CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
355813
MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT
c/ M. Januel
M. Guillaume Odinet, Rapporteur
M. Vincent Daumas, Rapporteur public
Séance du 28 février 2013
Lecture du
22 mars 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème sous-section)
Vu le pourvoi, enregistré le 13 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er et 2 de l'arrêt n° 08LY01762 de la cour administrative d'appel de Lyon du 17 novembre 2011 en tant qu'ils déchargent M. René Januel de la fraction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2001 à raison de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, du solde débiteur du compte courant n° 168100 ouvert dans les écritures de la société Courtanne Bois, ainsi que des pénalités correspondantes, et réforment dans cette mesure le jugement n° 0600729 du tribunal administratif de Lyon du 17 juin 2008 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,
- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. Januel,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. Januel ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. René Januel, alors président-directeur général de la SA Courtanne Bois, spécialisée dans la fabrication et la vente de meubles, a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 1999, 2000 et 2001, à l'issue duquel l'administration a estimé qu'il avait profité de sa qualité de dirigeant pour se procurer des liquidités, avant de procéder à l'émission de fausses factures et de fausses traites ; que, par un jugement du 17 juin 2008, le tribunal administratif de Lyon a déchargé M. Januel des droits et pénalités résultant des redressements relatifs à la prise en charge, par la SA Courtanne Bois, de dépenses personnelles ; que, par un arrêt du 17 novembre 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a déchargé M. Januel des droits et pénalités au titre de l'année 2001 résultant de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, du solde débiteur des deux comptes courants ouverts à son nom dans les écritures de la SA Courtanne Bois ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de cet arrêt en tant qu'ils déchargent M. Januel des droits et pénalités au titre de l'année 2001 résultant de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, du solde débiteur du compte courant n° 168100 ; que, par la voie d'un pourvoi incident, M. Januel demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;
Sur le pourvoi principal du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si la notification de redressements adressée à la société Courtanne Bois le 28 octobre 2002 fait état d'avances consenties à M. Januel par le biais du compte courant n° 455001, elle ne fait aucunement mention de l'existence d'un second compte courant ouvert au nom de M. Januel ; qu'en revanche, dans le cadre de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, M. Januel a communiqué à l'administration fiscale, par lettre du 11 septembre 2002, copie des relevés des deux comptes courants ouverts à son nom dans les écritures de la SA Courtanne Bois ; qu'à la suite de cette communication, l'administration lui a demandé des justifications concernant les crédits figurant non seulement sur le compte courant n° 455001, mais aussi sur le compte courant n° 168100 ; que le montant du solde débiteur du compte courant n° 168100 mentionné par l'administration dans sa notification de redressements du 14 octobre 2003 correspond à celui qui figure dans la copie du relevé du compte courant communiquée par M. Januel ; que, dès lors, en jugeant que l'administration s'était fondée, pour réintégrer au titre de l'année 2001, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, les avances correspondant aux soldes débiteurs des deux comptes courants ouverts au nom du contribuable dans les écritures de la SA Courtanne Bois, non sur les copies des relevés de comptes courants que M. Januel avait lui-même communiquées mais sur des documents dont elle avait pris connaissance au cours de la vérification de comptabilité de la SA Courtanne Bois, pour en déduire que ces redressements avaient été établis au terme d'une procédure irrégulière, au motif que l'administration était tenue de communiquer ces documents au contribuable afin de lui permettre d'en vérifier, et le cas échéant d'en discuter, l'authenticité et la teneur, la cour administrative d'appel de Lyon a porté sur les faits de la cause une appréciation entachée de dénaturation qui l'a conduite à commettre une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi principal, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'ils déchargent M. Januel des droits et pénalités au titre de l'année 2001 résultant de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, du solde débiteur du compte courant n° 168100 ;
Sur le pourvoi incident de M. Januel :
3. Considérant, en premier lieu, qu'en réponse à l'argumentation de M. Januel soutenant que l'administration avait omis de lui communiquer le procès-verbal de son audition du 24 février 2002 dont elle s'était prévalue dans la notification de redressements du 14 octobre 2003, la cour a souverainement relevé que l'administration " n'avait pas à lui communiquer le procès-verbal d'une audition en date du 24 février 2002, mentionnée, à la suite d'une erreur de plume, dans la notification de redressements [.] qui [n'a] pas servi à asseoir les redressements litigieux ", et estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'à supposer qu'une audition de M. Januel ait eu lieu le 24 février 2002 et que le procès-verbal de cette audition ait été communiqué à l'administration, bien que l'administration ait affirmé que la mention de cette date constituait une erreur matérielle et qu'elle se référait en réalité au procès-verbal de son audition des 29 et 30 avril 2002 par la brigade de gendarmerie du Puy-en-Velay, ce procès-verbal n'avait pas servi à établir les redressements litigieux ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel aurait insuffisamment répondu au moyen tiré de ce que l'administration s'était abstenue de lui communiquer certains des procès-verbaux établis dans le cadre de la procédure pénale dont il avait fait l'objet ne peut qu'être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond ne fait état de l'utilisation, au cours de la procédure de contrôle, de procès-verbaux d'audition des directeurs de jeux des casinos de Montrond-les-Bains et de Charbonnières ; qu'il ressort en revanche des pièces du dossier soumis à ces mêmes juges que, lorsque l'administration s'est référée aux déclarations des directeurs de ces deux établissements, notamment à la page 8 de la notification de redressements du 18 octobre 2003, c'est en se prévalant des procès-verbaux des interrogatoires de M. Januel des 29 et 30 avril 2002 par la brigade de gendarmerie du Puy-en-Velay et du 31 octobre 2002 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, dans lesquels étaient effectivement consignées des déclarations des deux directeurs et dont M. Januel ne conteste pas que l'administration les lui a communiqués ; que, par suite, en jugeant que l'administration n'avait pas à lui communiquer, à les supposer existants, les procès-verbaux des auditions des directeurs de jeux des casinos de Montrond-les-Bains et Charbonnières, la cour administrative d'appel n'a ni entaché sa décision de dénaturation des pièces du dossier ni commis d'erreur de droit ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'appui du moyen tiré de ce qu'il avait utilisé les recettes des ventes de meubles non déclarées pour régler les dépenses de la société, M. Januel invoquait le jugement du 13 février 2008 par lequel le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay avait jugé " que l'expertise (qu'il avait ordonnée( n'avait pas permis de déterminer les sommes détournées à l'occasion des ventes de meubles " ; qu'en écartant ce moyen, la cour administrative d'appel a, par une appréciation souveraine, jugé que l'argument tiré des motifs du jugement du tribunal de grande instance, lesquels ne portaient que sur la détermination du montant des sommes détournées par M. Januel, n'était pas de nature à établir que ce dernier avait effectivement utilisé ces recettes non déclarées pour régler les dépenses de la société ; que son arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 17 novembre 2011 sont annulés en tant qu'ils déchargent M. Januel des droits et pénalités au titre de l'année 2001 résultant de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, du solde débiteur du compte courant n° 168100.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de l'annulation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Le pourvoi incident de M. Januel est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. Januel.
Délibéré dans la séance du 28 février 2013 où siégeaient : M. Jean Courtial, Président de sous-section, présidant ; M. Patrick Stefanini, Conseiller d'Etat et M. Guillaume Odinet, Auditeur-rapporteur.