La lettre juridique n°538 du 5 septembre 2013 : Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Septembre 2013 (spéciale projet de loi relatif à la fraude fiscale et à la grande délinquance financière)

Réf. : Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

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N8324BTH

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

le 05 Septembre 2013

Conformément aux orientations fixées par le Président de la République, le Premier ministre a présenté, le 24 avril 2013, un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. L'objectif affiché est de lutter contre la corruption et la fraude fiscale. L'extrait du compte rendu du Conseil des ministres précise que "le présent projet de loi comporte ainsi plusieurs dispositions majeures, qui traduisent une plus grande sévérité et une plus grande détermination dans cette action, en complétant des initiatives qui sont prises ou en préparation aux niveaux national, européen et international pour renforcer l'efficacité des outils" (Cons. min., compte rendu 24 avril 2013, Droit fiscal, 2013, 18 - 19, comm. 256). En effet, ce texte trouve sa place dans un environnement international et européen changeant mais qui va dans le même sens, c'est-à-dire renforçant les moyens de lutte contre le blanchiment ainsi que contre la fraude et l'évasion fiscales. Le projet est aujourd'hui devant la commission paritaire, qui n'a pas encore réussi à trouver un accord entre les députés et les sénateurs. Les discussions sur le texte reprendront à partir du 10 septembre 2013, date d'ouverture de la session extraordinaire. 1 - Développer l'échange d'informations au niveau international

Au niveau international, le G20, réuni à Washington les 18 et 19 avril 2013, a proposé de remplacer la procédure d'échanges d'informations sur demande et au cas par cas par un échange automatique de données, qui porterait sur les comptes bancaires et les avoirs détenus à l'étranger par les ressortissants des Etats. Cette procédure s'inspire de la législation américaine qui oblige les banques étrangères à livrer les noms de leurs clients américains, connue sous le nom de foreign account tax compliance act (FATCA ; lire David Chrétien, Avocat, Directeur FS Tax, Landwell et Eléonore Geoffroy, Master II Fiscalité de l'Entreprise, Université Paris Dauphine, "FATCA" : la chaîne de paiements au coeur du dispositif de lutte active contre l'évasion fiscale, Lexbase Hebdo n° 526 du 30 avril 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N6885BT8), et encourage les pays de l'Union européenne et d'autres à adopter la même approche (nos obs., "Paradis fiscaux", dépasser l'échange d'informations, Gestion & Finances publiques, 2013, 8-9, pp. 22-30). L'objectif est clairement d'intensifier les échanges d'informations à des fins de contrôle fiscal.

2 - L'ajustement des dispositifs dans l'Union européenne

Dans le cadre de l'Union européenne, la lutte contre le blanchiment de capitaux ainsi que la fraude et l'évasion fiscales se réorganisent.

La Commission européenne a présenté, le 5 février 2013, d'une part, une proposition de Directive relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et, d'autre part, une proposition de règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds (COM(2013) 44 et 45 final et (SWD (2013) 21 et 22 final). Avec ces textes, la Commission veut tout à la fois actualiser et harmoniser les règles existantes au niveau du l'Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et assurer une meilleure protection du système financier et du marché unique contre des pratiques qui lui sont dommageables.

C'est le même esprit qui avait prévalu quand la Commission avait présenté, le 6 décembre 2012, un paquet sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, composé d'une communication établissant un "plan d'action pour renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales" et deux recommandations relatives à la planification fiscale agressive et aux mesures visant à encourager les pays tiers à appliquer des normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal (COM(2012) 722 final, C (2012) 8805 final et C (2012) 8806 final). Par exemple, la Commission, par ce texte, invitait le Conseil à adopter sa proposition de mécanisme rapide contre la fraude à la TVA, qui autoriserait sans délai un Etat membre à adopter des mesures dérogatoires de nature temporaire pour faire face à des cas de fraude massive et soudaine à la TVA ayant une incidence majeure. Autre exemple, la Commission prévoit d'analyser la faisabilité de l'octroi d'un accès mutuel direct aux bases de données nationales dans le domaine de la fiscalité directe, ainsi que la possibilité de disposer d'un instrument juridique unique régissant la coopération administrative pour l'ensemble des impôts et taxes. Dernier exemple : la Commission estime que la création d'un numéro d'identification fiscale européen pourrait être la meilleure solution pour remédier aux difficultés que rencontrent les Etats membres dans l'identification correcte de tous leurs contribuables effectuant des opérations transfrontalières.

La Commission a annoncé, le 23 avril 2013, la création d'une plate-forme concernant la bonne gouvernance dans le domaine fiscal (Comm. UE, communiqué 23 avril 2013, (IP/13/351, Droit fiscal, 2013, 18 - 19, comm. 261). L'objectif est de suivre les efforts faits par les Etats pour enrayer la planification fiscale agressive, lutter contre les paradis fiscaux et suivre aussi la mise en oeuvre de ses recommandations présentées le 6 décembre 2012.

