AVIS SUR QUESTION DU GOUVERNEMENT
MINUTE DE L'AVIS
Rapport d'activité 2014
7. Les avis rendus par le Conseil d'État en 2013
Assemblée générale (section sociale) - Avis n° 387895 - 26 septembre 2013
Actes législatifs et administratifs - Application dans le temps - Entrée en vigueur -
Modalités d'application dans le temps de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du
Conseil constitutionnel - Validité des textes conventionnels de branches professionnelles
et interprofessionnelles antérieures à la décision du Conseil constitutionnel - Existence -
Durée de la période de validité - Notion de « terme normal » - Périodicité maximale de
5 ans
Santé publique - Protection complémentaire de santé et prévoyance - Autonomie des
partenaires sociaux - Domaine de la négociation - sécurité sociale - Domaine de la loi
Assurance et prévoyance - Organismes assureurs - Accords de branche - Liberté
contractuelle - Liberté d'entreprendre - Clause de recommandation - Avantage fiscal
pour les entreprises s'y conformant - Proportionnalité avec l'objectif attendu - Droit à la
protection de la santé - Critères objectifs et rationnels de solidarité au niveau de la
branche.
DEMANDE D'AVIS relative à l'organisation de la protection complémentaire collective en matière de santé et
de prévoyance
Le Conseil d'État, saisi par le Premier ministre d'une demande d'avis portant :
- sur les modalités d'application dans le temps de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil
constitutionnel en ce qu'elle a, en son article 3, déclaré contraire à la Constitution l'article L. 912-1 du code de
la sécurité sociale et précisé, en son article 4, que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 3 prenait effet
« à compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au considérant 14 » ;
- sur les évolutions qui devraient être apportées au cadre légal des assurances complémentaires en matière de
santé et de prévoyance afin que ceux-ci relèvent du droit de la sécurité sociale ;
- sur trois solutions alternatives qui, sans modifier la nature juridique de ces régimes, tendraient à aménager,
dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel, les conditions de mutualisation au sein de chaque branche
professionnelle selon des principes de solidarité et d'équité entre les salariés et les entreprises de la branche ;
Vu la Constitution, notamment son article 34 ;
Vu la décision n° 2013-672 DC du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 (loi relative à la sécurisation de
l'emploi) ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), notamment ses articles 101, 102 et 106 ;
Vu le code des assurances, notamment son article L. 113-12 ;
Vu le code de la mutualité, notamment son article L. 221-1 ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment ses articles L. 911-1, L. 911-3 et L. 912-1 ;
Vu le code du travail, notamment ses articles L. 2122-4 et L. 2253-2 ;
Vu la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 modifiée ;
EST D'AVIS de répondre dans le sens des observations qui suivent :
1. Le Conseil constitutionnel a été saisi de griefs dirigés contre l'article 1er de la loi adoptée par le Parlement
qui, dans le cadre du processus de généralisation de la couverture complémentaire des salariés au titre des
frais de santé qu'il organisait, complétait les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, qui
faisaient référence à la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure des accords professionnels ou
interprofessionnels, en application de l'article L. 911-1 du même code, prévoyant une mutualisation des risques
ou recommandant, sans valeur contraignante, aux entreprises d'adhérer pour les risques dont ils organisent la
couverture à un ou plusieurs organismes. Le 2° du II de l'article 1er du projet adopté précisait que la mise en
oeuvre de telles clauses de recommandation ou de désignation devrait désormais être précédée d'une mise en
concurrence des organismes assureurs mentionnés à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 susvisée
renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, à savoir des institutions de
prévoyance, des mutuelles ou unions de mutuelles ou des sociétés d'assurances.
