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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
le 21 Octobre 2011
1) Les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 sont applicables aux décisions retirant des décisions de non-opposition à travaux et des permis de construire
Selon le Conseil d'Etat, la décision implicite de non-opposition à travaux intervenue en application des dispositions de l'article L. 422-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6344IDC) est une décision créant des droits au profit de son bénéficiaire. Le retrait d'une telle décision doit, non seulement, être motivé en application de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7), mais, en outre, respecter les exigences de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0400AIN), ce qui signifie que la décision de retrait ne peut intervenir qu'après que l'intéressé a été invité à présenter ses observations.
Rappelons que les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 prévoient "qu'exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 [...] n'interviennent qu'après que la personne a été mise à même de présenter des observations". Dès lors qu'une décision de retrait d'une non-opposition tacite à déclaration de travaux est un acte qui retire une décision créatrice de droit, et qui doit, à ce titre, être motivé en application de la loi du 11 juillet 1979, une telle décision de retrait doit faire l'objet, en application des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, d'une procédure contradictoire. Une décision du 30 mai 2007 (1) est venue confirmer et solenniser la solution déjà retenue par le Conseil dans une décision du 23 juin 2004 (2), rendue en sous-section jugeant seule et en cassation d'une ordonnance de référé. Ajoutons que le Conseil d'Etat avait déjà jugé que les décisions de retrait de permis de construire tacites devaient respecter les exigences des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 (3).
2) La décision du 10 mars 2010 confirme l'application des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 aux arrêtés interruptifs de travaux
Avant la décision "M. et Mme Thévenet", les juges du fond avaient déjà considéré que les arrêtés interruptifs de travaux étaient soumis à la procédure contradictoire de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, dès lors qu'ils constituent des mesures de police figurant au nombre des décisions mentionnées à l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 (4). Le Conseil d'Etat avait, quant à lui, retenu une même solution lorsqu'il avait été saisi dans le cadre de procédures d'urgence (5). Dans le cadre des procédures normales, le Conseil avait écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, à l'occasion d'une affaire dans laquelle les requérants avaient pu faire part de leurs observations (6), mais il l'avait accueilli dans une espèce où le courrier les invitant à présenter des observations ne leur avait été notifié que la veille de la date à laquelle l'arrêté interruptif de travaux avait été pris (7).
En indiquant, dans sa décision du 10 mars 2010, que "la décision par laquelle le maire ordonne l'interruption des travaux au motif qu'ils ne sont pas menés en conformité avec une autorisation de construire, qui est au nombre des mesures de police qui doivent être motivées en application de la loi du 11 juillet 1979, ne peut intervenir qu'après que son destinataire a été mis à même de présenter ses observations, sauf en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles", le Conseil d'Etat confirme donc que les arrêtés interruptifs de travaux doivent respecter les exigences posées par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000. La décision du 10 mars 2010, sur ce point, vient donc seulement consacrer une jurisprudence déjà bien établie.
3) La décision du 10 mars 2010 innove en précisant à quelles conditions un arrêté interruptif de travaux est dispensé, au nom de l'urgence, du respect des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000
Le Conseil précise, en effet, dans cette décision, que "la situation d'urgence permettant à l'administration de se dispenser de cette procédure contradictoire s'apprécie tant au regard des conséquences dommageables des travaux litigieux, que de la nécessité de les interrompre rapidement en raison de la brièveté de leur exécution". Elle s'apprécie donc au regard de la brièveté du délai d'exécution, mais aussi des conséquences dommageables des travaux. Ces deux critères, l'un temporel et l'autre matériel, sont cumulatifs, ce qui signifie que la seule brièveté du délai d'exécution des travaux ne peut suffire, à elle seule, à caractériser une situation d'urgence permettant de s'affranchir du respect de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000. C'est la raison pour laquelle, dans la décision commentée, le Conseil d'Etat a annulé pour erreur de droit l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille : celle-ci s'était, en effet, bornée "à relever, qu'eu égard au délai de réalisation des travaux, qui n'était que de quelques jours, le maire a été placé dans une situation d'urgence telle qu'il pouvait s'abstenir de respecter la procédure contradictoire prévue par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, sans rechercher quels étaient l'importance et les effets des travaux en cause". Autrement dit, la cour s'est contentée de vérifier le respect du seul critère du délai d'exécution des travaux, alors qu'elle aurait aussi dû, pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence, vérifier si le second critère tenant aux travaux en cause était, également, rempli.
