Jurisprudence : CE 9 SS, 28-03-2013, n° 345393



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

345393

Mme Myriam VILLELOUP

M. Matthieu Schlesinger, Rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, Rapporteur public

Séance du 5 mars 2013

Lecture du 28 mars 2013

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème sous-section)


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 décembre 2010 et 29 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Myriam Villeloup, demeurant 1112, avenue Maréchal de Lattre de Tassigny à Mâcon (71000) ; Mme Villeloup demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09LY02937 du 29 octobre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0702087 du 1er décembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittés au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 mars 2013, présentée par le ministre de l'économie et des finances ;

Vu la directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 ;

Vu le décret n° 2011-1127 du 20 septembre 2011 ;

Vu l'arrêté du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,

- les observations de la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme Villeloup,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme Villeloup ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Villeloup, qui exerce l'activité de chiropracteur, a demandé la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a spontanément acquittés au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, en estimant pouvoir bénéficier des dispositions de l'article 261 du code général des impôts relatives à l'exonération de cette taxe ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 octobre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 1er décembre 2009 du tribunal administratif de Dijon rejetant cette demande de restitution ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable (.) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un contribuable ne peut obtenir la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés conformément à ses déclarations qu'à la condition d'en établir le mal-fondé ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 13, A, paragraphe 1 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires : " Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : / (.) c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné (.) " ; qu'en vertu du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " Les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées (.) " ; qu'en limitant l'exonération qu'elles prévoient aux soins dispensés par les membres des professions médicales et paramédicales soumises à réglementation, ces dispositions ne méconnaissent pas l'objectif poursuivi par l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de la sixième directive, précité, qui est de garantir que l'exonération s'applique uniquement aux prestations de soins à la personne fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises ; qu'en effet, la directive renvoie à la réglementation interne des Etats membres la définition de la notion de professions paramédicales, des qualifications requises pour exercer ces professions et des activités spécifiques de soins à la personne qui relèvent de telles professions ;

4. Considérant toutefois que, conformément à l'interprétation des dispositions de la sixième directive qui résulte de l'arrêt rendu le 27 avril 2006 par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires C-443/04 et C-444/04, l'exclusion d'une profession ou d'une activité spécifique de soins à la personne de la définition des professions paramédicales retenue par la réglementation nationale aux fins de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de cette directive serait contraire au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s'il pouvait être démontré que les personnes exerçant cette profession ou cette activité disposent, pour la fourniture de telles prestations de soins, de qualifications professionnelles propres à assurer à ces prestations un niveau de qualité équivalente à celles fournies par des personnes bénéficiant, en vertu de la réglementation nationale, de l'exonération ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans sa version applicable au présent litige : " L'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret. Le programme et la durée des études préparatoires et des épreuves après lesquelles peut être délivré ce diplôme sont fixés par voie réglementaire. (.) / Les praticiens en exercice, à la date d'application de la présente loi, peuvent se voir reconnaître le titre d'ostéopathe ou de chiropracteur s'ils satisfont à des conditions de formation ou d'expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa. Ces conditions sont déterminées par décret. (.) / Un décret établit la liste des actes que les praticiens justifiant du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur sont autorisés à effectuer, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont appelés à les accomplir. / Ces praticiens ne peuvent exercer leur profession que s'ils sont inscrits sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle, qui enregistre leurs diplômes, certificats, titres ou autorisations " ;

6. Considérant que le décret du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie n'a été publié que le 9 janvier 2011 et que le décret du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie, ainsi que l'arrêté du même jour pris en application de ces deux décrets, n'ont été publiés que le 21 septembre 2011 ; que, durant la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, les actes dits de chiropraxie ne pouvaient être pratiqués que par les docteurs en médecine, et le cas échéant, pour certains actes seulement et sur prescription médicale, par les autres professionnels de santé habilités à les réaliser ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour statuer sur la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée acquittés par Mme Villeloup sur ses prestations de chiropraxie, la cour devait vérifier que celle-ci démontrait disposer, pour la fourniture de ces prestations, de qualifications professionnelles propres à leur assurer un niveau de qualité équivalente à celles fournies, selon le cas, par un médecin ou par un membre d'une profession de santé réglementée ; qu'une telle appréciation ne peut être portée qu'au vu de la nature des actes accomplis sous la dénomination d'actes de chiropraxie et, s'agissant des actes susceptibles de comporter des risques en cas de contre-indication médicale, en considération des conditions dans lesquelles ils ont été effectués ;

