COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE Opp. Taxes
ORDONNANCE SUR CONTESTATION
D'HONORAIRES D'AVOCATS
DU 15 OCTOBRE 2015
N°2015/302
Rôle N° 14/17575
UDAF DE LA CORRÈZE
C/
Emeric Y
Grosse délivrée
le
à
Me Philippe ...
Me Laurence ...
Décision déférée au Premier Président de la Cour d'Appel
Décision fixant les honoraires de M. Emeric Y rendue le
18 Août 2014 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de TOULON.
DEMANDERESSE
UDAF DE LA CORRÈZE, en qualité de tuteur de Monsieur Romain X,
demeurant TULLE
représentée par Me Philippe CLARISSOU, avocat au barreau de TULLE
DÉFENDEUR
Monsieur Emeric Y, avocat
demeurant TOULON
représenté par Me Laurence GUILLAMOT, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 02 septembre 2015 en audience publique devant
Monsieur Benoit DELAUNAY, conseiller,
délégué par ordonnance du premier président.
Greffier lors des débats Madame Jessica FREITAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2015.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2015,
Signée par Monsieur Benoit DELAUNAY, conseiller et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FATS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 11 octobre 2004, Romain X, mineur pour être né le 15 novembre 1987, était grièvement blessé dans une collision avec le véhicule conduit par Monsieur Bernard ... alors qu'il circulait en cyclomoteur sur la commune de Darnets du département de la Corrèze.
Par décision du juge des tutelles d'Ussel en date du 22 juin 2006, l'enfant était mis sous la tutelle de sa mère, Madame Sylvie ..., qui, le 1er septembre 2006, signait une convention d'honoraires avec Maître Emeric Y stipulant un honoraire fixe de 2.000 euros HT et un honoraire de résultat s'élevant au pourcentage de 9% HT sur les sommes en capital (ou représentants les arréages échus de rente) et de 5 % HT sur le montant capitalisé des sommes perçues sous forme de rente.
Par jugement du 16 août 2012, le tribunal de grande instance de instance de Brive condamnait Monsieur Bernard ... et sa compagnie d'assurance à payer à Romain X les somme de
- 2.229'987,62 euros au titre des préjudices définitivement fixés,
- 67.352 euros au titre des frais d'aménagement du véhicule,
- 257 euros au titre des frais divers,
- 55.531,52 euros au titre des dépenses de santé actuelles et futures.
Le 14 septembre 2012, Madame ..., ès qualités de tutrice, autorisait Maître Emeric Y à prélever sur les sommes encaissées celle de 229.654,91 euros au titre de l'honoraire de résultat stipulé dans la convention d'honoraires.
Le 9 octobre 2012, le juge des tutelles de Tulle, s'interrogeant sur la validité de la convention passée et relevant le caractère exagéré des honoraires au regard du service rendu par le conseil, désignait l'UDAF de la Corrèze en qualité de tuteur ad hoc avec pour mission de choisir un avocat afin d'engager les recours utiles contre Emeric Y, avocat au barreau de Toulon.
Le 18 août 2014, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulon, saisi par l'UDAF de la Corrèze le 19 décembre 2013, après recueil des observations des parties et prorogation du délai selon décision du 14 avril 2014, par référence aux dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, et en application de la convention d'honoraires du 1er septembre 2006 estimée valide par lui, a
- débouté l'UDAF de la Corrèze, ès qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X, de sa contestation d'honoraires,
- fixé à la somme de 229.654,91 euros TTC le montant des honoraires dus à Maître Emeric Y par l'UDAF de la Corrèze,ès qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X avec intérêt de droit à compter de la présente décision, ainsi que les frais huissiers de justice, en cas de signification de la présente décision,
-dit en conséquence que l'UDAF de la Corrèze, ès qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X ne reste devoir, déduction faite des provisions versées, aucun solde d'honoraires.
Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 28 août 2014, reçue et enregistrée le 1er septembre 2014, l'UDAF de la Corrèze a formé recours contre ladite décision du bâtonnier.
Dans ses écritures développées oralement à l'audience, la requérante, représentée, fait grief au bâtonnier de ne pas avoir statué sur sa demande dans le délai imparti. Elle soutient que la convention signée le 1er septembre 2006 est nulle pour s'analyser comme un acte de disposition et non un acte d'administration, de même que le paiement intervenu par l'autorisation de prélèvement du 14 septembre 2012, alors que la réforme de la gestion du patrimoine des personnes en tutelle était entrée en vigueur dans son ensemble au 1er janvier 2009. Elle demande que les honoraires de Maître Emeric Y soient fixés à la somme de 28.000 euros HT selon les critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et que celui-ci procède au remboursement du surplus des sommes versées entre les mains du tuteur ad hoc.
