Réf. : Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.462, F-P+B+I (N° Lexbase : A4665GX3)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 07 Avril 2011
Violène Vandelle : L'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale autorise le contrôle d'identité de toute personne se trouvant, d'une part, dans une zone de vingt kilomètres comprise dans une bande territoriale de vingt kilomètres de profondeur bordant la frontière terrestre avec les autres Etats-parties à la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990, et, d'autre part, dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international désignés par arrêté un ministériel du 5 novembre 2008 (N° Lexbase : L9199IPE), en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port, et de présentation, des titres et documents prévus par la loi. Il s'agit donc de contrôles d'identité opérés sur le seul fondement de la situation géographique de l'individu contrôlé, qui peuvent être mis en oeuvre sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence de soupçons de commission d'une infraction ou de circonstances particulières établissant un risque de trouble à l'ordre public.
Lexbase : La CJUE, en juin 2010, a considéré que cette disposition est contraire au principe de libre circulation des personnes ? Quelles étaient les motivations des juges luxembourgeois ?
Violène Vandelle : L'article 67 § 2 du TFUE consacre la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union qui est chargée d'assurer "l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures". L'article 20 du Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 (N° Lexbase : L0989HIH), dit "Code frontières Schengen", dispose que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières puissent être effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. L'article 21 du même Règlement prévoit, en outre, que les contrôles à l'intérieur du territoire d'un Etat membre sont interdits lorsqu'ils revêtent un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
La CJUE a donc eu l'occasion de se prononcer sur la conformité de l'article 78-2, alinéa 4, avec ces dispositions communautaires. Elle a, ainsi, pu juger dans un arrêt rendu le 22 juin 2010, que les contrôles prévus par cet article "constituent, non pas des vérifications aux frontières interdites par l'article 20 du Règlement n° 562/2006, mais des vérifications à l'intérieur du territoire d'un Etat membre, visées par l'article 21 dudit Règlement" (point n° 68). Elle poursuit en rappelant qu'aux termes de l'article 21 du même Règlement, les "contrôles à l'intérieur du territoire d'un Etat membre ne sont [...] interdits que lorsqu'ils revêtent un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières" (point n° 69). Elle relève, ensuite, que "l'article 78-2, quatrième alinéa, du Code de procédure pénale, qui autorise des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public, ne contient ni précisions, ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l'intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique, ayant pour objet d'éviter que l'application pratique de cette compétence par les autorités compétentes aboutisse à des contrôles ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens de l'article 21 [...] du Règlement n° 562/2006" (point n° 73).
Elle en conclut que, pour satisfaire aux exigences des articles 20 et 21 du Règlement (CE) du 15 mars 2006, "une législation nationale conférant une compétence aux autorités de police pour effectuer des contrôles d'identité, compétence qui est, d'une part, limitée à la zone frontalière de l'Etat membre avec d'autres Etats membres et, d'autre part, indépendante du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public, doit prévoir l'encadrement nécessaire de la compétence conférée à ces autorités afin, notamment, de guider le pouvoir d'appréciation dont disposent ces dernières dans l'application pratique de ladite compétence. Cet encadrement doit garantir que l'exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d'identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières" (point n° 74).
La CJUE considère, ainsi, que les contrôles d'identité réalisés par les autorités de police dans la zone frontalière de deux Etats membres ont le caractère de "vérifications à l'intérieur du territoire d'un Etat membre", et non celui de "vérifications aux frontières intérieures" prohibées par le "Code frontières Schengen". Elle constate, toutefois que, dès lors que ces contrôles sont opérés en dehors de considérations relatives au comportement de l'intéressé et de circonstances établissant l'existence d'un risque d'atteinte à l'ordre public, la législation nationale qui les autorise doit prévoir l'encadrement de cette compétence garantissant que les contrôles, ainsi, pratiqués ne revêtent pas un effet équivalent aux vérifications aux frontières. A défaut d'un tel encadrement, ces contrôles sont contraires aux dispositions des articles 20 et 21 du Règlement CE du 15 mars 2006. Dans la mesure où l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale ne prévoit aucun encadrement des contrôles d'identité opérés dans la zone comprise entre la frontière et une ligne tracée à vingt kilomètres de cette frontière, les contrôles réalisés sur le fondement de cette disposition sont donc contraires au droit communautaire.
