supérieures aux pensions totales servies par la France ; la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé que l'Etat de résidence ne saurait prélever plus que les pensions servies ;

- la circonstance que la pension soit versée en capital et dépasse donc le montant des pensions qui seraient servies mensuellement par l'Etat de résidence ne constitue pas un motif de rejet du principe européen rappelé dans l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 juillet 2006, Nikula ;

- c'est à la date du versement de la pension qu'il convient de se placer ; le montant de prélèvements que peut appliquer la France à la pension en capital de source suisse versée le 27 novembre 2015 ne peut être supérieur à la somme effectivement versée à cette date, soit la somme de 3 094,94 euros.

Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999, ensemble la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte ;

- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

- le règlement (CE) n° 883/2004⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caraës, première conseillère ;

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B A, qui réside fiscalement en France, a perçu, en 2015, une pension de retraite de réversion en capital de la société Swisslife d'un montant de 1 386 132 euros après le décès de son époux qu'elle a déclarée tardivement. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration, après avoir rectifié le montant déclaré, lequel a été porté à 1 499 933 euros, et remis en cause l'option pour le prélèvement libératoire prévu au II de l'article 163 bis du code général des impôts🏛 applicable aux prestations de retraite en capital, a soumis cette pension à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale et à la contribution additionnelle prévue au 2° de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles🏛 auxquelles elle a appliqué la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts🏛. Par un jugement du 2 août 2021, dont Mme A relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la restitution de la somme acquittée au titre de ces contributions dans la limite du montant des pensions d'origine française perçues au cours de la même année.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme A soutient que le tribunal administratif de Grenoble a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que l'Etat de résidence ne saurait opérer des prélèvements sociaux sur la pension de source suisse pour un montant supérieur à celui des prestations servies par cet Etat. Toutefois, les premiers juges, qui ont écarté ce moyen comme n'étant pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé, n'ont entaché leur décision d'aucune omission à statuer sur ce point.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

3. Les dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, applicable avant le 1er avril 2012 aux relations entre la Confédération suisse et les Etats membres de l'Union européenne en vertu de l'accord sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, ont été reprises par le règlement (CEE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable depuis le 1er avril 2012 aux relations entre la Confédération suisse et les Etats membres de l'Union européenne en vertu de la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte.

4. D'une part, en application de l'article 13 du règlement n° 1408/71, dont les dispositions sont reprises à l'article 11 du règlement n° 883/2004, les personnes qui relèvent du champ du règlement ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre, déterminée selon les règles définies aux articles 13 à 17 bis du règlement n° 1408/71, reprises aux articles 11 à 16 du règlement n° 883/2004, ce qui exclut dès lors toute possibilité de cumul de plusieurs législations nationales pour une même période et, de manière corollaire, qu'un même revenu soit exposé au paiement de doubles cotisations.

5. D'autre part, en application de l'article 27 du règlement n° 1408/71, le titulaire de pensions dues au titre de législations de deux Etats membres, dont celle de l'Etat membre de résidence, et qui a droit aux prestations au titre de la législation de ce dernier Etat membre, obtient ces prestations de l'institution du lieu de résidence et à la charge de cette institution, comme si l'intéressé était titulaire d'une pension due au titre de la seule législation de ce dernier Etat membre. Si l'article 33, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 autorise l'Etat membre de résidence à opérer, sur la pension qu'il verse à un assuré également bénéficiaire d'une pension au titre de la législation d'un autre Etat membre, des retenues de cotisations pour la couverture de prestations de maladie et de maternité dont il assure le service, le paragraphe 2 du même article interdit à l'Etat membre de résidence au titre de la législation duquel aucune pension n'est due d'exiger, du fait de la résidence sur son territoire du titulaire d'une pension servie au titre de la législation d'un autre Etat membre, de recouvrer des cotisations pour la couverture de prestations de maladie et de maternité, lorsque ces dernières sont prises en charge par l'institution de cet autre État membre en application de l'article 28 bis. Ces dispositions sont reprises respectivement à l'article 23, aux 1 et 2 de l'article 30 et à l'article 25 du règlement n° 883/2004.

