CE 9/10 ch.-r., 06-12-2021, n° 439650, mentionné aux tables du recueil Lebon
A30017EU
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2021:439650.20211206
Référence
19-04-01-04-03-01 Il résulte du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts (CGI) que l'administration est fondée à réintégrer dans les résultats de la société mère d'un groupe fiscalement intégré une fraction des charges financières du groupe, lorsqu'une société est acquise en vue d'être intégrée par une société du groupe auprès d'une ou de plusieurs personnes qui contrôlent la société cessionnaire. Ces dispositions sont applicables, compte tenu de ce que l'existence d'un tel contrôle s'apprécie par référence aux critères définies par l'article L 233-3 du code de commerce, non seulement dans l'hypothèse d'une identité entre le ou les actionnaires de la société cédée et le ou les actionnaires exerçant le contrôle de la société cessionnaire mais également dans le cas où l'actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec d'autres actionnaires, le contrôle de la société cessionnaire. Il appartient à l'administration d'établir l'existence d'une action de concert puis de vérifier si tout ou partie des personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.......1) Le juge de cassation laisse à l'appréciation souveraine des juges du fond, sous réserve de dénaturation, le point de savoir si tout ou partie des personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.......2) Le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le point de savoir si des actionnaires de la société cédée exercent un contrôle conjoint sur la société cessionnaire.
La SAS Financière des Eparses a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 et, d'autre part, de constater l'imputation du déficit de l'exercice clos en 2012 pour un montant de 175 458 euros sur le bénéfice de l'exercice clos en 2011, l'existence d'une créance d'impôt de 58 486 euros au titre de l'exercice clos en 2012, l'existence d'un report déficitaire d'un montant de 305 301 euros au titre de l'exercice clos en 2012 et de 3 703 415 euros au titre de l'exercice clos en 2013. Par un jugement n° 1502735,1700024,1700025 du 25 octobre 2017, le tribunal administratif de Rennes a déchargé la société, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2009 à 2013 et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un arrêt n° 18NT00281 du 30 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté les appels du ministre de l'action et des comptes publics et de la société Financière des Eparses contre ce jugement.
Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mars et 15 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 1er de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel .
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la SAS Financière des Eparses ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale a réintégré dans les résultats imposables des exercices clos de 2009 à 2013 de la société Financière des Eparses une partie des frais financiers supportés par les sociétés membres de son groupe fiscal intégré sur le fondement du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'article 1er de l'arrêt du 30 janvier 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre le jugement du 25 octobre 2017 du tribunal administratif de Rennes qui avait prononcé la décharge de ces impositions. Par un pourvoi incident, la société Financière des Eparses demande l'annulation de l'article 2 de l'arrêt du 30 janvier 2020 qui rejette son appel contre le jugement du 25 octobre 2017 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à bénéficier, au titre de l'exercice clos en 2012, du dispositif de report en arrière du déficit prévu par l'article 220 quinquies du code général des impôts.
Sur le pourvoi principal du ministre :
2. Aux termes du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts : " Lorsqu'une société a acheté, après le 1er janvier 1988, les titres d'une société qui devient membre du même groupe aux personnes qui la contrôlent, directement ou indirectement, ou à des sociétés que ces personnes contrôlent, directement ou indirectement, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, les charges financières déduites pour la détermination du résultat d'ensemble sont rapportées à ce résultat pour une fraction égale au rapport du prix d'acquisition de ces titres à la somme du montant moyen des dettes, de chaque exercice, des entreprises membres du groupe. Le prix d'acquisition à retenir est réduit du montant des fonds apportés à la société cessionnaire lors d'une augmentation du capital réalisée simultanément à l'acquisition des titres à condition que ces fonds soient apportés à la société cessionnaire par une personne autre qu'une société membre du groupe ou, s'ils sont apportés par une société du groupe, qu'ils ne proviennent pas de crédits consentis par une personne non membre de ce groupe. La réintégration s'applique pendant l'exercice d'acquisition des titres et les huit exercices suivants ".
3. Aux termes de l'article L. 233-3 du code de commerce : " I. - Une société est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : / 1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; / 2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ; / 3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; / 4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société. / II. - Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. / III. - Pour l'application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ". Aux termes du I de l'article L. 233-10 du même code, dans sa version applicable avant le 24 octobre 2010 : " Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en œuvre une politique vis-à-vis de la société ". Enfin, aux termes du même article, dans sa version applicable à compter du 24 octobre 2010 : " I.- Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société. / () ".
