La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011 : Responsabilité

[Questions à...] L'obligation de ponctualité de la SNCF : mythe ou réalité ? - Questions à Maître Anne-Laure Archambault, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Mathieu & associés

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[Questions à...] L'obligation de ponctualité de la SNCF : mythe ou réalité ? - Questions à Maître Anne-Laure Archambault, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Mathieu & associés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3569710-questionsalobligationdeponctualitedelasncfmytheourealitequestionsamaitreannelaurearch
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 24 Janvier 2011

Parce qu'elle a manqué à son obligation de ponctualité, la SCNF a été condamnée par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 22 septembre 2010, à indemniser un avocat qui n'a pas pu se rendre à une audience, en raison du retard d'un train qui lui a fait manquer sa correspondance, faisant ainsi perdre le procès à son client. La SNCF a ainsi été condamnée à verser la somme de 2836,12 euros au cabinet de cet avocat, à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues, et la somme de 500 euros à la victime au titre du préjudice moral subi (CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 22 septembre 2010, n° 08/14438 N° Lexbase : A1788GAH). Si les faits en cause sont malheureusement trop banals, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris semble consacrer l'obligation de ponctualité en obligation de résultat. Une première. Pour apprécier la portée de cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Anne-Laure Archambault, avocat de la victime, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pouvez-vous nous préciser le régime de l'obligation de ponctualité à laquelle est tenue la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : Dans son arrêt, la cour d'appel de Paris énonce très clairement que "la SNCF a l'obligation contractuelle d'amener les voyageurs à destination selon l'horaire prévu tant pour les trains de grandes lignes que pour les trains de banlieue ; que cet impératif de ponctualité figure à son cahier des charges".

L'obligation de ponctualité à laquelle est tenue la SNCF est donc, tout d'abord, une obligation contractuelle. Ensuite, en relevant que "la SNCF ne prétend pas pouvoir bénéficier de la force majeure qui l'exonérerait de son obligation à dommages intérêts en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution de ses obligations contractuelles", les juges posent qu'il s'agit d'une obligation de résultat.

Pourtant, à la lecture de l'article 1er du cahier des charges, il n'était pas vraiment acquis qu'il s'agissait d'une obligation de résultat. En effet, il est précisé que "la SNCF a pour mission d'exploiter les services ferroviaires sur le réseau national dans les meilleures conditions de sécurité, d'accessibilité, de célérité, de confort et de ponctualité, compte tenu des moyens disponibles". Les termes "compte tenu des moyens disponibles" pourraient amener à considérer qu'il s'agit d'une obligation de moyens. Cependant, en relevant que la SNCF ne peut s'exonérer de son obligation qu'en cas de force majeure, la cour d'appel a retenu très clairement qu'il s'agit d'une obligation de résultat.

Cette qualification avait déjà été retenue par la cour d'appel de Riom dans un arrêt rendu le 6 juin 1995 (CA Riom, 2ème ch., 6 juin 1995, n° 2990/94). De manière générale, pour déterminer si une obligation relève d'une obligation de résultat ou d'une obligation de moyens, la jurisprudence tient compte du critère de l'aléa. Autant dans le cadre d'un transport par mer ou par avion, il existe un aléa tenant à la météo ; de même, dans le cas du transport routier, l'aléa tient à la circulation. A l'inverse, l'aléa est quasi inexistant pour le transport ferroviaire, et c'est la raison pour laquelle la SNCF indique des horaires d'arrivée précis. La solution retenue par les juges parisiens relève donc d'une application classique des critères jurisprudentiels pour distinguer l'obligation de moyens et l'obligation de résultat.

Les causes d'exonération procèdent donc de la force majeure, c'est-à-dire d'un événement qui est irrésistible, imprévisible et extérieur. A titre d'exemple d'un cas de force majeure qui pourrait être retenu, on se souvient d'une publicité de la SNCF qui prévoyait le cas de la présence d'un dinosaure sur la voie ! A l'inverse, ne constitue pas un cas de force majeure, la neige (généralement prévisible), ou encore la grève (prévisible avec le préavis, et qui ne constitue pas un événement extérieur).

Lexbase : Et s'agissant de son obligation d'information ?

Anne-Laure Archambault : L'obligation d'information est prévue à l'article 12 du cahier des charges de la SNCF qui prévoit qu'"en cas d'incident, les usagers directement touchés par les modifications apportées au service doivent en être informés dans les meilleurs délais et conseillés, le cas échéant, sur les possibilités qui leur sont proposées pour effectuer ou poursuivre dans les meilleures conditions leur voyage interrompu ou perturbé". Il s'agit donc d'une obligation d'information et de conseil.

En l'espèce, la cour d'appel a considéré que cette obligation avait été assurée par les fiches horaires distribuées sur le réseau, par les annonces faites en gare et éventuellement par des SMS.