2. Les saisissants contestaient également la conformité à la Constitution de l'article L. 912-1 du code de la
sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à l'adoption de la loi déférée au Conseil constitutionnel, en ce
qu'il mentionnait la faculté pour les accords professionnels ou interprofessionnels de prévoir une
« mutualisation des risques » dont ils organisent la couverture auprès d'un ou plusieurs organismes assureurs,
« auquel adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de ces accords », et
précisait que lorsque les accords dont il s'agit « s'appliquent à une entreprise qui, antérieurement à leur date
d'effet, a adhéré ou souscrit à un contrat auprès d'un organisme différent de celui prévu par les accords pour
garantir les mêmes risques à un niveau équivalent », les stipulations de l'accord de niveau supérieur doivent
primer, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 2253-2 du code du travail.
3. Était ainsi en cause devant le Conseil constitutionnel la conformité à la Constitution des dispositions
autorisant deux types de clauses présentes dans certains des accords de branche ayant mis en place une
couverture complémentaire pour les frais de santé :
- les clauses dites de désignation, qui font obligation aux entreprises relevant du champ d'application de
l'accord de branche de souscrire les garanties qu'il prévoit auprès d'un ou plusieurs organisme(s) assureur(s)
que cet accord désigne ;
- les clauses dites de migration, qui imposent à celles des entreprises qui étaient dotées d'un dispositif propre
de couverture pour les risques couverts par l'accord de branche ou les stipulations contenues dans la
convention collective nationale de la branche de résilier leur contrat d'assurance et de se placer sous le régime
défini par l'accord de branche et mis en oeuvre par le ou les organismes désignés.
4. Le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur avait ainsi entendu faciliter l'accès de toutes les
entreprises d'une même branche à une protection complémentaire et assurer un régime de mutualisation des
risques, en renvoyant aux accords professionnels et interprofessionnels le soin d'organiser la couverture de ces
risques auprès d'un ou plusieurs organismes de prévoyance. Il a considéré que, ce faisant, le législateur avait
poursuivi un but d'intérêt général.
5. Toutefois, il a constaté qu'en vertu des dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, toutes
les entreprises qui appartiennent à une même branche professionnelle peuvent se voir imposer non seulement
le prix et les modalités de la protection complémentaire mais également le choix de l'organisme de prévoyance
chargé d'assurer cette protection parmi les entreprises régies par le code des assurances, les institutions
relevant du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale, à savoir les « institutions de prévoyance », et les
mutuelles relevant du code de la mutualité. Il a estimé que « si le législateur peut porter atteinte à la liberté
d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant
que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de
référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la
branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence, il ne saurait
porter à ces libertés une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné
par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini ; que par suite, les
dispositions de ce premier alinéa méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre ».
6. Et s'agissant des clauses dites de migration, le Conseil constitutionnel a relevé que
« d'autre part, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 912-1 permettent d'imposer que, dès l'entrée en
vigueur d'un accord de branche, les entreprises de cette branche se trouvent liées avec l'organisme de
prévoyance désigné par l'accord, alors même qu'antérieurement à celui-ci, elles seraient liées par un contrat
conclu avec un autre organisme ; que pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 11 et sans qu'il
soit besoin d'examiner le grief tiré de l'atteinte aux conventions légalement conclues, ces dispositions
méconnaissent également la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre ».
7. Le Conseil constitutionnel a déduit des motifs qui viennent d'être rappelés que « les dispositions de l'article L.
912-1 du code de la sécurité sociale portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte
disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques ; que sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres griefs dirigés contre le 2° du paragraphe II de l'article 1er de la loi déférée, ces dispositions
ainsi que celles de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale doivent être déclarées contraires à la
Constitution. »
I. Sur les modalités d'application dans le temps de la décision du Conseil constitutionnel
8. Le Gouvernement souhaite à ce titre être éclairé sur la portée des dispositions relatives à l'application dans
le temps figurant à l'article 4 de la décision du Conseil constitutionnel, suivant lequel « La déclaration
d'inconstitutionnalité de l'article 3 prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les
conditions prévues au considérant 14. »
9. Le considérant 14 est ainsi rédigé : «
Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1
du code de la sécurité sociale prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle n'est
toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les
entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la
sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ; ».
10. Sur le fond, les questions posées par le Gouvernement dans le cadre de la première partie de sa demande
s'ordonnent autour d'une alternative touchant à l'interprétation des termes du considérant 14, selon qu'il est
analysé comme ayant entendu réserver l'application :
- soit des seuls actes contractuels en cours qui lieraient directement les entreprises aux organismes assureurs
désignés par des accords collectifs ou des conventions collectives nationales ;
- soit des actes ayant le caractère de conventions ou d'accords collectifs ayant procédé à la désignation
d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les
partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire des actes contractuels signés par eux avec les
organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de
branche et ses modalités de mise en oeuvre effective.
11. A cet égard, une lecture des seuls termes du considérant 14 pourrait porter à retenir la première
interprétation, la plus restrictive, en ce qu'ils ne semblent faire mention que des seuls entreprises et
organismes assureurs.
12. Un faisceau d'arguments d'ordre juridique ou touchant aux modalités de fonctionnement effectives de tels
dispositifs de mutualisation conduit toutefois à retenir la seconde interprétation, comme la plus conforme à
l'intention du Conseil constitutionnel.
13. En premier lieu, la formulation du considérant 14 ne conduit pas de façon univoque à y lire une référence à
des contrats passés directement entre les entreprises et les organismes assureurs, en ce qu'elle ne mentionne
pas les contrats « souscrits entre » les entreprises et les organismes assureurs mais les contrats « pris sur le
fondement », à savoir celui de l'article L. 912-1, cité dans la phrase précédente.
14. En deuxième lieu, la lecture du considérant 11 de la même décision, selon lequel le législateur «
ne saurait
porter à ces libertés une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné
par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini (
) », montre un usage du
terme contrat qui tend à désigner l'acte de nature conventionnelle signé par les partenaires sociaux de la
branche.
15. En troisième lieu, le dernier alinéa du commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel
donne une indication susceptible d'étayer l'interprétation couvrant les actes conventionnels antérieurs conclus
à l'échelon de la branche, en relevant qu' « ainsi, la censure de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale
doit-elle conduire à ce qu'aucune nouvelle convention ne soit passée sur le fondement de ces dispositions. Les
conventions déjà conclues continueront de produire leurs effets jusqu'à leur terme normal. » Si le terme de
convention revêt une portée générique, il semble raisonnable de l'interpréter comme faisant référence à des
actes de portée conventionnelle liant les partenaires sociaux de la branche, dans le contexte général de la
décision et compte tenu de son objet qui était de se prononcer sur la légalité de dispositions législatives
autorisant implicitement l'incorporation dans les textes conventionnels de branche de clauses de désignation
et de migration en posant certaines exigences de mise en concurrence préalable à la désignation des
organismes assureurs.
16. En quatrième lieu, l'examen tant des dispositions pertinentes du code de la sécurité sociale, du code de la
mutualité et du code des assurances que du fonctionnement concret des dispositifs de mutualisation en
vigueur montre qu'il n'y a pas d'espace véritable qui serait ouvert à la négociation contractuelle entre chaque
entreprise et le ou les organisme(s) assureur(s) désigné(s), dans le cadre et dans les limites du champ des
garanties mutualisées définies à l'échelon de la branche. Cela ressort expressément, lorsque le ou les
organisme(s) sont des institutions de prévoyance ou des mutuelles, des dispositions respectives des articles L.
932-1 du code de la sécurité sociale et L. 221-1 du code de la mutualité selon lesquelles l'employeur adhère sur
la base d'un bulletin d'adhésion aux statuts et au règlement de l'institution, qui prévoient notamment le
régime de couverture complémentaire, et que chacun des salariés est tenu d'adhérer pareillement à la
mutuelle ou à l'union de mutuelles en signant un bulletin d'adhésion. A supposer que ces actes d'adhésion
puissent être qualifiés de contrats, il s'agirait en tout état de cause de contrats d'adhésion ne procédant pas