Le Conseil d'Etat, après avoir annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, a donc, également, examiné l'importance et les effets des travaux. En l'espèce, il s'agissait de la construction, en contrebas d'une maison, d'un mur de 3,20 mètres de haut, alors que seul 1,20 mètre avait été autorisé. Les deux mètres d'écart permettaient au propriétaire de niveler le terrain d'assiette de la maison. Le Conseil a estimé que l'importance du mur et ses effets sur le voisinage comportaient des conséquences dommageables importantes : le critère matériel de caractérisation de l'urgence était donc rempli. Or, le critère temporel l'était, également, eu égard à la brièveté de l'exécution des travaux. En conséquence, le Conseil a considéré que la situation d'urgence était caractérisée, ce qui rendait inopposable toute procédure contradictoire préalable.
1) Les deux conditions présidant à la modification du plan d'occupation des sols après enquête publique
Dans le droit applicable au POS avant l'entrée en vigueur de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi "SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 N° Lexbase : L9087ARY), les possibilités d'apporter des changements au contenu du plan avant son approbation étaient strictement limitées par l'article R. 123-12 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2924DZC). Il en résultait que "les modifications apportées à un projet de plan d'occupation des sols entre la date de sa soumission à enquête publique et celle de son approbation ne peuvent avoir pour objet que de tenir compte des résultats de l'enquête publique ou des propositions de la commission de conciliation, même lorsque ces modifications ne remettent pas en cause l'économie générale du projet" (8).
La modification du POS était soumise à deux conditions cumulatives. En premier lieu, elles ne pouvaient avoir pour objet que de tenir compte des résultats de l'enquête publique ou des propositions de la commission de conciliation (9). En second lieu, les modifications après enquête ne pouvaient remettre en cause l'économie générale du projet de plan (10). Le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que n'affectait pas l'économie générale du plan une modification du règlement d'une zone NA ne représentant que 3 % du territoire de la commune pour y interdire les lotissements et ne conserver que les constructions existantes (11), ou des modifications d'importance limitée et portant sur des espaces de faible superficie (12).
La notion d'économie générale est éclairée par l'abondante jurisprudence appliquée au champ d'application de la procédure de modification du plan en vigueur et qui paraît transposable à la modification d'un projet de plan avant son approbation. Il convient de rappeler, à cet égard, les observations du commissaire du Gouvernement Bonichot (13) : "Un plan d'occupation des sols est un parti d'urbanisme, c'est-à-dire un ensemble de choix d'urbanisme qui ont leur cohérence. Il faut bien voir que les différents choix à faire pour l'élaboration d'un plan d'occupation des sols n'ont pas tous la même importance et même en réalité, des choix importants, il n'y en a qu'un nombre limité. Dans ces conditions, lorsqu'est remise en cause une des options d'urbanisme et que cette remise en cause a une incidence, même limitée sur l'ensemble du plan, on peut dire qu'il y a modification de l'économie générale du plan".
Précisons, enfin, qu'en cas de changements affectant l'économie générale, une nouvelle enquête est nécessaire et doit être précédée d'une nouvelle délibération du conseil municipal arrêtant le projet de plan modifié (14).
2) Ces conditions sont, également, applicables à la modification des plans locaux d'urbanisme
Dans le droit aujourd'hui applicable au PLU, le Code de l'urbanisme ne prévoit plus de restrictions : l'article L. 123-10 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2416ATN) prend le parti du laconisme par cette formule : "après l'enquête publique, le plan local d'urbanisme, éventuellement modifié, est approuvé [...]". Est-ce à dire que la collectivité chargée de l'élaboration peut apporter toutes les modifications qu'elle juge utile ? La décision du 12 mars 2010 apporte une réponse claire à cette question : les deux conditions auxquelles était soumise la modification des POS restent applicables à la modification des PLU. Selon le Conseil, en effet, "il ressort du rapprochement des articles L. 123-3-1 ancien (N° Lexbase : L2428IBK) et L. 123-10 précités, qui sont rédigés dans des termes semblables, ainsi que des travaux préparatoires de la loi du 13 décembre 2000, que le législateur n'a pas entendu remettre en cause les conditions ci-dessus rappelées [absence de remise en cause de l'économie générale du projet et modification procédant de l'enquête publique] dans lesquelles le plan d'urbanisme peut être modifié après l'enquête publique [...] par suite, et alors même que les nouvelles dispositions [...] de l'article R. 123-19 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3315HCR), ne font plus apparaître la mention que le plan d'urbanisme est éventuellement modifié 'pour tenir compte des résultats de l'enquête publique', les modifications des plans d'urbanisme doivent, à peine d'irrégularité, continuer à respecter les deux conditions analysées ci-dessus".
