La lettre juridique n°349 du 7 mai 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Emplois fermés aux étrangers : un rapport critique de la Halde

Réf. : Halde, délibération n° 2009-139 du 30 mars 2009, accès à l'emploi pour les étrangers (N° Lexbase : X7284AEI)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

le 07 Octobre 2010

L'accès à l'emploi des étrangers a donné lieu à une intense activité normative, aussi bien en droit européen (1) qu'en droit interne (2). Les résultats sont pourtant décevants, de nombreux étrangers n'étant pas autorisés, en raison de leur nationalité, à accéder à un certain nombre d'emplois. La Halde en rend compte régulièrement. Elle vient à nouveau d'attirer l'attention, dans une délibération du 30 mars 2009, sur les discriminations dont souffrent les étrangers sur le marché du travail. En 2000, le Groupe d'étude sur les discriminations (GED) (3) avait déjà analysé ce phénomène dit des emplois fermés (4), ainsi qu'un certain nombre d'auteurs (5). Les restrictions à l'accès à l'emploi pour les étrangers se situent à deux niveaux : la condition de détention d'un diplôme français ou délivré par un Etat membre de l'Union européenne et la condition de nationalité. I - La condition de détention d'un diplôme, une restriction légitime pour l'accès à l'emploi des étrangers

La condition de diplôme exigée des étrangers pour accéder à certaines professions ne doit pas être remise en question dans son principe.

A - L'exigence d'un diplôme, une garantie d'un certain niveau de formation

Le Collège de la Halde considère que l'obligation d'être titulaire d'un diplôme délivré en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou d'une équivalence, est objectivement justifiée. Elle constitue une garantie du niveau de formation.

La condition initiale de détention d'un diplôme français a été étendue pour inclure les diplômes délivrés dans les Etats membres en application de Directives européennes depuis les années soixante-dix. Ces textes, qui ont été regroupés dans la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN), ont établi des socles communs de formation, condition nécessaire à la reconnaissance mutuelle des diplômes entre Etats membres.

La Halde s'était déjà prononcée en ce sens, en 2007, à propos de la profession d'avocat (Halde, délibération n° 2007-369 du 17 décembre 2007 N° Lexbase : X7344AEQ). Cette dernière est une profession réglementée, régie par un ordre professionnel et dont l'accès et l'exercice sont encadrés par la loi. L'exigence d'un diplôme ou la réussite à un examen de contrôle des connaissances en droit français, imposée pour exercer la profession d'avocat, n'est pas discriminatoire. Le candidat, ayant acquis la qualité d'avocat hors CE ou EEE, doit donc subir un examen de contrôle des connaissances afin de pouvoir s'inscrire à un barreau français.

B - Optimiser l'exigence d'un diplôme

Une telle harmonisation des formations n'existe pas avec les Etats tiers à l'Union. Ainsi, le Collège de la Halde estime justifiée l'existence de procédures d'évaluation des connaissances pour les professionnels détenteurs de diplômes délivrés hors de l'Union européenne, en l'absence de convention bilatérale. Au demeurant, comme le Collège l'a précédemment relevé dans une délibération n° 2005-36 du 27 février 2005 (N° Lexbase : X7345AER), ces procédures doivent effectivement permettre l'accès à la profession, notamment, en prenant en considération l'expérience professionnelle en France, afin de ne pas avoir un effet discriminatoire.

Le décret n° 2007-196 du 13 février 2007, relatif aux équivalences de diplômes requises pour se présenter aux concours d'accès aux corps et cadres d'emplois de la fonction publique (N° Lexbase : L3869HUT), va dans ce sens puisqu'il prévoit des procédures d'examen, par des commissions, des diplômes délivrés hors de l'Union et des compétences acquises.

II - La condition relative à la nationalité, une restriction discutable pour l'accès à l'emploi des étrangers

Si la condition de détention d'un diplôme constitue une restriction légitime pour l'accès à l'emploi des étrangers, la condition de nationalité ne bénéficie pas de la même légitimité, selon la Halde. Selon le rapport du Groupe d'étude sur les discriminations de mars 2000 (préc.), 30 % de l'ensemble des emplois sont interdits partiellement ou totalement aux étrangers, soit 7 millions d'emplois. La condition de nationalité pour l'accès à l'emploi touche aussi bien le secteur public que privé.