Lexbase : Dans la présente décision, la Cour de cassation fait une application immédiate de la jurisprudence de la CJUE. Quelles conséquences cela implique-t-il ?
Violène Vandelle : A l'occasion de son arrêt en date du 23 février 2011, la Cour de cassation fait, en effet, une application immédiate de la solution dégagée par la CJUE. Une telle application semble conforme au principe de primauté du droit communautaire. La conséquence de cette décision est la nullité des contrôles d'identité opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale dans la "bande des vingt kilomètres". En matière de droit des étrangers, cette décision implique que le juge des libertés et de la détention, saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la rétention administrative d'un étranger ayant été interpellé et placé en rétention à la suite d'un tel contrôle, rejette cette demande et procède à la remise en liberté de l'étranger.
En pratique, l'arrêt du 23 février 2011 interdit donc aux autorités de polices de contrôler l'identité d'un individu sur le seul constat de sa présence dans la "bande des vingt kilomètres". Néanmoins, la pratique a, d'ores et déjà, permis de constater que l'administration tente de contourner les exigences du droit communautaire en réalisant des contrôles d'identité dans cette zone, mais cette fois sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, qui dispose que, "sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat". Dans le même sens, de nombreux procès-verbaux d'interpellation font, désormais, apparaître la mention de motifs relatifs à l'existence d'un risque pour l'ordre public afin de justifier la réalisation de contrôles d'identité systématiques dans les zones visées par l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale.
Lexbase : L'arrêt du 23 février 2011 ne concerne que la "bande des vingt kilomètres". Qu'en est-il alors des contrôles menés dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares visées par l'article 78-2 ?
Violène Vandelle : La Cour de justice a jugé que législation européenne s'oppose à ce qu'une disposition nationale puisse prévoir la possibilité de contrôles d'identité à l'intérieur du territoire national qui, à défaut d'encadrement spécifique, pourrait, en pratique, conduire à des vérifications systématiques d'identité, équivalentes à des contrôles d'identité aux frontières. Ainsi, en dépit du fait qu'elle n'a été saisie que de la conformité des contrôles opérés dans une zone de vingt kilomètres à partir de la frontière, l'analyse qu'elle fait des exigences communautaires relatives au contrôle d'identité doit pouvoir s'appliquer également à ceux effectués, sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international.
En effet, si de tels contrôles doivent être qualifiés de vérifications à l'intérieur du territoire de l'Etat membre, il est constant que l'article 78-2, alinéa 4, les autorise dans les espaces ouverts au trafic international, indépendamment du comportement de la personne contrôlée ou de considérations relatives à l'ordre public. En outre, il ne peut être contesté que cette disposition ne prévoit, ainsi que l'a constaté la CJUE aux termes du point n° 73 de sa décision, aucune limitation, ni encadrement de cette compétence. Au surplus, il ne peut être écarté de l'analyse du caractère transposable du raisonnement développé par la Cour de justice le fait que le législateur national a prévu les deux types de contrôle d'identité au sein du même alinéa, achevant de démontrer le caractère connexe de ces deux modalités de contrôle. Il résulte de ces éléments que les contrôles opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, dans les ports, aéroports, et gares ouverts au trafic international, sont susceptibles de revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières intérieures.
Plusieurs décisions ont, ainsi, pu consacrer le caractère transposable du raisonnement établi par la CJUE à propos des contrôles opérés dans la bande des vingt kilomètres à ceux effectués dans les ports, aéroports, et gares ouverts au trafic international, et juger de tels contrôles contraires au droit communautaire (CA Paris, 12 juillet 2010, n° 10/02962 N° Lexbase : A6949E47 ; CA Toulouse, 30 juillet 2010, n° 10/206 N° Lexbase : A6472E89). Cette analyse ne présente aucune difficulté en ce qui concerne les contrôles d'identité réalisés dans les gares ferroviaires ouvertes au trafic international. En effet, compte tenu de sa situation géographique dans l'espace européen, la France n'a de liaison ferroviaire qu'avec des Etats membres de l'"espace Schengen" (à l'exception du Royaume-Uni, mais les usagers de cette liaison font l'objet d'une procédure spécifique, impliquant un contrôle systématique d'identité avant la montée à bord du train). Dès lors, les contrôles d'identité opérés dans les gares ouvertes au trafic international sont toujours susceptibles de revêtir un effet équivalent à des vérifications aux frontières intérieures prohibées par l'article 20 du "Code frontières Schengen".
