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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Dès lors, on comprend mieux, à la lumière de transferts de joueurs avoisinant, désormais, les 94 millions d'euros comme celui du footballeur Cristiano Ronaldo, au Real de Madrid en 2009, avec un salaire mensuel de 1 083 000 euros, les enjeux d'une profession méconnue, mais aux accents de souffre : agent sportif.
Qui connaît Philippe Flavier, Alain Migliaccio, Jean-Pierre Bernès et Frédéric Dobraje ? Pini Zahavi en Angleterre, Juan Figer au Brésil, et Jorge Mendes, agent de Ronaldo et de Mourinho, sont les stars de la profession !
Pourtant, ne nous y trompons pas : lorsque l'on est rémunéré par des commissions, en principe calculées en fonction des rémunérations brutes perçues par le joueur tout au long du contrat négocié, avec un pourcentage qui varie de 3 à 10 % sur des salaires annuels à huit chiffres, la profession peut faire des émules... à la rigueur, la transparence, l'honnêteté toutes relatives.
Et, parce que l'"on est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance", nous enseigne le Cardinal de Retz, un autre habitué des "transferts", il n'est guère étonnant que nombre de sportifs confient les rennes de leurs carrières à leur famille proche avec l'amateurisme, comme corollaire, et l'abus de confiance, dans les cas les plus sordides. "Les gens qui nous donnent leur pleine confiance croient par là avoir un droit sur la nôtre. C'est une erreur de raisonnement ; des dons ne sauraient donner un droit" : c'est Humain, trop humain nous livre un brin moqueur Nietzsche.
Alors, il était temps que, au-delà des licences accordées par les fédérations sportives et autres Règlement concernant le statut et le transfert des joueurs, l'on réglemente, on ne peut mieux, une profession qui souffle le chaud et le froid, surtout à la veille d'un mercato post-coupe du monde qui devrait s'avérer encore plus "euphorique" que les années passées. Gallas au Panathinaïkos ou au PSG ? Mexès et N'Zogbia à la Juventus ? Costa à Valence ? Qu'importe la destination pour ces globe-trotters cosmopolites de la balle, pourvu que leurs agents sportifs aient de l'adresse à leur négocier, à l'occasion de ce transfert, les meilleurs avantages possibles ! Et finalement, comme au mercato vecchio de Florence, c'est à celui qui sera le plus criard, pardon le meilleur mandataire, que reviendra la palme du meilleur agent.
"Ne soyez ni confiant, ni banal, ni empressé, trois écueils ! La trop grande confiance diminue le respect, la banalité nous vaut le mépris, le zèle nous rend excellents à exploiter" : telle pourrait être la maxime, tirée du Lys dans la vallée, de Balzac -que nous recommandons à tous les joueurs sur le banc de touche ou dont l'hiver sud-africain ne réussit pas trop au teint- de cette profession nouvellement réglementée par la loi du 9 juin 2010.
Cette loi fait suite à une mission d'inspection du ministre de l'Economie et du ministre des Sports, et à des travaux visant à modifier le cadre législatif de la profession d'agent sportif engagés par le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, le Comité national olympique et sportif Français et par le Parlement : point d'Etats généraux avec précipitation ou de déballage télévisuel, mais tout de même, un loi un brin concertée...
Alors certes, l'exercice de la profession d'agent sportif était, déjà, encadré par les articles L. 222-6 et suivants du Code du sport. Mais, si les fédérations délégataires se sont acquittées de façon relativement satisfaisante de la mise en oeuvre du dispositif dans sa partie relative à l'accession à la profession d'agent sportif, le contrôle de l'activité d'agent sportif n'a été que très partiel, et s'est révélé, dans certaines disciplines, difficile et inefficace.
Les dispositions législatives nouvelles visent, donc, à prendre en considération les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du dispositif et s'articulent autour de l'accès, l'exercice et le contrôle de la profession d'agent sportif.