6. Il résulte de ces dispositions telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier dans son arrêt du 10 mai 2001 Rundgren (aff. C-389/99⚖️), que le principe général, qui découle du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 2001/83, tel que modifié par le règlement n° 3096/95, selon lequel le titulaire d'une pension ou d'une rente ne peut pas se voir réclamer, du fait de sa résidence sur le territoire d'un Etat membre, des cotisations d'assuré obligatoire pour la couverture de prestations prises en charge par une institution d'un autre Etat membre, s'oppose à ce que l'Etat membre sur le territoire duquel réside le titulaire d'une pension ou d'une rente exige le paiement par celui-ci de cotisations ou retenues équivalentes prévues par sa législation pour la couverture de prestations de vieillesse, d'incapacité de travail et de chômage, lorsque l'intéressé bénéficie de prestations ayant un objet analogue prises en charge par l'institution de l'Etat membre compétent en matière de pension.

7. Cependant, la Cour de justice a également dit pour droit, dans son arrêt du 18 juillet 2006 Nikula (aff. C-50/05) que l'article 33, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 ne s'oppose pas à ce que, pour la détermination de l'assiette des cotisations d'assurance maladie appliquées dans l'Etat membre de résidence du titulaire de pensions versées par des institutions de cet Etat membre compétent pour servir des prestations en vertu de l'article 27 de ce règlement, soient comprises dans cette assiette, outre les pensions perçues dans l'Etat membre de résidence, des pensions versées par des institutions d'un autre Etat membre, dans la mesure où ces cotisations ne dépassent pas le montant des pensions servies dans l'Etat membre de résidence. Aux termes du même arrêt, toutefois, l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne s'oppose à ce que le montant des pensions perçues d'institutions d'un autre État membre soit pris en compte si des cotisations ont déjà été versées dans cet autre Etat membre sur les revenus d'activité perçus dans ce dernier État membre. Il appartient aux intéressés d'établir la réalité de ces versements de cotisations antérieurs. Il résulte de cet arrêt et notamment de son point 33 que la législation de l'Etat de résidence ne doit pas avoir pour effet de pénaliser le titulaire de pension qui se serait déjà acquitté, durant ses années d'activité dans un Etat membre autre que l'Etat de résidence, des cotisations destinées au financement des prestations servies aux pensionnés, par rapport à celui qui serait demeuré dans ce dernier Etat pour y exercer la totalité de son activité.

8. Il résulte des dispositions du règlement n° 1408/71 et du règlement n°883/2004 telles qu'interprétées par la Cour de justice dans sa jurisprudence rappelée aux points 6 et 7 que l'assiette des cotisations d'assurance maladie appliquées dans l'Etat membre de résidence du titulaire de pensions versées par des institutions de cet Etat membre compétent pour servir des prestations peut comprendre, outre les pensions perçues dans l'Etat membre de résidence, des pensions versées par des institutions d'un autre État membre dans la mesure où ces cotisations ne dépassent pas le montant des pensions servies dans l'Etat membre de résidence. Si le ministre fait valoir que l'application de ce plafonnement dans le cas d'une pension de source étrangère versée en capital crée une différence de traitement entre les pensionnés, selon qu'ils perçoivent une pension sous forme de rente mensuelle ou en capital, et rappelle qu'en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire, il appartient à la législation de chaque Etat membre de déterminer le niveau des cotisations dues par les affiliés et les revenus à prendre en compte pour le calcul de ces cotisations, la différence de traitement qu'il relève résulte de l'application du droit de l'Union européenne que les Etats membres sont tenus d'appliquer, qui n'opère pas de distinction entre les pensions versées sous forme de rente mensuelle et celles versées sous forme de capital. Par suite, Mme A est fondée à demander, dans la limite des pensions de source française d'un montant non contesté de 3 094 euros qu'elle a perçues en 2015, la restitution de la somme qu'elle a acquittée au titre de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et de la contribution additionnelle prévue au 2° de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles à raison de la pension en capital versée en 2015.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 au bénéfice de Mme A, dont les conclusions à ce titre ne sont au demeurant pas chiffrées.

DECIDE :

Article 1er : Le montant des contributions sociales dues à raison de la pension de retraite de réversion en capital versée en 2015 à Mme A est ramené à 3 094 euros.

Article 2 : L'Etat restituera à Mme A la différence entre la somme acquittée au titre des contributions sociales et le montant défini à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de la requête relatives aux frais irrépétibles sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

Mme Caraës, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2023.

La rapporteure,

R. Caraës

Le président,

D. PruvostLa greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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