4. Il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts que l'administration est fondée à réintégrer dans les résultats de la société mère d'un groupe fiscalement intégré une fraction des charges financières du groupe, lorsqu'une société est acquise en vue d'être intégrée par une société du groupe auprès d'une ou de plusieurs personnes qui contrôlent la société cessionnaire. Ces dispositions sont applicables, compte tenu de ce que l'existence d'un tel contrôle s'apprécie par référence aux critères définies par l'article L 233-3 du code de commerce, non seulement dans l'hypothèse d'une identité entre le ou les actionnaires de la société cédée et le ou les actionnaires exerçant le contrôle de la société cessionnaire mais également dans le cas où l'actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec d'autres actionnaires, le contrôle de la société cessionnaire. Il appartient à l'administration d'établir l'existence d'une action de concert puis de vérifier si tout ou partie des personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Financière des Eparses, société holding mère du groupe fiscal intégré qu'elle compose avec les sociétés SAS SICO et SAS Magasins Bleus, a été créée le 6 février 2017, à l'initiative de l'Institut de Participation de l'Ouest (IPO), par acquisition des titres de la SAS SICO auprès de la SAS HDM Finance et des titres de la SAS Magasins Bleus auprès de la SAS Jasper. A cette date, son capital était notamment détenu par la société Jasper, la société HDM Finance et IPO.
6. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que l'ensemble des associés de la société Financière des Eparses étaient liés par un pacte révélant qu'ils agissaient de concert au sens et pour l'application des dispositions du I de l'article L. 233-10 du code de commerce. Si la société Financière des Eparses entend incidemment contester ces motifs devant le Conseil d'Etat, elle n'est pas recevable à former un pourvoi incident contre cette partie de l'arrêt, qui a rejeté les conclusions d'appel formées devant la cour par le ministre de l'action et des comptes publics et ne lui fait, en conséquence, pas grief.
7. D'autre part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter l'existence d'un contrôle conjoint, la cour, après avoir relevé que les statuts de la société Financière des Eparses prévoyaient que les décisions dites " ordinaires " étaient prises à la majorité simple des voix des actionnaires et que les décisions dites " extraordinaires " étaient prises à la majorité des trois quarts des voix, a retenu que les sociétés Jasper et HDM Finances ne disposaient que de la possibilité de déterminer en fait les décisions ordinaires tandis que l'adoption des décisions " extraordinaires " requérait, outre l'accord de ces deux sociétés, celui de la société IPO. La cour a relevé en outre qu'aucune stipulation du pacte d'actionnaires ne contraignait la société IPO quant à l'exercice de ses droits de vote et qu'aucun élément ne démontrait que la société IPO aurait, lors des assemblées générales extraordinaires, systématiquement voté dans le sens des deux autres sociétés ou se serait abstenu.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en premier lieu, que cet accord contraignant, dont le point 1.2 souligne la primauté, comporte des clauses relatives à l'acquisition et à la cession des droits de vote attachés aux titres de la société et a pour finalité d'exercer une politique commune vis-à-vis de la société, notamment dans l'objectif de favoriser le développement de celle-ci par des opérations de croissance interne et externe afin d'optimiser la valorisation des participations, en deuxième lieu, qu'aucune décision " extraordinaire " ne pouvait être prise sans l'accord des trois sociétés, alors que ces décisions " extraordinaires " comprennent la nomination des membres du conseil de surveillance, du personnel dirigeant et l'approbation des principales décisions d'investissement, et, en dernier lieu, que ces trois principaux actionnaires n'avaient pas été en désaccord au cours de la période en litige sur les décisions qu'il leur appartenait de prendre, à l'exception de deux décisions relatives à une augmentation de capital et à la suppression du droit préférentiel de souscription reconnu aux associés, présentées au cours d'une assemblée générale tenue le 15 novembre 2013. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'en estimant que les trois principaux actionnaires, agissant de concert, ne déterminaient pas en fait les décisions prises en assemblée générale, la cour a dénaturé les faits de l'espèce. Elle ne pouvait, dès lors, retenir que ces trois principaux actionnaires n'exerçaient pas de contrôle conjoint sur la société.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'il attaque.
Sur le pourvoi incident de la société Financières des Eparses :
10. En vertu des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables au pourvoi en cassation en vertu de l'article R. 821-6 du même code, une requête doit contenir l'exposé des faits et des moyens. Les conclusions du pourvoi incident présenté par la société Financière des Eparses, dirigées contre l'article 2 de l'arrêt de la cour et relatives à la demande tendant à bénéficier du dispositif de report en arrière des déficits prévu par l'article 220 quinquies du code général des impôts, ne sont assorties de l'exposé d'aucun moyen. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que ce pourvoi incident est irrecevable.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt du 30 janvier 2020 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : Le pourvoi incident de la société Financière des Eparses et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Financière des Eparses.439650- 4 -
Article, L233-3, C. com. Arrêt, 18NT00281, 30-01-2020 Article, 1, arrêt, 18NT00281, 30-01-2020 Imputation des déficits Déficit de l'exercice Exercice clos Report déficitaire Résultats imposables Achats de titre Société d'un groupe Prix d'acquisition Société cessionnaire Droit de vote Politique communes Société mère d'un groupe Établissement de l'existence Statuts d'une société Actionnaire principal Augmentation de capital Suppression Dénaturation des faits