L'on voit donc que le Conseil d'Etat a neutralisé la modification des dispositions législatives et réglementaires intervenue dans le cadre de la substitution des PLU aux POS, afin que cette modification ne conduise pas à laisser aux collectivités une trop grande marge de manoeuvre en matière de modification des documents d'urbanisme.
Deux hypothèses doivent, à cet égard, être envisagées. En premier lieu, lorsque la modification du PLU ne procède pas de l'enquête publique, mais ne remet pas en cause l'économie générale du projet, la collectivité doit (seulement) procéder à une nouvelle enquête publique. Rappelons, sur ce point, qu'en cas de nouvelle enquête publique, le maire doit demander au président du tribunal administratif la désignation d'un commissaire-enquêteur : cette nouvelle enquête ne peut être légalement confiée par le maire au commissaire-enquêteur qui avait conduit la première enquête, car en remettant son rapport, il avait épuisé sa compétence avec la remise du rapport d'enquête (15). Cette première hypothèse (modification ne procédant pas de l'enquête publique mais ne remettant pas en cause l'économie générale du projet) était celle de la décision du 12 mars 2010. Le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré "qu'en relevant que la modification dans le choix du zonage d'un espace d'environ huit hectares, qui ne procédait pas de l'enquête publique, ne pouvait, même en application des nouvelles dispositions de l'article R. 123-19 du Code de l'urbanisme, intervenir sans être soumise à une nouvelle enquête publique, alors même qu'elle ne portait pas atteinte à l'économie générale du plan local d'urbanisme, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit". Autrement dit, dès lors que l'économie générale du PLU n'est pas remise en cause, il faut seulement procéder à une nouvelle enquête publique.
En second lieu, lorsque la modification du PLU remet en cause l'économie générale du projet (que la modification résulte, ou non, de l'enquête publique), il faut non seulement procéder à une nouvelle enquête publique mais, en outre, faire précéder cette enquête d'une délibération arrêtant le nouveau projet de plan (16). En effet, l'enquête ne peut porter que sur le plan tel qu'il a été arrêté. Le projet de plan tel qu'il aura fait l'objet du nouvel arrêt par le conseil municipal (ou l'organe délibérant de l'EPCI) devra donc, à nouveau, être soumis à diverses consultations. L'exigence d'une délibération arrêtant le nouveau projet de plan s'impose dès que la modification remet en cause l'économie générale du projet. Il a été jugé que la circonstance que cette modification résulte, ou non, de l'enquête publique était indifférente puisque la seule remise en cause de l'économie générale rend le PLU adopté illégal (17).
1) La fixation du prix du bien illégalement préempté en cas d'annulation de la décision de préemption
Rappelons d'abord que, s'il incombe au titulaire du droit de préemption de s'abstenir de vendre à un tiers le bien illégalement acquis, celui-ci doit, également, sauf atteinte excessive à l'intérêt général apprécié au regard de l'ensemble des intérêts en présence, proposer à l'acquéreur évincé, puis, le cas échéant, au propriétaire initial d'acquérir ledit bien (18).
Par une décision du 31 décembre 2008 (19), le Conseil d'Etat a précisé les modalités de fixation du bien illégalement préempté lorsque la procédure de préemption, contrairement à ce qu'il en est dans la décision commentée du 10 mars 2010, a été menée à bien, et que son annulation n'est intervenue que plusieurs années après que l'administration a exercé son droit de préemption et est devenue propriétaire du bien en cause. Selon le Conseil, l'immeuble litigieux doit être proposé à l'acquéreur évincé au prix figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner, et non pas à un prix nouveau correspondant à la valeur du bien au jour de sa "restitution". Toutefois, ce principe peut être infléchi lorsque des modifications ont été apportées à la consistance physique du bien.
En premier lieu donc, le prix auquel le titulaire du droit de préemption propose à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d'acquérir le bien illégalement acquis est, en principe, celui indiqué dans la déclaration d'intention d'aliéner. Il s'agit ainsi de "rétablir autant que possible les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle" (20). En effet, si le prix devait être déterminé, non pas sur la base de la valeur indiquée dans la transaction initiale, mais en fonction de la valeur dudit bien au moment de la restitution de celui-ci, ceci reviendrait dans certains cas à priver l'ancien propriétaire, voire l'acquéreur évincé, d'une éventuelle plus-value, celle-ci étant alors captée par la collectivité publique -alors même que cette dernière a commis une illégalité- et ce, en méconnaissance des règles dégagées par la Cour européenne dans l'arrêt "Motais de Narbonne" (21).