8. Considérant qu'il appartenait, dès lors, à Mme Villeloup, pour mettre le juge à même de s'assurer que la condition tenant à la qualité des actes était remplie, de produire, d'une part, et sous réserve de l'occultation des noms des patients, des éléments relatifs à sa pratique permettant d'appréhender, sur une période significative, la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils l'ont été et, d'autre part, tous éléments utiles relatifs à ses qualifications professionnelles ;

9. Considérant que la cour administrative d'appel de Lyon, qui a relevé que Mme Villeloup était titulaire d'un diplôme de chiropracteur mais qu'elle n'indiquait ni la durée, ni le contenu de sa formation, a jugé qu'elle ne fournissait aucune précision sur la nature des actes accomplis pendant la période en litige ou les conditions dans lesquelles ils l'ont été, et que, par suite, elle n'établissait pas que ces actes pouvaient être considérés comme d'une qualité équivalente à ceux qui, s'ils avaient été effectués par un médecin pratiquant la chiropraxie, auraient été exonérés de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'en statuant ainsi sans expliquer en quoi les documents produits, notamment les copies anonymisées de " fiches patients ", ne suffisaient pas à apporter la preuve incombant à la contribuable, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que pour ce motif et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, Mme Villeloup est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

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1. Considérant qu'il résulte de tout ce qui a été dit ci-dessus aux points 1 à 8 que, pour obtenir la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a spontanément acquittés au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 à raison de ses prestations de chiropraxie, Mme Villeloup doit, pour mettre le juge à même de s'assurer que la condition de l'exonération de taxe tenant à la qualité de ces prestations était remplie, produire, d'une part, et sous réserve de l'occultation des noms des patients, des éléments relatifs à sa pratique permettant d'appréhender, sur une période significative, la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils l'ont été et, d'autre part, tous éléments utiles relatifs à ses qualifications professionnelles ;

12. Considérant que Mme Villeloup produit des éléments pouvant être regardés comme attestant, de manière suffisante, la qualité de la formation qu'elle a suivie et du diplôme qu'elle a obtenu ; que pour permettre au juge de se prononcer sur la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils ont été effectués, il lui appartenait également de fournir des éléments permettant, sur une période significative d'au moins deux mois, de s'assurer que ces actes n'étaient pas interdits ou n'avaient pas été accomplis sans avis médical préalable lorsque celui-ci était requis ; qu'en l'espèce, Mme Villeloup se borne à produire une seule " fiche patient ", correspondant à 80 consultations, pour une période de trois années, alors que son chiffre d'affaires s'élevait à 270 000 euros ; qu'ainsi Mme Villeloup n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, que les actes de chiropraxie qu'elle a accomplis au cours de la période litigieuse puissent être regardés comme d'une qualité équivalente à ceux qui, s'ils avaient été effectués par un médecin pratiquant la chiropraxie, auraient été exonérés de taxe sur la valeur ajoutée ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme Villeloup n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ; que par suite, les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 29 octobre 2010 est annulé.

Article 2 : La requête de Mme Villeloup présentée devant la cour administrative d'appel de Lyon et le surplus des conclusions du pourvoi de Mme Villeloup sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Myriam Villeloup et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré dans la séance du 5 mars 2013 où siégeaient : M. Jean-Pierre Jouguelet, Président de sous-section, présidant ; M. Philippe Josse, Conseiller d'Etat et M. Matthieu Schlesinger, Auditeur-rapporteur.

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