Jurisprudence : CA Paris, 6, 3, 17-11-2015, n° 15/04064, Infirmation



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 17 Novembre 2015 (n°, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général S 15/04064
Décision déférée à la Cour jugement rendu le 25 Février 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES RG n° 14/00099

APPELANTE
Madame Frédérique Z Z épouse Z

BRUNOY
née le ..... à VITRY SUR SEINE (94400)
comparante en personne,
assistée de Me Amélie KOCH, avocat au barreau de PARIS, toque D0337
INTIMÉ
Maître Albert Paul Y

VILLECRESNES
né le ..... à TLEMCEN (ALGÉRIE)
comparant en personne,
assisté de Me Aude DE GRAAF, avocat au barreau de PARIS, toque D1513

COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
Greffier Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, greffière stagiaire en pré-affectation, lors des débats
ARRÊT
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, président et par Marjolaine MAUBERT, greffière stagiaire en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE
Madame Frédérique Z Z épouse Z, engagée par Maître Albert Paul Y à compter du 1er janvier 2007, en qualité de téléphoniste-standardiste, au dernier salaire mensuel brut de 2528,95 euros, a été licenciée pour inaptitude par lettre du 27 février 2013 énonçant le motif suivant
' Dans le prolongement de mon courrier du 01 Février 2013 dont vous avez accusé réception le 07 Février 2013, aux termes duquel je vous proposais, notamment, un nouveau poste en mon Étude à la suite de la déclaration d'inaptitude a la reprise du travail a votre poste ; vous m'avez adressé, des le 07 Février 2013, un courrier aux termes duquel vous refusiez ce nouveau poste et vous m'informiez que vous ne pourrez être présente le MERCREDI 13 FÉVRIER 2013 pour l'entretien proposé dans mon courrier du 01 Février 2013.
Je me vois dans le pénible devoir de constater la rupture du contrat de travail a compter du 15 Janvier 2013'.
Madame ... conteste le bien fondé de son licenciement.

Par jugement du 25 février 2015, le Conseil de prud'hommes de VILLENEUVE SAINT GEORGES a dit que le licenciement pour inaptitude de Madame ... était fondé et a condamné Maître Y à lui verser les sommes suivantes, avec intérêts de droit au taux légal à compter du jour du prononcé de la présente décision