En second lieu, le prix de référence auquel est proposé l'immeuble à l'acquéreur évincé ou au propriétaire initial peut faire l'objet d'un "ajustement" pour tenir compte "des éventuelles modifications apportées au bien consécutivement à l'exercice de la préemption litigieuse". Dans l'hypothèse où des travaux de réparation, ou d'amélioration, ont été réalisés à la suite de la préemption litigieuse, la collectivité publique est fondée à réclamer à l'acquéreur évincé -et aussi très certainement au vendeur, au cas où la rétrocession de l'immeuble lui serait proposée- le remboursement des sommes qu'elle a engagées à cet effet. Cette solution vise à éviter un "enrichissement injustifié" de l'acquéreur et, par là même, au respect de la règle prétorienne que "nul ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui". Dans l'hypothèse contraire de dégradation du bien, le prix de référence doit être diminué des dépenses que l'acquéreur évincé ou, vraisemblablement, même si cela n'est pas indiqué, l'ancien propriétaire, devrait exposer pour remettre le bien dans l'état dans lequel il se trouvait initialement.
2) L'indemnisation du propriétaire du bien illégalement préempté en cas d'abandon de la procédure de préemption
L'on sait que toute décision de préemption illégale constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune et que le propriétaire peut obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité. La détermination du préjudice indemnisable soulève, toutefois, des difficultés particulières dans l'hypothèse où le titulaire du droit de préemption, bien qu'ayant exercé son droit et, ainsi, bloqué la vente envisagée, n'a pas été jusqu'au bout et a renoncé à l'acquisition. Dans la décision "Société civile immobilière GFM" du 10 mars 2010, le Conseil d'Etat précise, de manière particulièrement pédagogique, les règles qui s'appliquent alors pour calculer le préjudice indemnisable. Dans son principe, il existe "dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de décision de renonciation". Un second préjudice indemnisable réside dans l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le vendeur de "disposer du prix figurant dans la promesse de vente entre la date de cession prévu par cet acte et la date de la vente effective, dès lors que celle-ci a eu lieu dans un délai raisonnable après la renonciation de la collectivité". En revanche, il n'y a pas lieu de retenir le préjudice subi à raison de la différence entre le prix figurant dans la promesse de vente initiale et celui proposé par la commune dans sa décision de préemption.
Il résulte de cette décision que le propriétaire d'un bien illégalement préempté peut obtenir réparation de deux préjudices, le second préjudice étant en quelque sorte la prolongation temporelle du premier. Le premier préjudice équivaut à la différence entre le prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente, et la valeur du bien à la date à laquelle l'administration a décidé de renoncer à exercer son droit de préemption. Le second préjudice prolonge temporellement le premier et il est soumis à une condition de délai puisqu'il équivaut à la différence entre le prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente et le prix auquel le bien a été effectivement vendu, à condition que cette vente soit intervenue dans un délai raisonnable après renonciation de l'administration à exercer son droit de préemption. L'on peut penser que ce délai raisonnable sera de quelques mois mais qu'il pourra être plus important en cas (comme actuellement) de crise du marché immobilier se traduisant par un allongement des délais de transaction. Il est probable que le juge administratif tiendra compte des délais moyens de transaction pour des biens similaires.
Eu égard à la condition de délai raisonnable à laquelle elle est soumise, l'indemnisation de ce second préjudice est plus aléatoire que l'indemnisation du premier préjudice. En effet, "lorsque la vente n'a pas eu lieu dans un tel délai, quelles qu'en soient les raisons, le terme à prendre en compte pour l'évaluation de ce second préjudice doit être fixé à la date de la décision de renonciation", ce qui signifie que, si la condition de délai raisonnable n'est pas remplie, l'indemnisation ne peut couvrir que le premier préjudice.
En revanche, le propriétaire d'un bien que l'administration a renoncé de préempter ne pourra demander à être indemnisé à hauteur de la différence entre le prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente, et le prix auquel l'administration se proposait d'acquérir le bien dans le cadre de son droit de préemption. La décision du 10 mars 2010 relève, ainsi, que la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en écartant ce mode de calcul du préjudice, et qu'elle a pu se fonder sur le motif que le vendeur "avait retrouvé la libre disposition de son bien après que la commune d'Orange eût renoncé à exercer son droit de préemption", et qu'il n'établissait pas avoir été définitivement privé, "du fait de la décision illégale de préemption, de la possibilité de retirer d'une vente ultérieure une somme au moins égale à celle escomptée dans le compromis signé avec le premier acquéreur pressenti" (22).
