Réf. : CA Nancy, 7 septembre 2021, n° 19/03624 (N° Lexbase : A646443S)
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N8771BYI
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par Aude Lelouvier
le 21 Septembre 2021
► En application de la jurisprudence retenue par la Cour de cassation en matière de pension de réversion dans l’hypothèse de mariages bigames, la seconde épouse peut prétendre au bénéfice d’une pension de réversion dès lors que son mariage n’a pas été annulé et qu'elle bénéficie alors de la qualité de conjoint survivant.
En l’espèce, en 1951, deux personnes ont contracté mariage en Algérie. En 1962, l’époux s’est remarié en France avec une seconde personne. L’époux est décédé le 13 novembre 2000.
La caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) a accordé à la seconde épouse le bénéfice de la pension de réversion de son défunt époux à compter du 1er décembre 2000.
Le 29 juin 2004, la première épouse a déposé une demande de pension de réversion, laquelle a été rejetée par la CRAM avec confirmation par la commission de recours amiable.
La première épouse a saisi le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Nancy, lequel, par jugement du 21 mai 2008, l’a déboutée de sa demande. Celle-ci a interjeté appel du jugement.
Par arrêt du 15 juillet 2009, la cour d’appel de Nancy a infirmé le jugement déféré et déclaré la première épouse bénéficiaire de l’intégralité de la pension de réversion du défunt époux considérant que « le fait qu’aucune décision n’ait prononcé la nullité du second mariage et ne l’ait déclaré putatif à l’égard de la seconde épouse interdit tout partage de la pension de réversion entre les deux épouses successives et implique son versement intégral à la première des deux ».
Le 26 mars 2013, la seconde épouse a formé tierce opposition à cet arrêt. La réouverture des débats a été ordonnée par arrêt du 12 janvier 2020, et la seconde épouse a sollicité de la cour in fine de juger que la totalité de la pension de réversion lui était due.
Ainsi, la cour d’appel de Nancy devait déterminer si la seconde épouse pouvait bénéficier de la pension de réversion de son défunt époux alors même que leur mariage faisait l’objet d’une situation de bigamie prohibée par l’ordre juridique français.
Les magistrats de la cour d’appel rappelaient tout d’abord que « l’article L. 353-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4556IR8), dans sa rédaction à la date du décès de l’assuré, [prévoit] qu’en cas de décès de ce dernier, son conjoint survivant a droit à une pension de réversion s’il satisfait à des conditions de ressources personnelles, de durée de mariage et d’âge ». Néanmoins, ils précisaient la position de la Cour de cassation quant aux conséquences résultant d’une situation de bigamie prohibée par la conception française de l’ordre public international.
C’est ainsi que les juges du fond ont mis en exergue que conformément à la position de la Haute Cour, « un organisme de Sécurité sociale ne (peut) rejeter une demande de versement d’une pension et solliciter le remboursement des sommes perçues au titre de conjoint survivant alors qu’en l’absence d’annulation du mariage l’intéressé avait la qualité de conjoint survivant ».
Ce n’est que rappeler la position de la Cour de cassation, en vertu de laquelle les juges ne peuvent priver d’effets un mariage pour cause de bigamie, alors qu’en l’absence d’annulation de ce mariage, la veuve a qualité de conjoint survivant (Cass. civ. 2, 9 octobre 2014, n° 13-22.499, F-D N° Lexbase : A2092MY7 et Cass. civ. 2, 5 novembre 2015, n° 14-25.565, F-D N° Lexbase : A0147NWD).
Par conséquent, la cour d’appel a considéré que la seconde épouse remplissait toujours les conditions lui permettant de bénéficier de la pension de réversion de son époux défunt.
Bien que la cour d’appel ait poursuivi la ligne directrice instaurée par la Cour de cassation, cette position semble pour l’heure compromise. En effet, l’article 29 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (N° Lexbase : L6128L74) prévoit désormais d’introduire à l’article L. 161-23-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7463L7K) la disposition suivante : « Sous réserve des engagements internationaux de la France, une pension de réversion au titre de tout régime de retraite de base et complémentaire, légal ou rendu légalement obligatoire, ne peut être versée qu'à un seul conjoint survivant. En cas de pluralité de conjoints survivants, la pension de réversion est versée au conjoint survivant de l'assuré décédé dont le mariage a été contracté, dans le respect des dispositions de l'article 147 du Code civil (N° Lexbase : L1573ABU), à la date la plus ancienne ». En d’autres termes, la jurisprudence de la Cour de cassation arrive à son terme. Désormais, seule la première épouse pourra bénéficier d’une pension de réversion ! (V. L. Bedja, Pension de réversion et polygamie : nouvelle réglementation par la loi confortant le respect des principes de la République, Lexbase Social, septembre 2021, n° 875 (N° Lexbase : N8591BYT).
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