- 2334,90 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ; - 750,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Madame ... en a relevé appel.
Par conclusions visées au greffe le 5 octobre 2015 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Madame ... demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Maître Y à lui verser 2334,90 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement.
Néanmoins, elle sollicite l'infirmation du jugement sur certains points et demande de - dire que l'inaptitude de Madame ... est d'origine professionnelle ;
- constater l'absence de consultation des délégués du personnel en violation des dispositions de l'article L.1226-10 ;
- dire que la rupture du contrat de travail est dénuée de cause réelle et sérieuse.
En conséquence, Madame ... sollicite la condamnation de Maître Y au versement des sommes suivantes
- 45 521 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 119,68 euros à titre de rappel sur l'indemnité spéciale de licenciement ;
- 5 058,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
-1 448 euros bruts à titre de rappel de salaire et 144,80 euros au titre des congés payés afférents.
Enfin, elle demande la communication d'un bulletin de paie et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour et document de retard à compter du prononcé de la décision ainsi que le paiement de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 5 octobre 2015 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Maître Y sollicite la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a constaté le caractère légitime du licenciement de Madame .... Il demande donc que celle-ci soit déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Subsidiairement, il demande de limiter
- le rappel de salaire du 16 janvier 2013 au 27 février 2013 à la somme de 855,80 euros bruts outre 8,55 euros de congés payés ;
- le rappel de salaires au titre du préavis à la somme de 4669,80 euros ;
- l'indemnité pour nullité du licenciement ou l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 14 242 euros au titre de l'article L.1235-3 du code du travail.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude
L'article L.4624-1 du code du travail confère exclusivement au médecin du travail le rôle de constater l'inaptitude physique du salarié. L'avis médical ainsi rédigé s'impose à l'employeur, au salarié mais aussi au juge du fond et à la Caisse primaire d'assurance maladie à qui il n'appartient pas de substituer son appréciation à celle du médecin. En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur peut saisir l'inspecteur du travail du recours prévu à l'article L. 4624-1 du code du travail.
La procédure de l'inaptitude d'origine professionnelle s'applique dès lors que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
En l'espèce, l'avis médical délivré par le médecin du travail en date du 16 janvier 2013 conclut à une inaptitude définitive de Madame ... à tout poste de l'entreprise en raison d'une 'suite de pathologie d'origine professionnelle'.
Maître Y conteste le caractère professionnel de l'inaptitude.
En premier lieu, il se prévaut de l'insuffisance de ladite mention pour prouver le caractère professionnel de l'inaptitude et indique que le médecin n'a pas coché la case 'AT/MP' sur l'avis médical. Or, il ressort des constatations du médecin du travail que l'inaptitude de Madame ... trouve au moins pour partie sa cause dans une origine professionnelle par la seule référence à une 'pathologie d'origine professionnelle'. De plus, cet avis est corroboré, d'une part, par les divers arrêts médicaux rendus par le médecin traitant de la salariée qui font état de son 'état dépressif' et, d'autre part, par les différentes attestations produites par la salariée décrivant une charge de travail démesurée et génératrice de stress. Ainsi, les conditions de travail de Madame ... apparaissaient difficiles en raison d'appels entrants incessants et de multiples sollicitations par ses collègues ou les clients, qu'elle devait gérer seule. De plus, la prétendue bonne ambiance de travail, notamment décrite par la secrétaire au sein de l'Étude, Madame ..., est directement contredite par le courriel de Maître Patricia Y, qui atteste d'une ambiance de travail tendue.
En second lieu, Maître Y souligne l'absence de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par la CPAM. Or, l'avis médical du médecin du travail est indépendant de toute appréciation portée par la CPAM en raison de l'autonomie du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.
Bien que le conseil de prud'hommes n'ait pas statué sur ce point, il ressort de ce qui précède que Maître Y, qui n'a par ailleurs formé aucun recours à l'encontre de cet avis d'inaptitude, ni demandé aucune précision au médecin du travail, ne pouvait ignorer le caractère professionnel de l'inaptitude de sa salariée.
Sur les conséquences indemnitaires du licenciement pour inaptitude professionnelle
Aux termes de l'article L.1224-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail pour inaptitude d'origine professionnelle avec impossibilité de reclassement ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.
En l'espèce, Madame ... ayant été victime d'une maladie professionnelle, elle est bien fondée à solliciter le solde de 3 119,68 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement (correspondant au double de l'indemnité légale à laquelle se soustrait les 3 119,68 euros déjà perçus par la salariée au titre de l'indemnité légale de licenciement). Elle se verra également verser 5 058,94 euros à titre d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Aux termes de l'article L1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.
L'article L.1232-6 du code du travail précise que cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