Le propriétaire du bien que l'administration a finalement renoncé à préempter ne peut donc se prévaloir du prix que celle-ci proposait à cette fin, dès lors que ce prix ne lui a, en tout état de cause, pas été imposé, à défaut pour la procédure de préemption d'avoir abouti. Autrement dit, le prix d'acquisition du bien fixé par l'administration est resté purement virtuel. De deux choses l'une : soit l'intervention et l'inaboutissement d'une procédure de préemption n'ont pas empêché le propriétaire de vendre son bien à un prix au moins équivalent au prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente, et dans ce cas, celui-ci ne subit aucun préjudice ; soit l'intervention et l'inaboutissement d'une procédure de préemption ont contraint le propriétaire à vendre son bien à un prix inférieur au prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente, et dans ce cas, le préjudice subi, qui doit être indemnisé, correspond au second préjudice prévu par la décision du Conseil d'Etat, et est égal à la différence entre le prix de vente du bien tel que fixé par la promesse (ou le compromis) de vente et le prix auquel le bien a été effectivement vendu, à condition que cette vente soit intervenue dans un délai raisonnable après renonciation de l'administration à exercer son droit de préemption.
3) Le propriétaire d'un bien légalement préempté à un prix inférieur à l'offre de l'acquéreur évincé ne subit aucun préjudice si cette offre est sans rapport avec la valeur vénale du bien
Dans la décision "MM. Jean et Guy Levy" du 10 mars 2010, le Conseil d'Etat a précisé les conditions dans lesquelles le propriétaire d'un bien légalement préempté peut être indemnisé. Il juge, d'abord, qu'une décision de préemption est susceptible de caractériser une charge disproportionnée de nature à caractériser une méconnaissance, au détriment du cédant, des stipulations de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9). Rappelons, à cet égard que, selon la jurisprudence, ces stipulations ne sont, en revanche, pas applicables à la situation de l'acquéreur évincé, lequel n'est jamais devenu propriétaire du bien (23). Le préjudice peut avoir pour origine la différence entre l'offre de l'acheteur évincé et le prix de la préemption. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, cette offre excède sensiblement la valeur vénale du bien, il peut être supposé qu'elle n'aurait pas été maintenue : dans un tel cas, le propriétaire ne peut donc prétendre à une "indemnisation raisonnablement en rapport avec la valeur" de l'immeuble, ni par voie de conséquence, d'une "charge disproportionnée". Le préjudice ne peut davantage résulter d'une augmentation de la valeur vénale du bien, laquelle ne pourrait être prise en compte que pour apprécier, le cas échéant, le préjudice subi par l'acquéreur éconduit.
Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
(1) CE 9° et 10° s-s-r., 30 mai 2007, n° 288519, SCI Agyr (N° Lexbase : A5266DWX).
(2) CE 3° s-s., 23 juin 2004, n° 264681, Société Orange France SA (N° Lexbase : A7898DCI).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 23 avril 2003, n° 249712, Société Bouygues Immobilier (N° Lexbase : A7785C8T) ; CE 2° et 7° s-s-r., 19 février 2007, n° 296283, Société Avignon construction immobilier (N° Lexbase : A2750DUE).
(4) TA Versailles, 5 octobre 2004, n° 0303294, M. Olivier Ducastel et Mme Patricia Jamain ; CAA Marseille, 1ère ch., 11 janvier 2007, n° 03MA02065, M. Frontoni (N° Lexbase : A2582DU8) : annulation de l'arrêté interruptif pour méconnaissance de la procédure contradictoire ; la cour administrative d'appel de Bordeaux est venue préciser récemment que l'administration n'avait pas à informer les intéressés de ce qu'ils peuvent présenter des observations écrites : CAA Bordeaux, 5ème ch., 6 octobre 2008, n° 06BX00762, M. Marin (N° Lexbase : A4878EU9).
(5) CE 3° et 8° s-s-r., 3 mai 2002, n° 240853, Ministre de l'Equipement c/ M. Frontoni (N° Lexbase : A6458AYT), BJDU, 2002 p. 211 ; CE Contentieux, 15 mars 2004, n° 259853, M. Ducastel (N° Lexbase : A6152DBH), Constr.-Urb., 2004, n° 117, obs. Cornille : le moyen tiré de ce que l'arrêté interruptif de travaux a été pris en méconnaissance de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur sa légalité.
