CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
366457
M. A.
M. Julien Anfruns, Rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Rapporteur public
Séance du 14 octobre 2015
Lecture du
9 novembre 2015
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la procédure suivante :
M. B. A. a demandé au tribunal administratif de Paris la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2006, 2007 et 2008. Par un jugement n° 1004582 du 24 janvier 2012, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 12PA01570 du 28 décembre 2012, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement les 28 février 2013, 28 mai 2013 et 29 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 984 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens si l'affaire est renvoyée, ou la somme de 17 952 euros ainsi que les dépens si l'affaire est jugée au fond ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Anfruns, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. A. ;
1. Considérant qu'aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du 4° du I de l'article 76 de la loi de finances pour 2006 du 30 décembre 2005 : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1, 25. Ces dispositions s'appliquent : / 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréé défini aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes (.) " ;
2. Considérant qu'ainsi que l'a relevé la cour administrative d'appel de Paris par son arrêt du 28 décembre 2012 contre lequel M. A. se pourvoit en cassation, ces dispositions s'inscrivent dans le cadre d'une réforme de l'impôt sur le revenu qui a consisté à supprimer l'abattement de 20 % dont bénéficiaient les traitements, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que les revenus professionnels des adhérents d'un centre de gestion ou d'une association agréés, cette suppression étant compensée par une réduction équivalente des taux du barème de l'impôt sur le revenu ; que cette modification du barème ayant concerné tous les contribuables, le législateur a décidé, afin de tenir compte de ce que certains revenus étaient auparavant exclus du bénéfice de l'abattement de 20 %, de majorer ces revenus de 25 % ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
3. Considérant qu'aux termes de cet article : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (.) assurer le paiement des impôts (.) "
4. Considérant que la cour a relevé que les centres de gestion ou associations agréés mentionnés au 7 de l'article 158 du code général des impôts ont été institués pour procurer à leurs adhérents une assistance technique en matière de tenue de comptabilité et favoriser une meilleure connaissance des revenus non salariaux, afin de mettre en uvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale, que le législateur a tenu compte de la spécificité du régime juridique des adhérents à un organisme de gestion agréé, et qu'il a, en contrepartie, encouragé sur le plan fiscal l'adhésion à un tel organisme ; qu'en jugeant que le traitement fiscal plus favorable appliqué aux adhérents des centres de gestion et associations agréés, qui ne supportent pas la majoration de 25 % appliquée en vertu des dispositions précitées du code général des impôts aux contribuables qui ne sont pas adhérents, était justifié par la volonté du législateur d'encourager l'adhésion à ces organismes, tout en précisant que l'existence de ceux-ci contribue à l'amélioration des conditions d'établissement et de recouvrement de l'impôt et à la mise en uvre de l'objectif de lutte contre l'évasion fiscale, la cour a suffisamment justifié le motif d'intérêt général que le législateur a poursuivi par l'instauration des dispositions litigieuses ; que, par suite, en déduisant de ce qui précède que les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts n'étaient pas contraires aux stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
5. Considérant qu'aux termes de cet article : " 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. " ;
6. Considérant qu'en jugeant que les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts, qui visaient à encourager l'adhésion de certaines catégories de contribuables à des organismes de gestion agréés, n'avaient ni pour objet ni pour effet de contraindre ceux-ci à adhérer à une association et ne portaient donc pas atteinte à la liberté d'association, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de qualification juridique ; que, dès lors, le requérant ne peut utilement contester le motif par lequel la cour a jugé, de façon surabondante, qu'en admettant même que ces dispositions puissent être regardées comme portant atteinte à la liberté d'association, cette atteinte ne saurait être regardée comme revêtant un caractère disproportionné par rapport aux buts d'intérêt général poursuivis par le législateur ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Considérant qu'aux termes de cet article : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non-discrimination qu'il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par la convention et ses protocoles ; que dès lors, il appartient à tout requérant qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ;
8. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que la cour a pu juger, sans entacher son arrêt de dénaturation, que M. A. n'avait pas précisé le droit ou la liberté, reconnus par la convention ou ses protocoles, qu'aurait méconnus la discrimination qu'il invoquait au titre des stipulations de l'article 14 de la convention ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 §1 et § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
9. Considérant qu'aux termes de cet article : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (.). / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie " ;
10. Considérant que, comme l'a jugé la cour, la majoration de 25 % prévue par le 7 de l'article 158 du code général des impôts, dont l'objet est rappelé au point 2, ne résulte ni d'une accusation en matière pénale ni d'une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil et n'institue ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction ; qu'il suit de là qu'en jugeant que M. A. ne pouvait pas utilement se prévaloir, à l'encontre de ces dispositions, des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
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1. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A. n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ; que ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de M. A. est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B. A. et au ministre des finances et des comptes publics.