Il doit, cependant, être relevé que les ports et aéroports ouverts au trafic international peuvent accueillir des liaisons avec des pays tiers. Dès lors, les contrôles d'identité réalisés dans ces espaces sont susceptibles d'avoir un effet équivalent aux vérifications aux frontières extérieures de l'Union qui doivent, au contraire, être opérés de manière systématique, par application de l'article 7 du Règlement (CE) du 15 mars 2006.
Lexbase : L'article 69 de la "Loppsi 2" (2) prévoit de limiter à six heures consécutives la durée des opérations de contrôle d'identité dans ces deux zones. Cela pourrait-il débloquer la situation ?
Violène Vandelle : Cet article 69 prévoit, en effet, d'ajouter au quatrième alinéa de l'article 78-2 du Code de procédure pénale la phrase suivante : "[...] le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux [...]". Il convient de relever que les limites, ainsi, prévues par la loi concernent aussi bien les contrôles d'identité opérés dans la bande des vingt kilomètres que ceux intervenant dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international. Le législateur anticipe donc l'éventuelle contrariété du second type de contrôle vis-à-vis du droit communautaire.
Cet ajout vise, bien évidemment, à mettre le droit national en conformité avec les exigences communautaires telles qu'elles ont été précisées par la jurisprudence de la CJUE. Ce paragraphe semble, notamment, répondre au point n° 73 de l'arrêt de la Cour de justice du juin 2010 qui relevait que les dispositions soumises à son appréciation ne contenaient "ni précisions, ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l'intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique".
Toutefois, il n'est pas certain qu'une limitation de la durée des opérations de contrôle permettra de rendre les vérifications d'identité opérées dans la bande des vingt kilomètres et, par analogie, dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international, conformes aux exigences du droit communautaire. En effet, dans son arrêt de juin 2010, la CJUE relève que les contrôles définis par le quatrième alinéa de l'article 78-2 sont géographiquement circonscrits dès lors que la compétence ainsi dévolue aux autorités de police est "limitée à la zone frontalière de l'Etat membre avec d'autres Etats membres". Toutefois, cette limite s'avère insuffisante pour justifier d'un encadrement garantissant l'absence d'effet équivalent à celui des vérifications aux frontières. Dans ces conditions, il n'est pas certain que la seule limitation temporelle des contrôles d'identité pourra constituer un encadrement suffisant, dès lors que cette disposition aboutit, en pratique, à autoriser, durant six heures consécutives, les contrôles systématiques d'identité.
A cet égard, la deuxième partie de la phrase que l'article 69 de la "Loppsi 2" ajoute à l'article 78-2 du Code de procédure pénale prévient une telle situation en indiquant que "le contrôle [...] ne peut consister en un contrôle systématique des personnes". Cette mention ne semble pas non plus répondre à l'exigence formulée par la CJUE. En effet, aux termes de son arrêt de juin 2010, l'encadrement de la compétence relative aux contrôles d'identité réalisés indépendamment du comportement de l'intéressé, et en dehors de circonstances révélant l'existence d'un risque pour l'ordre public, doit permettre "de guider le pouvoir d'appréciation dont disposent [les autorités chargée de ce contrôle] dans l'application pratique de ladite compétence".
La simple affirmation de l'interdiction de l'exercice systématique des contrôles d'identité ne constitue en aucun cas un "guide" à l'usage des autorités chargées de réaliser les contrôles d'identité. Partant, elle semble insuffisante pour garantir que ceux-ci ne revêtent pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières intérieures prohibées par les articles 20 et 21 précités du "Code frontières Schengen".
(1) Voir le site de la Cimade, Quand le parquet, l'administration et la police contournent allègrement le droit communautaire, 18 février 2011.
(2) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5066IPC).
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