Toutes ces propositions, celles qui concernent le blanchiment de capitaux comme celles qui permettent de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, reposent sur une amélioration de transparence, sur une accélération des échanges d'informations et une plus grande réactivité des Etats membres.

3 - Le dispositif français de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (examen du texte tel qu'il est rédigé devant la commission mixte paritaire)

A - Le renforcement des pouvoirs de l'administration fiscale

Article 2 bis

Le projet de texte prévoit une extension du champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale au blanchiment de la fraude, qui agira au sein du futur Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. La nouveauté tient au fait que les pouvoirs de la police fiscale sont étendus au blanchiment, que l'article 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9), définit comme étant "le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect", ainsi que "le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou un délit".

Articles 2 et 3

Est également prévue, une extension de la procédure judiciaire d'enquête fiscale qui vise désormais tout montage juridique dans un Etat ou territoire étranger, et pas seulement ceux qui sont réalisés dans un paradis fiscal. Rappelons que la procédure d'enquête fiscale judiciaire complète en réalité la procédure de visite et de saisie (LPF, art. L. 16 B N° Lexbase : L0277IW8) en donnant à des agents spécialisés des pouvoirs de police judiciaire leur permettant de réaliser des perquisitions, de procéder à des interrogatoires, en passant par la garde à vue et éventuellement les écoutes téléphoniques. La procédure est codifiée aux articles L. 228 (N° Lexbase : L0270IWW) et L. 188 B (N° Lexbase : L0271IWX) du LPF et à l'article 28-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0269IWU), lequel prévoit l'applicabilité aux procédures d'enquêtes fiscales de nombreuses dispositions du Code de procédure pénale en matière de flagrant délit et d'enquêtes préliminaires. Ce nouveau dispositif a été introduit lors du vote de la loi de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 N° Lexbase : L1817IGE), et est utilisé depuis le début de l'année 2011.

Souvenons-nous que le Conseil constitutionnel a déjà apporté des précisions et une réserve sur le pouvoir d'audition et de convocation que détiennent les membres de la police fiscale (Cons. const., décision n° 2012-257 QPC du 18 juin 2012 N° Lexbase : A8706INR). Il a été noté "qu'en prévoyant une telle obligation de comparution, qui peut être imposée par la force par l'officier de police judiciaire, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, le législateur a assuré entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, d'une part, et l'exercice des libertés constitutionnelles garanties, d'autre part, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée" (Frédérique Perrotin, Police fiscale : les précisions du Conseil constitutionnel, Petites affiches, 2012, 129, pp. 4-5).

Article 3 bis E

Dans le cadre d'un contrôle inopiné, autorisation est donnée aux agents de l'administration de copier des fichiers informatiques relatifs aux informations, données et traitements informatiques, ainsi que la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements visés à l'article L. 13 du LPF (N° Lexbase : L6794HWK). Deux copies seront placées sous scellés, l'une devant être remise au contribuable ou à son représentant, l'autre étant conservée par l'administration. Ces deux copies pourront, si nécessaire, être confrontées lors de l'examen comptable. Si les scellés ou les fichiers sont altérés, l'administration sera autorisée à faire des tris, classements, ainsi que tous les calculs sur la copie des fichiers des écritures comptables conservée par ses soins.

Article 3 bis F

Le législateur souhaite aussi que la détermination du montant de l'atténuation des sanctions accordée dans le cadre d'une transaction respecte la hiérarchie des sanctions prévue par le CGI. Rapport est fait chaque année, par le ministre du Budget, des remises et transactions à titre gracieux accordées par l'administration.

Articles 5, 6 et 11

Il est procédé au renforcement du régime des saisies et confiscations d'avoirs criminels, pour garantir l'efficacité du recouvrement des sommes illégalement détenues, qui pourra notamment porter sur les contrats d'assurance-vie, ou tout bien dont le condamné a la libre disposition.

Articles 10 à 10 quinquies

Le législateur a souhaité confirmer la possibilité pour l'administration d'appuyer ses rectifications et poursuites sur des informations d'origine illicite, si elles ne parviennent pas par le truchement de l'autorité judiciaire ou par la voie de l'assistance administrative. Il est prévu, en outre, que l'administration puisse procéder à une visite domiciliaire sur le fondement de preuves illicites, ce qui ouvre des perspectives inédites ; tout au plus est-il précisé que "leur utilisation par l'administration est proportionnée à l'objectif de recherche et de répression des infractions prévues par le CGI".

Article 11 bis C

Il est prévu que les agents de l'administration puissent, dans le cadre d'une vérification de comptabilité ou d'un examen de situation fiscale personnelle prendre copie des documents dont ils ont eu connaissance. Le contribuable ne peut pas s'y opposer. Dans le cas contraire, il s'expose à une amende de 1 500 euros pour chaque document dont la copie est refusée, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 10 000 euros.

Articles 15, 16 et 17

Parmi les mesures les plus controversées, retenons l'utilisation de techniques d'enquêtes "spéciales", telles que la surveillance, l'infiltration ou la garde à vue de quatre jours, pour la détection des fraudes les plus graves. Ces aspects sont parmi les plus critiqués du texte.