(6) CE 6° s-s., 3 octobre 2007, no 297261, SCI Blaise-Pascal N° Lexbase : A6702DYU).
(7) CE 6° s-s., 18 avril 2008, n° 0304957, SARL Kaibacker (N° Lexbase : A9532D78).
(8) CE Contentieux, 6 octobre 1995, n° 156123, Aberkhzer (N° Lexbase : A6271ANL), Dr. adm., 1995, comm. 799, RD publ., 1/1996, chron. dr. adm. imm. J.-P. Lebreton, n° 28.
(9) CAA Douai 1ère ch., 31 octobre 2007, n° 07DA00095, Société immobilière de Lomme (N° Lexbase : A9791DZN), Revue de Droit Immobilier, 2008, p. 457, note Adjaout.
(10) CE Contentieux, 21 septembre 1992, n° 110167, Association de défense de Juan-les-Pins et de ses pinèdes (N° Lexbase : A7707ARU) ; CE Contentieux, 14 octobre 1992, n° 99865, Association Lindenkuppel (N° Lexbase : A7978ARW) ; CE Contentieux, 17 mars 1993, n° 88650, Godfryd et époux Woodford (N° Lexbase : A8894AMD) ; CE Contentieux, 29 décembre 1995, n° 129529, Association Espace Benoît Suzer (N° Lexbase : A7007ANT) ; CE Contentieux, 30 décembre 1998, n° 171740, Vaillant-Orsoni (N° Lexbase : A8663ASN), Constr.-Urb., 1999, n° 102, note Larralde, BJDU, 1999, p. 56 : une modification qui réduit sensiblement les zones naturelles au profit des zones urbaines d'une commune littorale de faible étendue remet en cause l'économie générale du plan (en l'espèce, il s'agissait de la commune de l'Ile-Rousse en Corse).
(11) CE Contentieux, 25 novembre 1998, n° 163902, M. et Mme Chevalier (N° Lexbase : A9037ASI), BJDU, 1999, p. 36, concl. Maugüé.
(12) CE Contentieux, 15 mars 1999, n° 148027, Commune de Courbevoie (N° Lexbase : A4341AX3).
(13) Conclusions sous CE 7 janvier 1987, n° 65201, Pierre-Duplaix (N° Lexbase : A3179APG), Quotidien juridique du 30 mai 1987, n° 61, p. 3.
(14) CE 1° et 2° s-s-r., 14 mars 2003, n° 235421, Association syndicale du lotissement des rives du Rhône (N° Lexbase : A5608A7T), Tables, p. 1023, BJDU, 2003, p. 24, concl. Stahl, RDI, 2003, p. 367, note Robineau, Constr.-Urb., 2003, n° 185, note Benoit-Cattin.
(15) CE Contentieux, 17 janvier 1990, n° 91894, Commune de Witry-les-Reims c/ Bouche (N° Lexbase : A5813AQD), aux Tables, pp. 1030-1031, Dr. adm., 1990, comm. 138.
(16) CE 1° et 2° s-s-r., 14 mars 2003, n° 235421, Association syndicale du lotissement des rives du Rhône, précité.
(17) TA Nîmes, 26 décembre 2006, n° 0630054, Commune de Richerenches, Dr. adm. 2007, n° 96, note Plunian, BJDU, 2007, p. 307.
(18) CE Contentieux, 26 février 2003, n° 231558, M. et Mme Bour (N° Lexbase : A3418A7Q), Recueil, p. 59.
(19) CE Contentieux, 31 décembre 2008, n° 293853, MM. Aires et Claudio Pereira Dos Santos Maia (N° Lexbase : A6574ECH).
(20) CE Contentieux, 26 février 2003, n° 231558, M. et Mme Bour, précité.
(21) CEDH, 2 juillet 2002, Req. 48161/99, Motais de Narbonne (N° Lexbase : A1464AZA), AJDA, 2002, p. 1226, note R. Hostiou.
(22) CAA Marseille, 1ère ch., 23 octobre 2008, n° 06MA02490, SCI G.F.M (N° Lexbase : A4242EBQ).
(23) CE 5° et 7° s-s-r., 8 décembre 2000, n° 188046, Epoux Meirone (N° Lexbase : A1403AIS), aux Tables, p. 1002.
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