Dans ses observations orales, reprenant les termes de ses conclusions, Maître Emeric Y, représenté, fait valoir que la décision du bâtonnier n'est pas tardive. Elle soutient, d'une part, que la convention d'honoraires est valable pour avoir été signée avant l'entrée en vigueur du décret du 22 décembre 2008 et n'avait pas être soumise à l'autorisation préalable du juge des tutelles, et, d'autre part, que le règlement de ses honoraires ne constitue qu'un acte pris en exécution de ce contrat. Il sollicite, à titre principal, la confirmation de l'ordonnance entreprise, et, subsidiairement, la fixation de ses honoraires à la somme de 229.654,91 euros TTC, avec intérêt de droit à compter de l'ordonnance du bâtonnier. Il demande que l'UDAF de la Corrèe soit condamnée à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la forme
Attendu, en premier lieu, que les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité du recours formé dans les délais et selon les formes prescrites par l'article 176 du décret du 27 novembre 1991 ;
Qu'il sera en conséquence déclaré recevable ;
Attendu, en second lieu, il ressort des pièces versées aux débats qu'après prorogation intervenue le 14 avril 2014 avant l'expiration du premier délai de quatre mois, le bâtonnier saisi le 19 décembre 2013 a rendu sa décision le 18 août 2014 dans le délai de huit mois dont il disposait et après avoir recueilli préalablement les observations des parties ;
Qu'en conséquence, et contrairement à ce que soutient la requérant, la décision est dés lors régulière en la forme ;
Sur le fond
Sur l'autorisation de prélèvement
Attendu que même s'ils ne sont que la conséquence de l'engagement souscrit le 1er septembre 2006 dans la convention d'honoraires, les paiements effectués par Madame ..., ès qualités de tutrice, doivent être examinés, pour l'appréciation de leur validité, avant que soit abordée la question de l'appréciation de la régularité de ladite convention d'honoraires ;
Qu'en effet si ce contrat a été conclu avant le 1er janvier 2009, date d'entrée en vigueur de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, en revanche les paiements effectués sous forme d'une autorisation de prélèvement donnée le 14 septembre 2012 ont, eux, été réalisés après l'entrée en vigueur, intervenue à la même date que la loi qu'il complète, du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 'relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil' ;
Attendu que ce décret, qui définit les actes d'administration comme 'les actes d'exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal', et les actes de disposition comme ceux ' qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire', et dont les annexes 1 et 2 sont établies sous forme de tableaux, classe les 'paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital ' non dans la liste de l'annexe 1, colonne 1, relative aux actes regardés comme actes d'administration (c'est à dire, selon la doctrine
1
1 Anne Karm, ... des Facultés de Droit, in JurisClasseur Notarial LexisNexis Fasc. 34 n°10 MAJEURS PROTÉGÉS . ' Curatelle et tutelle . ' Effets patrimoniaux de la curatelle et de la tutelle . ' Classification des actes.
, dont nous adoptons la formulation, comme bénéficiant d'une présomption irréfragable et devant donc être, en toute hypothèse, regardés comme des actes d'administration), mais dans la liste de l'annexe 2, colonne 1 répertoriant les 'actes regardés comme des actes d'administration sauf circonstances d'espèce', c'est à dire, selon le même auteur, comme bénéficiant d'une présomption simple de qualification qui peut être écartée si 'les circonstances d'espèce ne permettent pas au tuteur de considérer qu'ils répondent au critère de l'alinéa 1er [des articles 1 et 2 du même décret]', 'en raison de leurs conséquences importantes' ou, au contraire, 'en raison de leurs faibles conséquences"sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie' et laissant donc au tuteur, sous sa responsabilité, le pouvoir de disqualifier l'acte improprement regardé comme un acte d'administration et de demander une autorisation pour agir ;
Attendu en l'espèce, qu'estimant régulière la convention d'honoraires qu'elle avait conclue avec Maître Emeric Y, Madame ... n'en devait pas moins, au moment du règlement de la dette issue de cette convention, examiner, au regard du droit positif alors applicable, si les paiements qu'elle allait effectuer par autorisation de prélèvement, constituaient ou non des actes d'administration, et, dans le doute, notamment quant aux éventuelles conséquences importantes de ces paiements sur le contenu ou la valeur du patrimoine de Monsieur Romain X, saisir le juge des tutelles ;
Attendu qu'à l'évidence, même rapportée à l'indemnisation globale obtenue par Monsieur Romain X de plus de deux millions d'euros, la somme totale de 229.654,91 euros versée à Maître Emeric Y avait des effets non négligeables sur le patrimoine du majeur protégé ;
Que le fait que ce capital ait été obtenu par l'industrie de Maître Emeric Y est parfaitement indifférent à l'appréciation de l'importance des conséquences de l'amputation de ce capital pour la qualification de l'acte de paiement de ses honoraires ;
Qu'ainsi, indépendamment de la question de la régularité de la convention d'honoraires, il apparaît que les règlements litigieux, -qui n'étaient pas des actes d'administration-, effectués par Madame ..., ès qualités de tutrice, sans autorisation du juge des tutelles sont nuls et que c'est à tort que Maître Emeric Y se prévaut, - et que le bâtonnier dans sa décision querellée a fait application du principe -, de l'interdiction de remise en cause d'honoraires ayant fait l'objet, après service rendu, d'un paiement auquel la tutrice ne pouvait librement consentir ;