B - Le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale

Article 1er

Il est donné la faculté d'exercer les droits de la partie civile auprès des juridictions compétentes pour les associations de lutte contre la corruption.

Article 3

Il est créé une circonstance aggravante pour les fraudes les plus graves, notamment concernant la fraude commise en bande organisée, ou reposant notamment sur le recours à des comptes bancaires ou des entités détenues à l'étranger, telles que les fiducies ou les trusts. L'article 132-71 du Code pénal (N° Lexbase : L0425DZR) énonce que "constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou plusieurs infractions". Il est nécessaire que soit modifié l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L4664ISK), afin de considérer comme circonstance aggravante le fait que la fraude ait été commise en bande organisée.

Les circonstances aggravantes sont également caractérisées lorsque les faits ont été réalisés, ou facilités, au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger non déclarés, lorsqu'il y a une interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger, lorsqu'il y a l'usage d'une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification, enfin lorsqu'il y a une domiciliation fictive ou artificielle à l'étranger ou encore lorsqu'il y a un acte fictif ou artificiel ou l'interposition d'une entité qui a ces caractéristiques. La palette des circonstances aggravantes est très large, au point que l'on peut se demander ce que ne sont pas des circonstances aggravantes.

Les peines encourues sont portées à sept ans d'emprisonnement et deux millions d'euros d'amende.

Article 3 bis A

La fraude à la TVA, et notamment les carrousels, constitue une atteinte sérieuse aux finances des Etats. Le législateur veut donner à l'administration les moyens de demander au contribuable des informations complémentaires relatives à l'attribution ou au maintien du numéro d'identification en matière de TVA.

Article 3 bis B

La création d'un registre public des trusts et l'alourdissement des pénalités applicables en cas de non respect des obligations des trusts par leur administrateur doivent permettre un peu de transparence.

Article 4

Le législateur souhaite l'alignement des peines prévues pour les personnes morales sur celles applicables aux personnes physiques, avec la possibilité de condamner des personnes morales en cas de blanchiment à la peine complémentaire de la confiscation de leur entier patrimoine.

Article 11 bis F

Le Gouvernement a amendé, au cours des débats, son texte concernant le délai de réclamation contentieux ouvert aux contribuables en cas de décision juridictionnelle ou avis contentieux révélant la non conformité d'une règle de droit à une règle de droit supérieure. Ce dernier est fixé par la loi à "deux ans, selon le cas, à compter de la mise en recouvrement du rôle ou de la notification de l'avis de mise en recouvrement ou, en l'absence de mise en recouvrement, du versement de l'impôt contesté ou de la naissance du droit à déduction".

Article 11 sexies

Pour les redevables établis dans les Etats hors de l'Union européenne, et ne disposant pas d'instruments juridiques relatifs à l'assistance en matière de recouvrement, le délai de prescription de l'action en recouvrement est porté de quatre à six ans.

Ces dispositions visent aussi à appuyer le traitement des affaires dites complexes du ressort du futur parquet, à compétence nationale, chargé de la lutte contre la corruption et de la fraude fiscale. Placé sous l'autorité du procureur général de Paris, ce parquet sera compétent pour les atteintes à la probité et les délits de fraude fiscale d'une grande complexité, ainsi que le blanchiment de ces infractions.

Ce texte a suscité l'ire des avocats. Le Président du Conseil national des barreaux a considéré qu'il s'agit d'une "loi terrifiante", au motif que l'"on peut demander à n'importe quel moment de prouver qu'une somme sur un compte bancaire n'est pas illicite" (cité par Olivia Dufour, Les avocats menacent de descendre dans la rue !, Petites affiches, 11 juillet 2003, pp. 4-5). De la même façon, le Conseil national des barreaux a adopté à l'unanimité, le 15 juin 2013, une motion affirmant son inquiétude précisant qu'"aussi légitime que puisse être l'objectif de lutte contre la fraude fiscale, les dispositions figurant dans le projet de loi portent une atteinte grave aux libertés publiques, individuelles et collectives" (cité par Frédérique Perrotin, Fraude fiscale, les inquiétudes des avocats, Petites affiches, 27 juin 2013, pp. 4-6).

De la même manière, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, réunie en assemblée plénière le 27 juin 2013, a rendu un avis que l'on peut qualifier de critique concernant ce texte quant au respect des droits de la défense et la doctrine, d'ores et déjà, précise que les limites apportées à l'exercice des droits fondamentaux doivent être strictement cantonnées à la sauvegarde de l'intérêt général (Chantal Cutajar, La lutte contre la fraude fiscale à l'épreuve des droits fondamentaux, JCP éd. G, 15 juillet 2013, pp. 1418-1419).

Il est sage d'attendre que le Conseil constitutionnel, qui sera très certainement saisi, se prononce pour porter un jugement définitif sur ce texte.

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