Comme l'a relevé, en 2000, le GED, les raisons ayant présidé à la mise en place des interdictions sont très variables. Elles tiennent à la volonté de protéger l'activité économique des nationaux contre la concurrence étrangère et à une logique politique de clientélisme visant à répondre aux craintes de certaines catégories professionnelles vis-à-vis de la main d'oeuvre étrangère ; à la défense des intérêts vitaux du pays à l'égard de l'influence étrangère ; à la peur de l'étranger et de son influence jugée néfaste sur les travailleurs nationaux, avec pour corollaire, la stigmatisation du comportement des étrangers dont on dénonce le défaut de moralité ; enfin, parce que tout fonctionnaire est considéré comme participant à l'exercice de la souveraineté et de la puissance publique, et ne peut donc être que de nationalité française.

A - Accès à l'emploi des étrangers et statut des entreprises

  • Accès à l'emploi des étrangers dans la fonction publique et autres employeurs publics

En application du droit communautaire, la loi du 26 juillet 1991 (6) a ouvert, aux ressortissants communautaires uniquement, la possibilité d'accéder aux corps, cadres et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à des prérogatives de puissance publique. Toutefois, les étrangers extracommunautaires sont dans l'impossibilité d'accéder aux emplois statutaires de la fonction publique. Seuls les emplois de non titulaires leur sont ouverts, sous forme de contrats ou de vacations.

Selon le rapport du GED (préc.), plusieurs fonctions dans les hôpitaux publics ont été ouvertes aux étrangers extracommunautaires soit pour pallier le manque de main d'oeuvre, soit pour attirer des talents étrangers. Les étrangers non communautaires font donc partie des effectifs et sont recrutés pour effectuer les mêmes tâches que des fonctionnaires, mais sous des statuts précaires qui ne leur permettent pas d'espérer une évolution de leur carrière. Il existe, néanmoins, une exception à cette interdiction en ce qui concerne l'enseignement supérieur. Depuis les lois du 15 juillet 1982 (loi n° 82-610, d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France N° Lexbase : L6628AGL) et 26 janvier 1984 (loi n° 84-53, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX), les emplois d'enseignants-chercheurs sont ouverts sans condition de nationalité (C. éduc., art. L. 952-6 N° Lexbase : L9930AR9), selon les modalités prévues par le décret n° 84-431 du 6 juin 1984, fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences (N° Lexbase : L7889H3L).

Selon la Halde (délibération n° 2009-139), les étrangers extracommunautaires ne peuvent pas accéder aux emplois permanents statutaires de la majorité des entreprises assurant la gestion d'un service public entreprises (EDF-GDF, Banque de France). Seuls les emplois non statutaires sont ouverts aux extracommunautaires sous la forme de contrats. La Halde note, toutefois, des avancées : la RATP a ouvert ses 45 000 emplois, sans condition de nationalité depuis décembre 2002 ; depuis 2001, la condition de nationalité pour les postes de la Sécurité sociale a été supprimée.

Par une délibération n° 2008-189 du 15 septembre 2008 (N° Lexbase : X7346AES), la Halde s'est prononcée sur les offres d'emploi subordonnant l'accès à un poste de conducteur-receveur de bus à une condition de nationalité française. En l'espèce, l'employeur invoquait que les conducteurs-receveurs peuvent être amenés, dans le cadre de la polyvalence des fonctions, à exercer la fonction d'agents vérificateur de titres de transports ce qui, selon lui, requiert d'avoir la nationalité française. Selon l'entreprise, le fait d'être assermenté à dresser des PV pour absence de titre de transport et/ou pour des infractions au stationnement justifie d'avoir la nationalité française. La Halde soulignait, pourtant, qu'il n'existe aucun texte exigeant la condition de nationalité française pour exercer ces fonctions. Dans l'hypothèse où une réglementation prévoirait cette condition, celle-ci serait considérée comme incompatible avec l'article 39 § 4 du Traité CE , qui n'autorise les Etats à procéder à des discriminations fondées sur la nationalité que pour les emplois dans l'administration publique. Il n'existe, pas davantage, de réglementation réservant l'accès aux emplois du secteur des transports publics aux seuls nationaux, ni aucun article dans le Code de procédure pénale soumettant l'assermentation et l'agrément des contrôleurs de titre de transport à une condition de nationalité française.