Cette argumentation est très discutable et j'estime que l'obligation d'information n'était pas satisfaite en l'espèce. En effet, tout d'abord, parce que tout le monde ne dispose pas nécessairement d'un téléphone, et qu'il s'agit ensuite d'un service payant. Ensuite, j'avais la preuve que la SNCF connaissait, au moins une demi-heure avant le départ présumé du train, l'existence de l'erreur d'aiguillage à l'origine du retard. Selon moi, c'est donc à ce moment là que la SNCF aurait dû informer les passagers qui attendaient le train de banlieue, en premier lieu, qu'il y avait un incident, en deuxième lieu, que le train ne serait probablement pas à l'heure et en dernier lieu, qu'il était préconisé de recourir à des modes de transport alternatifs ; il lui appartenait alors de réparer le préjudice subi par le paiement de taxis pour certains.

La cour d'appel a estimé que la SNCF avait rempli son obligation d'information et qu'il n'y avait eu aucune influence sur le préjudice à raison d'un manque d'information ; je continue de penser que si mon client avait été informé à temps, il aurait pris un taxi et n'aurait pas subi le même préjudice.

Lexbase : Quelles sont aujourd'hui les causes limitatives de responsabilité pour la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : Je considère justement que si la SNCF satisfait à son obligation d'information, c'est-à-dire qu'elle informe les usagers à temps, ceux-ci sont en mesure de prendre leur disposition. Il s'agit d'une obligation accessoire à l'obligation de ponctualité et la satisfaction par la SNCF de son obligation d'information peut lui permettre, en cas de manquement à son obligation de ponctualité, de s'exonérer, à tout le moins d'obtenir un partage de responsabilité. En effet, si la victime a été informée à temps et qu'elle n'a pas pris ses dispositions, on peut considérer qu'elle a commis une faute qui a concouru à la réalisation du préjudice subi ; on peut alors soutenir que la faute commise par la SNCF n'est pas l'exclusive cause du préjudice subi par l'usager.

Ensuite, les causes exonératoires de responsabilité pour la SNCF sont les cas classiques de force majeure tels que je les ai cités supra. Je reprécise, ici, que dans la mesure où il s'agit d'une obligation de résultat, la SNCF ne pourra pas s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'elle a mis tous les moyens nécessaires en oeuvre pour faire en sorte que le train soit à l'heure.

Lexbase : Les premiers juges avaient retenu une faute d'imprudence dans l'organisation du voyage, à raison du bref délai prévu entre les correspondances (17 minutes) ; la cour d'appel, au contraire, a estimé que ce délai n'était pas imprudent puisqu'il s'agissait de la même gare. En dessous de quel délai l'imprudence vous semble-t-elle caractérisée ?

Anne-Laure Archambault : En l'espèce, il faut garder en tête qu'il s'agissait d'un trajet d'une durée totale de trente minutes, et non de six heures. Il faut donc rapprocher le temps prévu pour la correspondance au temps estimé du premier train. Mais en tout état de cause, il s'agit à chaque fois d'une question d'espèce et les juges doivent procéder à une appréciation in concreto.

Lexbase : En l'espèce, l'avocat a été indemnisé à hauteur de 500 euros pour le préjudice moral qu'il a subi à raison de "l'inquiétude et l'énervement qu'il a subi". Cet arrêt annonce-t-il la multiplication des contentieux à l'encontre de la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : La solution selon laquelle l'obligation de ponctualité est une obligation de résultat avait déjà été retenue par la cour d'appel de Riom dans son arrêt en date du 6 juin 1995.

L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris vient donc confirmer cette jurisprudence, et lui confère une portée plus importante ; la jurisprudence est donc maintenant clairement posée. Par ailleurs, la cour d'appel de Paris a voulu "marquer le coup" en prononçant des condamnations qui ne sont pas minimum, mais plutôt satisfaisantes (notamment en ce qui concerne les 1 000 euros obtenus au titre de la perte de crédibilité vis-à-vis d'un client ou encore les 500 euros octroyés au titre du préjudice moral subi à raison de "l'inquiétude et l'énervement").

Cela étant, même si l'on peut imaginer que, théoriquement, les litiges de ce genre sont nombreux et que le contentieux peut être amené à se multiplier, la France n'est pas un pays très judiciarisé ; pour les Français, le recours au juge reste quelque chose d'exceptionnel. Je ne pense donc pas que l'on va assister à une démultiplication du contentieux.

Lexbase : Faut-il privilégier une action groupée ?

Anne-Laure Archambault : On peut tout à fait imaginer que les personnes victimes d'un retard sur un même train se regroupent pour assigner la SNCF en justice en demandant chacune réparation de son préjudice individuel. Cela permet, d'abord, de limiter les frais d'avocat, ensuite, d'augmenter le montant des demandes et, par conséquent, de relever de la compétence du tribunal d'instance ou du tribunal de grande instance à charge d'appel.

Je précise qu'il ne s'agit pas d'une action de groupe, mais d'une action groupée : chaque usager demande réparation de son préjudice individuel. En effet, la véritable action de groupe, ou encore class action, n'existe pas en droit français.

Lexbase : En cas de retard supérieur à trente minutes, la SNCF propose, sous certaines conditions, de rembourser partiellement ou totalement le titre de transport. Que pensez-vous de cette pratique ?

Anne-Laure Archambault : Cette pratique est favorable à la SNCF, puisqu'elle lui permet d'obtenir l'accord de la victime sur l'indemnisation et d'éviter ensuite toute contestation. En tant que victime, il faut refuser si l'on estime que le préjudice subi est plus important et si l'on envisage d'engager une action en justice.

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