Concernant le motif particulier de l'inaptitude, l'article L.1226-12 du code du travail dispose que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10 du code du travail, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
La lettre de licenciement ne doit pas se contenter d'indiquer l'inaptitude physique du salarié, elle doit aussi mentionner expressément l'impossibilité de reclassement. A défaut, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la lettre de licenciement de Madame ... ne mentionne pas clairement le motif de son licenciement. L'employeur s'est contenté de'constater la rupture du contrat de travail'. De plus, il ressort des pièces produites au débat que la rupture est intervenue 'à la suite de la déclaration d'inaptitude à la reprise du travail'de Madame ... et plus précisément suite à son refus d'occuper le poste proposé par Maître Y dans son courrier du 1er février 2013. L'employeur n'a donc pas indiqué qu'il était dans l'impossibilité de licencier sa salariée.
Il s'ensuit que la lettre de licenciement n'étant pas motivé, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, d'autant plus que l'inaptitude physique de Madame ... résulte d'un manquement de son employeur ayant contribué à la dégradation de son état de santé.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc infirmé sur ce point.
Au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, compte tenu du fait que Madame ... avait six ans d'ancienneté dans une Étude de plus de onze salariés et que d'une part, elle était âgée de 56 ans au moment du licenciement et d'autre part, elle continuait de toucher les allocations chômage, la Cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 15 173,6 euros le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1235-3 du code du travail, correspondant à six mois de salaire.
En l'espèce, il ressort du courrier du 1er février 2013 que Maître Y a invité Madame ... à un entretien ayant pour objet son éventuel reclassement. Cet objet suffit en lui même à démontrer que le courrier ne peut s'analyser en une lettre de convocation à un entretien préalable à licenciement, la finalité étant substantiellement différente.
Il n'y a cependant pas lieu de condamner l'employeur à une indemnité spécifique pour irrégularité de la procédure de licenciement, le préjudice subi étant intégralement réparé par l'allocation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse visée ci-dessus.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc infirmé sur ce point et la salariée sera déboutée de sa demande spécifique portant sur l'irrégularité de la procédure de licenciement.
Sur l'absence de consultation préalable des délégués du personnel
Selon les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, l'employeur qui entend proposer un poste à son salarié déclaré en inaptitude professionnelle doit recueillir l'avis des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement.
Le défaut de consultation des délégués du personnel est sanctionné par l'attribution d'une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire, en vertu de l'article L.1226-15 du code du travail.
En l'occurrence, alors que Madame ... a été victime d'une maladie professionnelle, Maître Y ne démontre ni qu'il a consulté les délégués du personnel, ni l'existence d'un procès verbal de carence, arguant seulement que l'inaptitude n'est pas d'origine professionnelle.
En conséquence Maître Y sera condamné à verser 30347,4 euros à
Madame ..., pour absence de consultation des délégués du personnel dans le cadre d'une
inaptitude professionnelle.
Sur le rappel de salaire au visa de l'article L. 1226-11 du code du travail
L'article L. 1226-11 du code du travail dispose que lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
En l'espèce, l'avis d'inaptitude de Madame ... date du 16 janvier 2013, de sorte que la reprise du paiement des salaires est a priori censée débuter à partir du 26 janvier 2013, dans le cas où la salariée n'aurait été ni licenciée ni reclassée. Or, ce n'est que le 27 février 2013 que l'employeur a licencié sa salariée, soit plus d'un mois après l'avis d'inaptitude.
Madame ... se trouvait effectivement en arrêt maladie pour la période du 1er janvier 2013 au 15 février 2013, mais elle apporte la preuve qu'elle n'a plus été indemnisée par la CRPCEN à compter du 16 janvier 2013. Il en résulte que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 16 janvier 2013 a privé d'effets l'indemnisation au titre de l'arrêt maladie.
Madame ... est donc fondée à réclamer 855,80 euros bruts outre 85,58 euros bruts de congés payés pour la période de reprise du salaire du 16 au 27 février 2013, soit 11 jours.
Sur la demande de remise de documents
La demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte en l'état.

PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
CONDAMNE Maître Y à payer à Madame ...,avec intérêts au taux légal, les sommes de
- 3 119,68 euros correspondant au solde de l'indemnité spéciale de licenciement ; - 5 058,94 euros équivalents à l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 15 173,6 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; - 30 347,4 euros au titre de l'absence de consultation des délégués du personnel ;
- 855,80 euros bruts au titre du rappel de salaire pour la période du 16 au 27 février 2013 et 85,58 euros au titre des congés payés afférents.
ORDONNE la communication à Madame ... d'un bulletin de paie et d'une attestation Pôle Emploi conformes,
DIT n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Maître Y à payer à Madame ... en cause d'appel la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus des demandes ;
LAISSE les dépens à la charge de Maître Y.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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