La CJCE a précisé le champ d'application de l'article 39 § 4 du Traité CE par deux arrêts rendus le 2 juillet 1996 (7). La CJCE a jugé qu'une condition de nationalité générale, applicable à tous les emplois (entre autres) dans le secteur des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, n'était pas couverte par la dérogation de l'article 48 § 4 du Traité . Ces emplois sont généralement éloignés des activités spécifiques de l'administration publique. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion d'emploi dans l'administration publique, au sens de l'article 39 § 4, doit recevoir une interprétation et une application uniformes dans l'ensemble de la Communauté et ne saurait, dès lors, être laissée à la totale discrétion des Etats membres. Parmi ces emplois figurent ceux qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques et supposent, ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'Etat ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité (CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-290/94, préc., point 2).

Dans un arrêt du 30 septembre 2003 (8), la CJCE a précisé que la circonstance que les capitaines de navire sont employés par une personne physique ou morale de droit privé n'est pas, en tant que telle, de nature à écarter l'applicabilité de l'article 39 § 4, dès lors qu'il est établi que, pour l'accomplissement des missions publiques qui leur sont dévolues, les capitaines agissent en qualité de représentants de la puissance publique, au service des intérêts généraux de l'Etat du pavillon. Toutefois, le recours à la dérogation à la libre circulation des travailleurs, prévue à l'article 39 § 4 ne saurait être justifié du seul fait que des prérogatives de puissance publiques sont attribuées par le droit national aux titulaires des emplois en cause. Encore faut-il que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle par ces titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités. Selon la CJCE, la portée de cette dérogation doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat membre concerné, laquelle ne saurait être mise en péril si des prérogatives de puissance publique n'étaient exercées que de façon sporadique, voire exceptionnelle, par des ressortissants d'autres Etats membres.

  • Accès à l'emploi des étrangers chez les employeurs du secteur privé

Le rapport rédigé en novembre 1999 par le cabinet Bernard Brunhes Consultants avait relevé que plus de 50 professions voient leur accès soit fermé, soit restreint aux étrangers et ce, à des niveaux très divers (9), en raison de la condition de nationalité. Dix-sept professions sont soumises à une stricte condition de nationalité française (huissiers de justice, notaires, pilotes d'avion, directeurs de publications de presse ou concessionnaires de services publics). D'autres professions (au nombre de 35) seraient soumises à une condition de nationalité communautaire (vétérinaires, directeurs de salles de spectacles, débitants de tabac ou dirigeants de régies, entreprises, associations ou établissements des services extérieurs des pompes funèbres).

Sauf convention bilatérale particulière, sont, également, soumises à une condition de nationalité soit communautaire, soit d'un pays lié avec la France par une convention de réciprocité, les professions essentiellement exercées à titre libéral : emplois relevant d'un ordre professionnel dont, notamment, les avocats ; les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ; les experts-comptables ; les architectes ; et les pharmaciens et géomètres experts. Enfin, à coté des professions libérales, il faut mentionner d'autres professions relevant du secteur privé : débitants de boissons et dirigeants d'entreprises de surveillance, de transport de fonds, de protection des personnes, ou de gardiennage.

Dans son avis rendu le 1er décembre 2008, le Comité consultatif de la Halde a souligné que la fermeture de millions d'emplois aux ressortissants des pays tiers et les discriminations à l'embauche que cela engendre pour des centaines de milliers d'autres emplois explique en grande partie pourquoi les statistiques de l'Insee signalent que les étrangers non européens sont, en France, deux fois plus victimes du chômage et de l'emploi précaire que les Français et les ressortissants européens. Ceci a pour conséquence un taux de chômage et de précarité très élevé dans les quartiers populaires, où est concentrée la majeure partie des étrangers non européens.

En 1990, la doctrine (10) s'était interrogée sur le motif légitime de ces exclusions du marché du travail frappant les étrangers. "La plupart traduisent simplement la volonté de protéger les nationaux contre la concurrence étrangère : très souvent, d'ailleurs, les mesures restrictives ont été prises à une époque relativement récente (soit dans l'entre-deux guerres, soit après la guerre), sous la pression des milieux professionnels concernés. Or le souci malthusien des membres d'une profession de se protéger contre la concurrence ne suffit évidemment pas à justifier, au regard des principes à valeur constitutionnelle, l'existence de différences de traitement entre nationaux et étrangers : dès lors que ceux-ci ont été autorisés à s'établir et travailler en France, ils doivent en effet pouvoir se réclamer du principe posé par le Préambule de la constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) : nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines'".

B - Accès à l'emploi des étrangers et appartenance à un Etat membre

  • Egalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants communautaires

Le Comité consultatif de la Halde (délibération n° 2009-139) a souhaité que soit supprimée toute distinction entre les travailleurs qu'ils appartiennent, ou non, à l'Union européenne. Conformément à l'article 39 du Traité CE, la liberté de circulation implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Au-delà de la liberté de circulation des travailleurs, le droit communautaire garantit, ainsi, une égalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants communautaires.

Selon la CJCE, l'exception au principe d'égalité d'accès à l'emploi entre nationaux et ressortissants communautaires est d'interprétation stricte, il n'y a pas lieu de distinguer entre secteur public et secteur privé, et il faut s'attacher à la nature de l'emploi. Si le droit communautaire permet aux Etats membres de réserver à leurs nationaux les emplois liés à la souveraineté nationale ou à l'exercice de prérogatives de puissance publique, le Collège de la Halde a relevé que le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres reconnaissent aux extracommunautaires, le droit à un égal accès à l'emploi, sur leur territoire.

  • L'égalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants non communautaires en question

Le Collège de la Halde a observé que, depuis le Traité d'Amsterdam, les questions d'asile et d'immigration sont de la compétence des institutions européennes et ne relèvent plus seulement d'une coopération entre Etats membres. Ainsi, le Conseil a étendu l'égalité de traitement dans l'emploi dont jouissent les ressortissants communautaires, aux membres de leur famille ressortissants des Etats tiers (Directive 2004/38 du 29 avril 2004, préc., art. 23 et art. 24).

Le droit communautaire prévoit, également, d'accorder le droit à l'égalité dans l'accès à l'emploi aux résidents extra-communautaires de longue durée. Toutefois, les Etats membres conservent une marge de manoeuvre en la matière et peuvent, ainsi, déroger à ce principe. En effet, la Directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 confère ce droit aux ressortissants des pays tiers résidents de longue durée, définis comme des personnes résidant de manière légale et ininterrompue sur le territoire d'un Etat membre depuis cinq ans (art. 11). Toutefois, cette Directive donne la faculté aux Etats membres de maintenir des restrictions à l'accès à l'emploi ou à des activités non salariées lorsque, conformément à leur législation nationale ou au droit communautaire en vigueur, ces activités sont réservées à ses ressortissants nationaux, aux citoyens de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen (art. 11-3, sous a).

L'Etat français a intégré au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile les dispositions harmonisant le statut de résident de longue durée, mais il n'a pas transposé le principe de l'égalité de traitement entre nationaux et résidents ressortissants d'Etat tiers dans l'accès à l'emploi. Le Collège de la Halde a constaté, toutefois, que, malgré l'expiration du délai de transposition de ces deux Directives, en 2006, le principe d'égalité d'accès à l'emploi n'a pas été transposé en droit interne concernant les membres de la famille et les résidents de longue durée.

La Halde s'est interrogée sur les justifications du maintien des conditions de nationalité dans l'accès à de nombreux emplois et professions, précision étant faite qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause la réserve aux nationaux des emplois, du secteur public comme du secteur privé, impliquant l'exercice de la souveraineté nationale ou de prérogatives de puissance publique.

Mais, concernant les autres emplois, les justifications historiques, selon la Halde, apparaissent aujourd'hui inappropriées. Dès lors que des emplois sont ouverts aux ressortissants communautaires, les différentes justifications au soutien du maintien de la condition de nationalité perdent de leur force. Lorsque des ressortissants d'Etats tiers sont employés dans les mêmes fonctions que des ressortissants communautaires (mais sous des statuts précaires -vacations, sous-traitance-), la condition de nationalité devient sans fondement. Par conséquent, au regard de la perte de légitimité de la condition de nationalité dans l'accès à l'emploi et de la nécessité de transposer les Directives communautaires 2004/38 du 29 avril 2004 et 2003/109/CE du 25 novembre 2003, le Collège de la Halde a recommandé (délibération n° 2009-139) au Gouvernement de supprimer les conditions de nationalité pour l'accès aux trois fonctions publiques, aux emplois des établissements et entreprises publics et aux emplois du secteur privé, à l'exception de ceux relevant de la souveraineté nationale et de l'exercice de prérogatives de puissance publique.

Au final, pour la Halde, une réactualisation de la liste des emplois fermés du secteur privé est nécessaire. Cette démarche apparait également utile s'agissant des emplois dans les établissements et entreprises publics. Par conséquent, le Collège de la Halde recommande au Premier ministre de faire procéder à un recensement de l'ensemble des emplois fermés en France. Le Collège examinera au cas par cas les justifications apportées, dans l'hypothèse du maintien de conditions de nationalité pour certains emplois.

La Halde rejoint, ainsi, les recommandations formulées il y a quelques années par le Groupe d'étude sur les discriminations (rapport de mars 2000, préc.), suggérant une révision des textes réglementaires et législatifs afin de lever la condition de nationalité pour l'exercice des professions fermées dans le secteur privé, à l'exception de celles qui entrent dans le cas de l'exercice de la souveraineté ou de la participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique (au moins 28 professions sont concernées, notamment, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, vétérinaires, experts-comptables, architectes, géomètres-experts, débitants de tabac et de boissons).


(1) Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (N° Lexbase : L7906DN7) ; Directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (N° Lexbase : L2090DY3) ; Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN).
(2) Loi n° 91-715 du 26 juillet 1991, portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L1103G8D) ; loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L5199GU4) ; loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA) ; décret n° 2005-215 du 4 mars 2005, relatif à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L0822G8X).
(3) Créé par une convention constitutive en avril 1999, le Groupe d'étude sur les discriminations (GED) est un groupement d'intérêt public ayant pour mission d'analyser les discriminations dont souffrent les populations à raison de leur origine, réelle ou supposée, d'expliquer les mécanismes en oeuvre et de formuler des propositions de nature à les combattre. Le GED vise, ainsi, un double objectif : donner à connaître et à comprendre les processus discriminatoires aux pouvoirs publics et aux acteurs sociaux et éclairer la mise en oeuvre et la conduite des actions de lutte contre les discriminations, notamment à partir des recommandations qu'il peut formuler. Le conseil d'administration du GED associe pouvoirs publics, associations impliquées dans la lutte contre le racisme, organisations syndicales et patronales.
(4) GED, Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux Etrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques), note n° 1, mars 2000.
(5) Adri, Les discriminations dans le monde du travail, coll. Adri-études, 1998 ; P. Bataille, Le racisme au travail, Paris, La Découverte, 1997 ; F. Bayade, L'insertion professionnelle des étrangers : chômage, évolution de 1992 à 1996 et dispositif d'insertion en 1995, Notes et documents de la Direction et de la Population et des Migrations, n° 33, avril 1997 ; Bernard Brunhes Consultants, Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers, novembre 1999, 2 volumes ; J.-M. Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport pour Madame la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, mars 1999 ; Conseil d'Etat, Sur le principe d'égalité, La Documentation française, 1998 (notamment, article de Marceau Long, Le principe d'égalité et les étrangers, p.113) ; Conseil économique et social, La vie professionnelle des travailleurs étrangers en France, Avis et rapports, n° 14, 1993 ; Conseil national des populations immigrées (CNPI), Egalité des droits, Rapports et avis, septembre 1991 ; Dictionnaire permanent-Droit des étrangers, Editions législatives, décembre 1999 ; Haut Conseil à l'intégration, Rapport relatif aux discriminations, 1998 ; A. Lebon, Immigration et présence étrangère en France 1997-1998, La Documentation française, décembre 1998 ; D. Lochak, Etrangers, de quels droits ?, coll. Politique d'aujourd'hui, PUF 1985 ; D. Lochak, Les politiques de l'immigration au prisme de la législation sur les étrangers, in D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal (sous dir.), Les lois de l'inhospitalité, La Découverte, 1997 ; C.-V. Marie, A quoi sert l'emploi des étrangers ?, in D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal (sous dir.), Les lois de l'inhospitalité, préc. ; P. Weil, La France et ses étrangers, Folio actuel, 1995 ; v., aussi, P. Bataille, Repérer les discriminations racistes dans le travail et à l'embauche, Ville-Ecole-Intégration n° 113, juin 1998 ; L. Ettahiri, Médecins étrangers : quel avenir en France ?, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 26, septembre-octobre 1994 ; D. Lochak, Des discriminations jusqu'à quand ?, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 7, avril 1989 ; Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ?, Dr. soc., janvier 1990 ; Emploi et protection sociale, les inégalités du droit, Hommes et Migrations, n° 1187, mai 1995 ; Médecins ou français, il faut choisir !, Plein Droit, La revue du GISTI, 1995 ; Devoir d'intégration et immigration, RDSS, 2009, p. 18 ; C.-V. Marie, Les étrangers en première ligne dans l'élasticité de l'emploi, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 31, mars 1996 ; A. Math et A. Spire, Sept millions d'emplois interdits, Plein Droit, La revue du GISTI n° 41-42, avril 1999 ; A. Math et A. Spire, Des emplois réservés aux nationaux ?, Information sociale, Dossier "Droits des étrangers", n° 78, 1999 ; J. Wrench, Discrimination formelle et informelle sur le marché du travail européen, Hommes et Migrations, n° 1211, janvier-février 1998.
(6) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 5 bis (N° Lexbase : L6938AG3). Ce dispositif a été complété par les articles 10 et 11 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA).
(7) CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-290/94, Commission des Communautés européennes c/ République hellénique (N° Lexbase : A0136AWX), Recueil 1996 p. I-03285 ; M. Nicolella, Gazette du Palais, 1996, II, som. p.573 ; M. Luby, Journal du droit international, 1997, p. 553 ; C. Gavalda et G. Parléani, JCP éd. E, 1997, I, p. 653, n° 24. Et CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-473/93, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg (N° Lexbase : A1714AWE), Recueil, 1996, p. I-03207 ; M. Nicolella, Gazette du Palais, 1996, II, som., p. 573 ; M. Luby, Journal du droit international, 1997, p. 553 ; C. Gavalda et G. Parléani, JCP éd. E, 1997, I, p. 653, n° 24.
(8) CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-405/01, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española c/ Administración del Estado (N° Lexbase : A6938C9T), Recueil, 2003, p.I-10391 ; L. Idot, Un Etat membre ne peut réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine des navires, Europe, 2003, comm. n° 357, p. 25 ; P. Bonassies, La nationalité des capitaines de navire et la CJCE, Le droit maritime français, 2003, p. 1027 ; X. Latour, Revue des affaires européennes, 2003-04, p. 288.
(9) Liste 1 à l'annexe 2 du rapport Brunhes, préc..
(10) D. Lochak, Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ?, préc..

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