Rapidement, on y rencontrera la suppression de la délivrance de la licence d'agent sportif aux personnes morales qui permet de mieux identifier la personne qui peut exercer la profession d'agent sportif, avec la possibilité de constituer une société pour exercer leur activité -société soumise à des conditions de moralité, d'incapacités et d'incompatibilités similaires à celle des agents sportifs personnes physiques- ; une "étanchéité juridique" entre l'activité d'agent sportif et celle d'autres acteurs du sport tels que les dirigeants, associés ou actionnaires d'une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ; ou les dirigeants d'associations employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ou d'une fédération ou d'un organe qu'elle a constitué. L'activité des agents sportifs ressortissants d'un Etat membre de l'UE ou de l'EEE et agents extracommunautaires non titulaires d'une licence d'agent sportif est facilitée. La loi encadre et rend licites les opérations de placement d'entraîneurs par les agents sportifs. La loi précise les relations contractuelles qui sont concernées par l'activité d'agent et revient sur le contrat de courtage, contrat traduisant juridiquement l'activité de l'agent qui s'oblige à mettre en relation les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice d'une activité sportive. La rémunération de l'agent reste limitée à 10 % du montant des contrats conclus mais deux types de contrats sont visés : les contrats relatifs à l'exercice rémunéré d'une activité sportive (ex : contrat de travail du joueur) ; et les conventions prévoyant les contrats de travail relatifs à l'exercice rémunéré d'une activité sportive (contrats de transfert). Mais, l'agent sportif ne pourra percevoir de rémunération avant d'avoir transmis son contrat à la fédération. La conclusion d'un contrat relatif à l'exercice d'une activité sportive par un mineur ne peut donner lieu à aucune rémunération ou indemnité, ni à l'octroi de quelque avantage que ce soit au bénéfice de l'agent, cette interdiction étant assortie de dispositions pénales. La loi dispose, enfin, que les fédérations délégataires ou les ligues professionnelles qu'elles ont constituées doivent veiller, au titre de la délégation de pouvoir qui leur est concédée, à ce que les contrats préservent les intérêts des sportifs, des entraîneurs et de la discipline concernée et soient conformes à la loi. Un contrôle annuel de l'activité de l'agent est effectué et s'accompagne, notamment, de la transmission des comptes sectorisés (documents comptables) de l'activité d'agent sportif.
Un dispositif à point nommé pour assainir et développer une profession lucrative à l'ère de la transparence et de l'éthique ; que dis-je, un dispositif, une véritable déontologie... prête à se conjuguer à celle du spécialiste de la représentation des intérêts de son client : l'avocat.
Car, bien entendu, il ne faut pas perdre de vue que le véritable enjeu de cette déonto-compatibilité vise la possibilité pour les avocats d'être agent sportif. Plusieurs initiatives allaient déjà dans ce sens : d'abord, le rapport "Darrois", aux préconisations si chères aux yeux du Gouvernement, qui estime que "le souhait d'une majorité d'avocats de rendre compatible leur profession avec celle d'agent sportif et agent artistique est raisonnable" ; ou l'adoption, le 17 mars 2009, par le conseil de l'Ordre des avocats de Paris, d'un nouvel article P 6.2.03 à son Règlement intérieur, pour rappeler que l'avocat peut être agent sportif : "Avant d'exercer l'activité d'agent sportif, l'avocat doit en faire la déclaration au Bâtonnier. Il est tenu au sein de l'Ordre un registre des avocats agents sportifs. Dans son activité d'agent sportif, l'avocat reste tenu de respecter les principes essentiels et les règles du conflit d'intérêts". Mais, c'est sur proposition du rapporteur et du groupe socialiste, qu'a été supprimée la disposition prévue à l'alinéa 17 de l'article 1er tel qu'adopté par le Sénat, qui prohibait l'exercice de la profession d'agent par les avocats. L'Assemblée nationale a considéré que les compétences des avocats en matière de conseil juridique et de négociation les rendent légitimes à exercer la profession d'agent. Les auteurs de l'amendement ont observé que la déontologie des avocats pourrait même contribuer à moraliser l'activité d'agents sportifs. Toutefois, l'obligation pour les avocats d'obtenir une licence d'agent avant d'exercer cette activité demeure.
Dans sa hotte présidentielle, à l'occasion du bicentenaire du rétablissement de l'Ordre de Paris, le 24 juin 2010, Nicolas Sarkozy, au chapitre des autosatisfactions, n'aura parlé que de l'acte contresigné, instrument sacramentel de l'avocat-rédacteur d'acte ; il aurait pu, tout aussi bien, parler de l'avocat-agent sportif, eu égard à sa fonction représentative naturelle des intérêts d'autrui. Deux cadeaux avant une glaciation financière de l'aide juridictionnelle valent mieux qu'un !
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