Sur la convention d'honoraires
Attendu que, même appréciée au regard de la législation antérieure à la loi susvisée du 05 mars 2007, la convention d'honoraires litigieuse stipulant un honoraire de résultat s'élevant au pourcentage de 9% HT sur les sommes en capital(ou représentants les arréages échus de rente) et de 5 % HT sur le montant capitalisé des sommes perçues sous forme de rente constitue indubitablement un acte de disposition et non de simple administration et requerrait l'autorisation du juge des tutelles ;
Attendu que n'ayant pas reçu l'autorisation de signer la convention d'honoraires du 1er septembre 2006,Madame ..., es qualité, ne pouvait s'engager et cette convention est dés lors nulle et de nul effet ;
Sur les honoraires dus à Maître Emeric Y
Attendu que l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 énonce en son alinéa 1er que les honoraires de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client et en son alinéa 2, dont l'énumération des critères est limitative, qu'à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'enfin il précise, en son alinéa 3, qu'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ;
Qu'il en résulte que nonobstant la référence ' aux usages ' aucun honoraire de résultat n'est dû s'il n'a pas été expressément stipulé dans une convention préalablement conclue entre l'avocat et son client ;
Attendu, en l'espèce, qu'en l'état de la nullité de la convention d'honoraires du 1er septembre 2006, il y a lieu de fixer les honoraires de Maître Emeric Y par application des critères légaux précités;
Attendu qu'à l'appui de sa demande de fixation d'honoraires à la somme de 28.000 euros hors taxes, l'UDAF de la Corrèze ne produit aucun élément ;
Attendu, s'agissant du critère tiré de la situation de fortune du client, que les parties n'ont pas été très prolixes, dans leurs écritures et à la barre, sur ce point ;
Que cependant la lecture des pièces permet d'apprendre que le client de Maître Emeric Y, représenté par sa mère en qualité de tutrice, était un jeune majeur dépourvu de ressources personnelles ;
Attendu que s'agissant de la difficulté de l'affaire, celle confiée à Maître Emeric Y portait sur l'indemnisation d'un préjudice personnel important et très discuté nécessitant des connaissances spécifiques ;
Attendu que s'agissant des frais exposés par l'avocat, ceux engagés par Maître Emeric Y ont été les suivants ouverture du dossier, frais de secrétariat pour la rédaction des lettres et actes divers, frais téléphonique, informatiques et frais de gestion de cabinet ;
Attendu que s'agissant de la notoriété de Maître Emeric Y, elle est établie, notamment au regard de la nature de l'affaire qui lui a été confiée relative à une victime cérébrolésée, par ses titres universitaires, par son ancienneté de barre et par les nombreuses publications et participations à divers colloques qui en font un spécialiste reconnu de la matière ;
Attendu que s'agissant des diligences accomplies, elles ont été précisées dans les conclusions établies par Maître Emeric Y, et ne sont d'ailleurs pas contestées par l'UDAF de la Corrèze, et ont consisté, principalement, durant plusieurs années, en l'étude des dossiers et des pièces adverses, à la rédaction d'assignations et de conclusions et à sa présence aux audiences de plusieurs juridictions, notamment devant la cour d'appel, entraînant des déplacements sur de longues distances ;
Attendu qu'au regard de l'ensemble des critères légaux et des éléments déterminés ci-dessus, il y a lieu de fixer le montant des honoraires de Maître Emeric Y à la somme de 100.000 euros HT, soit 119.600 euros TTC ;
Que Maître Y ayant perçu la somme de 229.654,91 euros TTC, doit donc restituer à l'UDAF de la Corrèze, agissant en qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X, le trop perçu de [ 229.654,91- 119.600 = ] 110.054,91 euros TTC ;
Attendu que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Attendu que les dépens seront à la charge de la partie succombante.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, sur recours en matière de contestation d'honoraires,
Déclarons recevable le recours formé par l'UDAF de la Corrèze,
Infirmons la décision rendue le 18 août 2014 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulon et statuant à nouveau,
Déclarons nul au regard de l'annexe 2, colonne 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, le paiements d'honoraires prélevés le 14 septembre 2012 sans autorisation du juge des tutelles ;
Déclarons de nul effet la convention d'honoraires en date du 1er septembre 2006 non approuvée par le juge des tutelles ;
Fixons à la somme de 100 000 euros HT, soit 119.600 euros TTC le montant total des honoraires dus par l'UDAF de la Corrèze agissant en qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X ;
Disons en conséquence qu'ayant perçu la somme de 229.654,91 euros TTC, Maître Emeric Y doit restituer à l'UDAF de la Corrèze agissant en qualité de tuteur ad hoc de Monsieur Romain X, la somme de 110.054,91 euros TTC, et, en tant que de besoin, le condamnons au paiement de cette somme ;
Déboutons les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Laissons les dépens à la charge de Maître Emeric Y.
Ainsi prononcé par la mise à disposition de la présente décision au greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée ci-dessus dont les parties comparantes avaient été avisées à l'issue des débats.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT