ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Criminelle
16 Juin 1998
Pourvoi N° 97-80.138
Diaz ... et autres
IRRECEVABILITÉ et REJET des pourvois formés par Diaz Philippe,Cavalieros ..., la société IPSI, la société Sofregaz, civilementresponsables, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles,8e chambre, du 10 décembre 1996, qui, pour marchandage, les acondamnés chacun à 20 000 francs d'amende et a ordonné la publicationde la décision. LA COUR, Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I Sur les pourvois formés par les sociétés Ipsi et Sofregaz
Sur leur recevabilité
Attendu que ces sociétés ayant été mises hors de cause par l'arrêtattaqué, leur pourvoi est irrecevable, faute d'intérêt ;
II. Sur les pourvois formés par Philippe ... etPierre Cavalieros
Vu les mémoires ampliatifs, le mémoire additionnel et le mémoireen défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Pierre ... la société civile professionnelle Defrénois et Lévis et pris dela violation de l'article 125-1 du Code de travail, 388, 591 et 593du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de baselégale
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Philippe ... etPierre Cavalieros coupables du délit de marchandage, les a condamnéschacun à 20 000 francs d'amende et a ordonné la publication de leurcondamnation ;
" aux motifs que l'article L 125-1 du Code du travail interdittoute opération à but lucratif de fourniture de main-d' uvre qui apour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne oud'éluder l'application des dispositions de la loi, de règlement ou deconvention ou accord collectif de travail ; que ce texte n'exige pasque l'opération prohibée concernant le main-d' uvre ait un caractèreexclusif ; qu'il ressort du procès-verbal de l'inspecteur du Travailet des documents annexés que, courant 1991 et 1992, 4 contrats ditsde sous-traitance ont été conclus entre la société Ipsi et la sociétéSofregaz par lesquels la première s'est engagée à mettre à ladisposition de la seconde, dans le cadre de marchés signés parcelle-ci et concernant le "procurement" des équipements d'une usinede traitement de gaz en Iran et d'un terminal méthanier au Portugal,du personnel qualifié en achats pour effectuer les prestations delancement d'offres, de présélection des fournisseurs de matériel, denégociation et de rédaction de commandes ; que les salariés concernésont été nommément désignés dans chacun de ces contrats desous-traitance, comme l'indique l'inspecteur du Travail et comme leconfirme l'examen de 2 de ces contrats, joints à la procédure, endate des 5 septembre 1991 et 18 février 1992 mentionnant quel'intervenant homologué pour l'exécution du premier estGilbert Cortesi et pour l'exécution du second Hugues ... ;
que, selon les mêmes documents, la société Ipsi a effectivement mis àla disposition de la société Sofregaz, respectivementAndré Pousanoff, recruté le 23 avril 1991, et Gilbert ...,recruté le 7 octobre 1991 ; pour la sous-traitance des opérationsd'achats du matériel nécessaire à la construction de l'usine detraitement de gaz en Iran, Hugues ..., recruté le9 mars 1992 et Gérard ..., recruté le 20 mai 1992, pour lasous-traitance des opérations de procurement des équipements duterminal méthanier au Portugal ; que, pareillement, il est intervenule 24 novembre 1992, entre la société Mobil Oil et la société Ipsi,un contrat par lequel la première a sous-traité à la seconde lesachats de matériels divers pour raffinage et pétrochimie, dontl'exécution a été confiée à Jean-Marie ..., recruté par la société Ipsi le 29 avril 1991 ; qu'il faut, cependant, observer quece même salarié avait déjà été désigné, dans un document intitulé"conditions commerciales de sous-traitance", en date du18 avril 1991, comme la personne chargée de l'exécution de la mêmemission, à compter du 2 mai 1991 pour une durée de 6 mois ; qu'enréalité, ces contrats recouvrent la fourniture de main-d' uvre par la société Ipsi à ses partenaires commerciaux pour faire face à unsurcroît d'activité ; qu'en effet, il faut relever que ses salariésont été embauchés à une date très voisine de celle des conventionsprévoyant leur mise à disposition des sociétés Sofregaz et Mobil Oilet ils n'ont fait qu'effectuer des tâches pour le compte de cesdernières, dans leurs locaux, et avec les moyens qu'elles leurconfiaient ; que l'inspecteur du Travail a mentionné, dans sonrapport, les explications de Philippe ... qui lui a indiqué, en cequi concerne Jean-Marie ... il s'agit de renforcer le serviceachat de Mobil Oil, en mettant à sa disposition un cadre compétent,tant au niveau technique qu'au niveau commercial ;
que M. ..., l'un des responsables de la société Mobil Oil, aprécisé que "la prestation de Jean-Marie ... n'était passpécifique" ; que, s'agissant des 4 personnes appelées à travaillerpour le compte de la société Sofregaz, la concomitance de leurengagement et de leur désignation dans les contrats dits desous-traitance individualisés établit que l'objet de ceux-ci estprincipalement la mise à disposition réalisée ; qu'à cet égard,M. ..., responsable du service "procurement" de la sociétéSofregaz, a indiqué que cette dernière a fait appel à la société Ipsià la suite d'un afflux de contrats au même moment ; qu'il estconstant que les personnels mis à la disposition des sociétésutilisatrices étaient choisis par ces dernières, ce qui est peuévocateur de l'accomplissement autonome de prestations de servicespar la société Ipsi ; que, devant la Cour, Philippe ... a déclaréque les missions étaient consécutives au fait que les clients de la société Ipsi devaient faire face à des contrats importants et à unlourd plan de charge ; que le contrat d'assurance souscrit par la société Ipsi pour garantir sa responsabilité civile etprofessionnelle n'est pas incompatible avec cette activité defourniture de main-d' uvre ; qu'il en est de même du maintien deliens entre les salariés concernés et la direction de la sociétéIpsi, dès lors que, selon les écritures mêmes des prévenus, il nes'agissait que de contacts en vue de solliciter des conseils ouéclaircissements, étant noté que, devant la Cour, il a été admis queces salariés étaient parfaitement intégrés aux équipes de travail dessociétés utilisatrices ; que le caractère onéreux et le but lucratifde cette fourniture de main-d' uvre sont manifestement établis par ladifférence entre, d'une part, les conditions financières stipuléesdans les contrats dits de sous-traitance conclus entre les sociétésMobil Oil et Sofregaz et la société Ipsi et, d'autre part, lesrémunérations prévues dans les contrats de travail liant cettedernière et les salariés concernés, sans que cette différence trouveson explication dans l'incidence des seules charges sociales ;
qu'ainsi le document intitulé "conditions commerciales desous-traitance", déjà évoqué, intervenu entre la société Mobil Oil etla société Ipsi et portant mise à disposition de Jean-Marie ...,mentionne un prix forfaitaire de 41 000 francs par mois, alors que larémunération mensuelle du salarié est de 18 000 francs brut ; que lacomparaison du contrat de sous-traitance signé entre Sofregaz et Ipsiet portant désignation à Gilbert ..., et du contrat de travail dece dernier, fait apparaître une différence du même ordre(respectivement 40 000 francs et 19 000 francs) ; qu'il ressort desconstatations et observations non critiquées de l'inspecteur duTravail qu'à l'époque des faits, la société Mobil Oil appliquait laconvention collective du pétrole et la société Sofregaz appliquaitcelle des bureaux d'études, alors que la société Ipsi se référait, enfait, à la convention collective des commerces de gros, moinsfavorable que les précédentes ; que les salariés de cette dernière,mis à la disposition de Mobil Oil et Sofregaz, dans les conditionsci-dessus évoquées, ont été privés de l'application des conventionscollectives des entreprises utilisatrices ;
qu'en outre, comme le relève également, à juste titre, l'inspecteurdu Travail, les salariés concernés ont été recrutés, en vertu decontrats à durée déterminée, pour une durée minimale, contrairementaux prévisions des articles L 122-1, L 122-1-1, L 122-1-2 etL 122-2 du Code du travail, définissant strictement les conditionsdu recours à de tels contrats ; qu'il s'ensuit que les opérations àbut lucratif de fourniture de main-d' uvre incriminées ont eu poureffet de causer un préjudice aux salariés concernés et d'éluderl'application de conventions collectives favorables ; que le recoursfréquent, voire habituel, à de telles opérations démontre que leurssignataires ont délibérément recherché cet effet, dans le cadre d'unestratégie de contournement des dispositions de la législation dutravail ; que, dès lors, en concluant de telles opérations,Philippe ... et Pierre ..., en leur qualité deprésident-directeur général des sociétés Ipsi et Sofregaz, ont commisle délit de marchandage qui leur est reproché et qui se trouvecaractérisé en tous ces éléments constitutifs, étant précisé que, euégard aux explications des prévenus pendant les débats, la date decommission doit être fixée courant 1991 et 1992, et notamment les18 avril 1991, 5 septembre 1991 et 18 février 1992 ; que de tellespratiques, consciemment mises en uvre, revêtent une gravitécertaine, en ce qu'elles portent atteinte à la fois aux intérêts dessalariés et aux autres entreprises qui ne s'y livrent pas ; qu'ellesdoivent donc faire l'objet d'une répression sévère et dissuasive quirevêtira, en l'espèce, la forme d'une peine d'amende et d'unepublication de la présente décision ;
" alors que, d'une part, les juridictions correctionnelles nepeuvent légalement statuer que sur les faits relevés par l'ordonnanceou par la citation qui les a saisies, à moins que le prévenu n'aitaccepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; que les juges du fond nepeuvent, sous couvert des explications fournies par les prévenus lorsdes débats, étendre leur saisine à des faits non visés à laprévention ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Versailles étaitsaisie de faits de marchandage commis le 29 juillet 1992 ; qu'enfixant la date de commission des faits courant 1991 et 1992 et,notamment, les 18 avril 1991, 5 septembre 1991 et le 18 février 1992,eu égard aux explications des prévenus pendant les débats, alorsqu'il n'est pas mentionné que les prévenus aient accepté d'être jugéspour des faits étrangers à la prévention, la cour d'appel a méconnule principe ci-dessus rappelé ;
" alors que, d'autre part, le délit de marchandage prévu etréprimé par l'article L 125-1 du Code du travail ne saurait êtreconstitué que s'il existe un fait matériel de fourniture demain-d' uvre à but lucratif, ayant pour effet de causer un préjudiceau salarié en éludant l'application de la loi, d'un règlement oud'une convention ou d'un accord collectif de travail ; que, dans sesconclusions d'appel, Pierre ... soulignait que la société Ipsine travaille que dans le cadre de contrats de sous-traitance et demanière spécifique ; qu'elle est appelée, non pour fournir dupersonnel mais pour assurer la partie procurement des équipementsd'une usine de traitement de gaz en Iran et d'un terminal méthanierau Portugal ; que le travail exécuté suppose des compétencesparticulières dans l'activité susvisée ; que la cour d'appel nepouvait omettre de s'expliquer sur le contenu des conclusions propresà établir un prêt de main-d' uvre parfaitement licite ;
" alors que, de troisième part, est interdite toute opération àbut lucratif de fourniture de main-d' uvre qui a pour effet de causerun préjudice au salarié qu'elle concerne ; qu'en affirmant que detelles pratiques de prêt de main-d' uvre illicites portaient atteinteaux autres entreprises qui ne s'y livraient pas, la cour d'appels'est déterminée par un motif inopérant et a méconnu les textes etprincipes visés au moyen " ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Pierre ... la société civile professionnelle Defrénois et Lévis et pris dela violation des articles 388, 591 et 593 du Code de procédurepénale, L 122-1-1, 3°, D 121-2, L 125-1, L 125-3 et L 152-3 duCode du travail, défaut et contradiction de motifs, manque de baselégale
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre ... coupabledu délit de marchandage et l'a condamné à la peine de 20 000 francsd'amende tout en ordonnant la publication par extrait de l'arrêtrendu ;
" aux motifs qu'il ressort du procès-verbal de l'inspecteur duTravail et des documents annexés que, courant 1991 et 1992,4 contrats dits de sous-traitance ont été conclus entre la sociétéIpsi et la société Sofregaz par lesquels la première s'est engagée àmettre à la disposition de la seconde, dans le cadre de marchéssignés par celles-ci et concernant le "procurement" des équipementsd'une usine de traitement de gaz en Iran et d'un terminal méthanierau Portugal, du personnel qualifié en achats pour effectuer lesprestations de lancement d'offres, de présélection des fournisseursde matériels, de négociation et de rédaction de commandes ; que lessalariés concernés ont été nommément désignés dans chacun de cescontrats de sous-traitance ; que, selon les mêmes documents, la société Ipsi a effectivement mis à la disposition de la sociétéSofregaz, respectivement André ..., recruté le 23 avril 1991,et Gilbert ..., recruté le 7 octobre 1991, pour la sous-traitancedes opérations d'achat du matériel nécessaire à la construction del'usine de traitement de gaz en Iran, Hugues ..., recruté le9 mars 1992, et Gérard ..., recruté le 20 mai 1992 pour lasous-traitance des opérations de procurement des équipements duterminal méthanier au Portugal ; que ces contrats recouvrent enréalité la fourniture de main-d' uvre par la société Ipsi à sespartenaires commerciaux pour faire face à un surcroît d'activité ;
qu'en effet les salariés ont été embauchés à des dates très voisinesde celles des conventions prévoyant leur mise à disposition de la société Sofregaz et n'ont fait qu'effectuer des tâches pour le comptede ces dernières, dans leurs locaux, et avec les moyens qu'elles leuront confiés ; que la concomitance de l'engagement des intéressés etde leur désignation dans les contrats dits de sous-traitanceindividualisés établit que l'objet de ceux-ci est principalement lamise à disposition réalisée ; qu'à cet égard, M. ..., responsabledu service "procurement" de la société Sofregaz, a indiqué que cettedernière a fait appel à la société Ipsi à la suite d'un afflux decontrats au même moment ; que Philippe ..., dirigeant de la sociétéIpsi, a déclaré que les missions étaient consécutives au fait que lesclients de la société devaient faire face à des contrats importantset à un lourd plan de charge ; qu'il est constant que les personnelsmis à disposition des sociétés utilisatrices étaient choisis par cesdernières ; que les salariés concernés, parfaitement intégrés auxéquipes de travail des sociétés utilisatrices, ne sont restés encontact avec la direction de la société Ipsi qu'en vue de solliciter des conseils ou éclaircissements ; que le caractère onéreux et le butlucratif de cette fourniture de main-d' uvre sont manifestementétablis par la différence entre, d'une part, les conditionsfinancières stipulées dans les contrats de sous-traitance conclusentre les sociétés Sofregaz et Ipsi et, d'autre part, lesrémunérations prévues dans les contrats de travail liant cettedernière et les salariés concernés, sans que cette différence trouveson application dans l'incidence des seules charges sociales ;
que, par ailleurs, les salariés de la société Ipsi, mis à ladisposition de la société Sofregaz, dans les conditions ci-dessusévoquées, ont été privés de l'application des conventions collectivesdes entreprises utilisatrices, plus favorables que celles applicablesdans l'entreprise ; qu'en outre, les salariés considérés ont étérecrutés en méconnaissance des dispositions des articles L 122-1,L 122-1-1, L 122-1-2 et L 122-2 du Code du travail régissant lerecours aux contrats à durée déterminée ; que de telles pratiques,consciemment mises en uvre, revêtent une gravité certaine, en cequ'elles procèdent d'une stratégie de contournement des dispositionsde la législation du travail et portent atteinte à la fois auxintérêts des salariés et aux autres entreprises qui ne s'y livrentpas (cf arrêt attaqué, pages 7, 8, 9 et 10) ;
" alors, d'une part, que le fait pour un employeur attributaired'importants marchés internationaux, d'avoir recours, dans le cadrede contrats de sous-traitance dûment formalisés et pour l'exécutiond'une prestation de services spécifique et clairement déterminée, àdes salariés hautement qualifiés d'une entreprise spécialiséedemeurant sous l'autorité et le contrôle de cette entreprise, ne peutêtre constitutif du délit de marchandage ; qu'en l'espèce, il ressortdes éléments du dossier et des propres constatations de l'arrêtattaqué que l'intervention des 4 ingénieurs concernés s'est inscritedans le cadre de contrats de sous-traitance dûment formalisés etconclus entre les sociétés Sofregaz et Ipsi ; que ces contratss'inscrivaient eux-mêmes dans le cadre plus vaste d'importantscontrats internationaux relatifs à la construction d'une usine detraitement de gaz en Iran et d'un terminal méthanier au Portugal ;
que les contrats de sous-traitance en cause avaient trait à uneprestation spécifique et clairement déterminée consistant, selonl'arrêt, dans le "procurement" des équipements, c'est-à-dire lelancement d'offres, la présélection des fournisseurs de matériels, lanégociation et la rédaction des commandes ; qu'il était, parailleurs, constant, comme relevé par l'arrêt, que les quatreingénieurs de la société Ipsi avaient été exclusivement affectés àcette prestation spécifique dans les locaux de la société Sofregaz etqu'ils étaient demeurés soumis à l'autorité et au contrôle de leuremployeur qui leur fournissait éclaircissements et conseils ;
qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, après avoir caractérisél'existence d'un véritable contrat de sous-traitance, la cour d'appeln'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations eta violé les textes et principes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de rechercher si ladifférence entre le prix forfaitaire convenu pour l'exécution de laprestation de services de la société Ipsi et le montant desrémunérations versées par cette même société à ses salariés necorrespondait pas aux prix normalement facturés par celle-ci à sesautres entreprises clientes, compte tenu notamment des frais générauxet de fonctionnement de l'entreprise, du coût de la formation d'unpersonnel hautement qualifié, des assurances souscrites, toutescirconstances établissant l'existence d'une véritable prestation deservices, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision auregard des textes et principes visés au moyen ;
" alors, de troisième part, qu'en se bornant à affirmer lecaractère prétendument plus favorable des conventions collectives desentreprises utilisatrices par rapport à celle applicable, au sein dela société Ipsi, sans autre précision quant aux dispositionsprétendument plus favorables dont les salariés concernés auraient étéprivés, la cour d'appel a encore une fois privé sa décision de baselégale au regard des textes visés au moyen ;
" alors, enfin, que le recours à des contrats à durée déterminéeest expressément autorisé, aux termes des articles L 122-1-1 3°, etD 121-2 du Code du travail, pour les chantiers de bâtiments ettravaux publics à l'étranger et pour les activités de coopération,d'assistance technique, d'ingénierie et de recherches à l'étranger ;
qu'ainsi, en considérant que les ingénieurs concernés auraient étérecrutés en méconnaissance des règles régissant le recours auxcontrats à durée déterminée, la cour d'appel a violé les textes etprincipes visés au moyen " ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Philippe ... parla société civile professionnelle Célice, Blancpain et Soltner etpris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédurepénale, L 125-1 et L 125-3 du Code du travail, défaut de motifs,manque de base légale
" en ce que la cour d'appel de Versailles a déclaré Philippe ... du délit de marchandage et l'a condamné à 20 000 francsd'amende et à la publication par extrait de sa décision ;
" aux motifs que l'article L 125-1 du Code du travail interdittoute opération à but lucratif de fourniture de main-d' uvre qui apour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne oud'éluder l'application des dispositions de la loi, de règlement ou deconvention ou accord collectif de travail ; que ce texte n'exige pasque l'opération prohibée concernant la main-d' uvre ait un caractèreexclusif ; qu'il ressort du procès-verbal de l'inspecteur du Travailet des documents annexés que, courant 1991 et 1992, 4 contrats ditsde sous-traitance ont été conclus entre la société Ipsi et la sociétéSofregaz par lesquels la première s'est engagée à mettre à ladisposition de la seconde, dans le cadre de marchés signés parcelle-ci et concernant le "procurement" des équipements d'une usinede traitement de gaz en Iran et d'un terminal méthanier au Portugal,du personnel qualifié en achats pour effectuer les prestations delancement d'offres, de présélection des fournisseurs de matériel, denégociation et de rédaction de commandes ; que les salariés concernésont été nommément désignés dans chacun de ces contrats desous-traitance, comme l'indique l'inspecteur du Travail et comme leconfirme l'examen de 2 de ces contrats, joints à la procédure, endate des 5 septembre 1991 et 18 février 1992, mentionnant quel'intervenant homologué pour l'exécution du premier est GilbertCortesi et pour l'exécution du second Hugues ... ; selon lesmêmes documents, la société Ipsi a effectivement mis à la dispositionde la société Sofregaz, respectivement André ..., recruté le23 avril 1991, et Gilbert ..., recruté le 7 octobre 1991, pour lasous-traitance des opérations d'achats du matériel nécessaire à laconstruction de l'usine de traitement de gaz en Iran, HuguesDemarchelier, recruté le 9 mars 1992, et Gérard ..., recruté le20 mai 1992, pour la sous-traitance des opérations de procurement deséquipements du terminal Méthanier au Portugal ; pareillement, estintervenu, le 24 novembre 1992 entre la société Mobil Oil et la société Ipsi, un contrat par lequel la première a sous-traité à laseconde les achats de matériels divers pour raffinage et pétrochimie,dont l'exécution a été confiée à Jean-Marie ..., recruté par la société Ipsi le 29 avril 1991 ; qu'il faut, cependant, observer quece même salarié avait déjà été désigné, dans un document intitulé"conditions commerciales de sous-traitance" en date du 18 avril 1991,comme la personne chargée de l'exécution de la même mission, àcompter du 2 mai 1991, pour une durée de 6 mois ; qu'en réalité, cescontrats recouvrent la fourniture de main-d' uvre par la société Ipsià ses partenaires commerciaux pour faire face à un surcroîtd'activité ; qu'en effet, il faut relever que ses salariés ont étéembauchés à une date très voisine de celles des conventions prévoyantleur mise à disposition des sociétés Sofregaz et Mobil Oil et n'ontfait qu'effectuer des tâches pour le compte de ces dernières, dansleurs locaux, et avec les moyens qu'elles leur confiaient ; quel'inspecteur du Travail a mentionné, dans son rapport, lesexplications de Philippe ... qui lui a indiqué, en ce qui concerneJean-Marie Labasque "il s'agit de renforcer le service achat deMobil Oil en mettant à sa disposition un cadre compétent, tant auniveau technique qu'au niveau commercial" ;
que M. ..., l'un des responsables de la société Mobil Oil, aprécisé que "la prestation de Jean-Marie ... n'était passpécifique" ; que, s'agissant des 4 personnes appelées à travaillerpour le compte de la société Sofregaz, la concomitance de leurengagement et de leur désignation dans les contrats dits desous-traitance individualisés établit que l'objet de ceux-ci estprincipalement la mise à disposition réalisée ; qu'à cet égard,M. ..., responsable du service "procurement" de la sociétéSofregaz, a indiqué que cette dernière a fait appel à la société Ipsià la suite d'un afflux de contrats au même moment ; qu'il estconstant que les personnels mis à la disposition des sociétésutilisatrices étaient choisis par ces dernières, ce qui est peuévocateur de l'accomplissement autonome de prestations de service parla société Ipsi ; devant la Cour, Philippe ... a déclaré que lesmissions étaient consécutives au fait que les clients de sa sociétéIpsi devaient faire face à des contrats importants et à un lourd plande charge ; le contrat d'assurance souscrit par la société Ipsi pourgarantir sa responsabilité civile et professionnelle n'est pasincompatible avec cette activité de fourniture de main-d' uvre ;
qu'il en est de même du maintien de liens entre les salariésconcernés et la direction de la société Ipsi, dès lors que, selon lesécritures mêmes des prévenus, il ne s'agissait que de contacts en vuede solliciter des conseils ou éclaircissements, étant noté que,devant la cour, il a été admis que ces salariés étaient parfaitementintégrés aux équipes de travail des sociétés utilisatrices ; lecaractère onéreux et le but lucratif de cette fourniture demain-d' uvre sont manifestement établis par la différence entre,d'une part, les conditions financières stipulées dans les contratsdits de sous-traitance conclus entre les sociétés Mobil Oil etSofregaz et la société Ipsi, et, d'autre part, les rémunérationsprévues dans les contrats de travail liant cette dernière et lessalariés concernés, sans que cette différence trouve son explicationdans l'incidence des seules charges sociales ; qu'ainsi le documentintitulé "conditions commerciales de sous-traitance", déjà évoqué,intervenu entre la société Mobil Oil et la société Ipsi, et portantmise à disposition de Jean-Marie ..., mentionne un prixforfaitaire de 41 000 francs par mois, alors que la rémunérationmensuelle du salarié est de 18 000 francs brut ; la comparaison ducontrat de sous-traitance signé entre Sofregaz et Ipsi et portantdésignation de Gilbert ..., et du contrat de travail de cedernier, fait apparaître une différence du même ordre (respectivement40 000 francs et 19 000 francs) ; il ressort des constatations etobservations non critiquées de l'inspecteur du Travail qu'à l'époquedes faits, la société Mobil Oil appliquait la convention collectivedu pétrole et la société Sofregaz appliquait celle des bureauxd'études, alors que la société Ipsi se référait, en fait, à laconvention collective des commerces de gros, moins favorable que lesprécédentes ; que les salariés de cette dernière, mis à ladisposition de Mobil Oil et Sofregaz, dans les conditions ci-dessusévoquées, ont été privés de l'application des conventions collectivesdes entreprises utilisatrices ;
qu'en outre, comme le relève également à juste titre l'inspecteur duTravail, les salariés concernés ont été recrutés, en vertu decontrats à durée déterminée, pour une durée minimale, contrairementaux prévisions des articles L 122-1, L 122-1-1, L 122-1-2 etL 122-2 du Code du travail, définissant strictement les conditionsdu recours à de tels contrats ; il s'ensuit que les opérations à butlucratif de fourniture de main-d' uvre incriminées ont eu pour effetde causer un préjudice aux salariés concernés et d'éluderl'application de conventions collectives favorables ; que le recoursfréquent, voire habituel, à de telles opérations démontre que leurssignataires ont délibérément recherché cet effet, dans le cadre d'unestratégie de contournement des dispositions de la législation dutravail ; dès lors, en concluant de telles opérations, Philippe Diazet Pierre ..., en leur qualité de président directeur généraldes sociétés Ipsi et Sofregaz, ont commis le délit de marchandage quileur est reproché et qui se trouve caractérisé en tous ses élémentsconstitutifs, étant précisé que, eu égard aux explications desprévenus pendant les débats, la date de commission doit être fixéecourant 1991 et 1992, et notamment les 18 avril 1991,5 septembre 1991 et 18 février 1992 ; de telles pratiques,consciemment mises en uvre, revêtent une gravité certaine, en cequ'elles portent atteinte à la fois aux intérêts des salariés et auxautres entreprises qui ne s'y livrent pas ; qu'elles doivent doncfaire l'objet d'une répression sévère et dissuasive qui revêtira, enl'espèce, la forme d'une peine d'amende et d'une publication de laprésente décision ;
" alors, d'une part, ne peut être poursuivi pour délit demarchandage le dirigeant d'une entreprise dont l'activité consiste àfournir à une autre entreprise, dans le cadre d'un contrat desous-traitance de prestations intellectuelles, et à l'occasion demarchés internationaux de grande importance dont cette dernière estattributaire, un ou plusieurs de ses salariés particulièrementcompétents et jouissant d'une renommée personnelle dans le secteurd'activité spécifique qu'elle exerce, lesquels salariés sont agréés,du fait même de cette compétence, par l'entreprise cliente ; qu'en sebornant à retenir que l'activité de "procurement" ne constituait paspour les sociétés Mobil Oil ou Sofregaz une activité spécifiqueexcédant son champ ordinaire de compétence, sans rechercher si lescontrats de sous-traitance en cause n'avaient pas été conclus à l'occasion de chantiers dont l'importance justifiait que ces sociétésfassent appel pour certaines prestations particulières, telles que lapréparation d'appel d'offres, la présélection des fournisseurs, larédaction de cahier des charges, aux cadres de la société Ipsi, quidisposent de compétences que les salariés de Mobil Oil et de Sofregazn'avaient pas pour traiter ce type de marché, la cour d'appel a privésa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'en se bornant à retenir que les contratsde prestation de services entre Ipsi et Mobil Oil, d'une part, etSofregaz, d'autre part, mentionnaient un prix forfaitaire supérieur àla rémunération des salariés concernés même assortie des chargessociales, sans rechercher si les frais de fonctionnement de la société Ipsi et, en particulier, le coût de formation, les indemnités payées aux salariés, le coût des assurances couvrant l'interventionde ses salariés, ainsi que les frais généraux de l'entreprise necorrespondaient pas au prix normalement facturé aux entreprisesclientes, ce qui établissait la réalité d'une prestation de services,la cour d'appel prive sa décision de toute base légale, au regard destextes visés au moyen ;
" alors, enfin, qu'en se bornant à affirmer que la conventioncollective appliquée, à l'époque des faits par Ipsi, était "moinsfavorable" que celle du pétrole ou des bureaux d'études, sans donnerla moindre précision sur le contenu des avantages dont les salariésd'Ipsi auraient été prétendument privés, la cour d'appel a entaché sadécision d'un défaut de motifs caractérisé ;
" qu'il en va d'autant plus ainsi que la cour d'appel n'a pasrépondu aux conclusions du demandeur faisant valoir que le régime deprévoyance et les avantages attribués aux salariés d'Ipsi en matièrede formation excluaient l'existence d'un quelconque préjudice pourles salariés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué et duprocès-verbal de l'inspection du travail, base de la poursuite, qu'enexécution de 4 contrats qualifiés de sous-traitance, conclus au coursdes années 1991 et 1992, la société Ipsi, présidée par Philippe ...,a mis à la disposition de la société Sofregaz, présidée parPierre Cavalieros, plusieurs salariés avec mission de procéder à l'achat du matériel nécessaire à la réalisation de marchés portantsur l'équipement d'installations industrielles en Iran et auPortugal ; qu'un contrat de même nature a été conclu en 1992 entre la société Ipsi et la société Mobil Oil ; qu'à la suite de ces faits,Philippe Diaz, Pierre ... et, en qualité de président de la société Mobil Oil, Christian ..., ont été cités devant letribunal correctionnel pour marchandage, sur le fondement del'article L 125-1 du Code du travail ; que les prévenus ont étérelaxés de ce chef ;
Attendu que, pour retenir, sur l'appel du ministère public, laculpabilité de Philippe ... et de Pierre ..., après avoirconfirmé la relaxe, devenue définitive, de Christian ... enraison de la date de sa prise de fonctions au sein de la sociétéMobil Oil, la cour d'appel retient que la société Ipsi a fourni de lamain-d' uvre aux sociétés Sofregaz et Mobil Oil, non en raison de laspécificité de la prestation à effectuer mais seulement pourpermettre à ces sociétés de faire face à un surcroît d'activité ; queles juges relèvent que les salariés concernés ont été embauchés parla société Ipsi à une date très voisine de celle des conventions demise à disposition, qu'ils ont été choisis par les sociétésutilisatrices et qu'ils ont accompli leur tâche dans les locaux decelles-ci, au sein de leurs équipes de travail et avec les moyensqu'elles leur accordaient ;
Qu'après avoir constaté que ces prêts de main-d' uvre avaient étéeffectués à titre onéreux, les juges ajoutent qu'ils ont eu poureffet d'éluder l'application de la législation sociale et de causerun préjudice aux salariés mis à disposition ; qu'ils relèvent que, sices salariés avaient été employés par les sociétés utilisatrices, ilsauraient bénéficié, selon le cas, des conventions collectives dupétrole ou des bureaux d'étude, plus favorables que celles descommerces de gros applicables, à l'époque des faits, au personnel dela société Ipsi ; qu'ils soulignent également que cette société, quin'était pas elle-même chargée d'effectuer des travaux à l'étranger, aconclu avec les salariés concernés des contrats de travail à duréedéterminée, prévoyant une durée minimale sans terme précis, hors lescas prévus par l'article L 122-1-2, III, du Code du travail ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exemptsd'insuffisance ou de contradiction et procédant de son appréciationsouveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments depreuve contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui n'a délaisséaucun chef péremptoire des conclusions qui lui étaient soumises, acaractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit reproché auxprévenus ;
Que Pierre ... ne saurait reprocher à la cour d'appel,d'avoir excédé sa saisine en retenant des faits antérieurs au24 juillet 1992, date visée par la prévention, dès lors qu'il résultedu jugement entrepris qu'il avait expressément accepté de s'expliquersur l'ensemble des faits dénoncés dans le procès-verbal del'inspecteur du Travail, base de la poursuite ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs
I Sur les pourvois des sociétés Ipsi et Sofregaz
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
II. Sur les pourvois de Philippe ... et Pierre ...
Les REJETTE.