La lettre juridique n°397 du 3 juin 2010 : Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] De l'illicéité des stipulations conventionnelles permettant à l'employeur d'écarter la convention collective correspondant à l'activité principale de l'entreprise

Réf. : Cass. soc., 19 mai 2010, n° 07-45.033, M. Jean-Claude Bruyère et a. c/ Association Service médical du travail du bâtiment et des travaux publics de la Savoie, FS-P+B (N° Lexbase : A3738EXQ)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Une convention collective de branche étendue ne doit être appliquée dans une entreprise que si elle entre dans son champ d'application territorial et professionnel. Si le premier critère n'est guère difficile à apprécier, il n'en va pas de même du second. La Cour de cassation considère de longue date qu'il faut avoir égard à l'activité réelle de l'entreprise et, en cas de pluralité d'activités exercées sur un même site, à l'activité principale. Ces règles sont strictement mises en oeuvre par la Chambre sociale, qui n'entend pas, notamment, permettre aux partenaires sociaux d'y déroger, si ce n'est dans l'étroit espace de liberté que leur a accordé le législateur. C'est ce que rappelle opportunément un intéressant arrêt rendu le 19 mai 2010.


Résumé

Doit être réputée non écrite la clause de la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises excluant de son champ d'application certains services interentreprises de médecine du travail appliquant antérieurement à son entrée en vigueur une autre convention collective sans rapport avec cette activité.

I - Détermination de la convention collective applicable

  • L'activité de l'entreprise

Afin de déterminer la convention collective de branche applicable au groupement qu'il dirige, le chef d'entreprise doit, en premier lieu, s'interroger sur l'activité qui y est développée. Cela ne pose, a priori, guère de difficulté lorsque l'entreprise n'a qu'une seule activité. Il importe, toutefois, de rappeler que seule doit être prise en compte l'activité réelle de l'entreprise, à l'exclusion des mentions contenues dans les statuts de la personne morale qui la structure d'un point de vue juridique (1). De même, le code APE attribué par l'Insee à l'entreprise n'ayant qu'une valeur indicative, l'employeur, tout comme le juge, se doivent de rechercher l'activité réelle (2).

La situation se complique quelque peu lorsqu'une même entreprise déploie en son sein plusieurs activités. Il résulte, tant de la loi (C. trav., art. L. 2261-2, al. 1er N° Lexbase : L2420H9I) que de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (3), que la convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. On peine, toutefois, à déceler, dans les arrêts rendus par la Chambre sociale en la matière, des critères précis permettant de déterminer l'activité principale. Tantôt celle-ci se réfère au chiffre d'affaires, tantôt est retenu le nombre de salariés affectés à l'activité.

Cela étant, dès lors que l'activité principale de l'entreprise a été identifiée, seule la convention collective correspondante doit être appliquée. S'il n'en existe pas, l'employeur ne saurait être tenu de respecter la convention dont relève l'activité secondaire. Dans une telle situation, fort rare au demeurant, les salariés sont dépourvus de statut conventionnel de branche, sauf si l'employeur souhaite faire une application volontaire d'une convention ou y adhère dans les conditions fixées par l'article L. 2261-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2422H9L).

Il convient, enfin, de rappeler que, lorsque l'entreprise mène plusieurs activités nettement différenciées dans des centres d'activités autonomes, on applique à chacune de ces entités la convention collective qui correspond à son activité (4).

  • Le champ d'application défini par la convention collective

Dès lors que l'activité réelle et, le cas échéant, principale de l'entreprise a été déterminée, il faut, dans un second temps, rechercher la convention collective de branche dont elle relève. Pour ce faire, il importe de se reporter aux stipulations des normes conventionnelles, dont on sait qu'elles doivent déterminer leur champ d'application territorial et professionnel (C. trav., art. L. 2222-1, al. 1er N° Lexbase : L3220IM9, anc. L. 132-5 N° Lexbase : L1370G9M) (5).

Ainsi, et pour en venir à l'arrêt commenté, était en cause la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail du 20 juillet 1976, étendue par arrêté du 18 octobre 1976. Son article 1er stipule qu'elle "règle, dans le cadre des dispositions concernées du Code du travail, les rapports entre les services interentreprises de médecine du travail et leur personnel salarié". A s'en tenir à ces stipulations, toute "entreprise" ayant pour activité principale d'être un service interentreprises de médecine du travail se doit donc d'appliquer cette convention et elle seule (6).

Telle n'était pourtant pas le cas en l'espèce, dans laquelle l'association Service médical du travail du bâtiment et des travaux publics de Savoie faisait application de la Convention collective nationale des ingénieurs assimilés et cadres du bâtiment à laquelle elle avait adhéré le 18 juin 1975. Un salarié engagé en qualité de médecin du travail en avril 1979 et un syndicat avaient saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir appliquer la Convention collective nationale des services interentreprises de médecine du travail et obtenir paiement de diverses sommes à ce titre.

Pour débouter le salarié et le syndicat de leurs demandes, l'arrêt attaqué avait retenu que la Convention collective nationale des services interentreprises de médecine du travail exclut de son champ d'application, par une clause qui ne peut être qualifiée d'option, les services liés au jour de son entrée en vigueur à une autre convention collective. Or, tel était le cas de l'association employeur par le fait de son adhésion, le 18 juin 1975, à la Convention collective nationale du bâtiment du 23 juillet 1956.

Ainsi que l'on s'en rend compte, la mise à l'écart de la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail par les juges du fond était fondée sur les stipulations de celle-ci. Cela n'a guère convaincu la Cour de cassation qui dénie toute portée à la stipulation en cause (7).

II - La mise à l'écart des stipulations conventionnelles contraires à la loi

  • La condamnation des "clauses d'option"

On se souvient que, dans un important arrêt rendu le 26 novembre 2002, la Cour de cassation a considéré qu'il ne peut être dérogé au principe selon lequel la convention collective applicable aux salariés est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur, par une clause d'une convention de branche offrant à certaines entreprises le choix entre deux conventions (8). Ont ainsi été condamnées par cette décision, les clauses dites "d'option", permettant à une entreprise exerçant plusieurs activités de choisir l'une des conventions correspondant à ces dernières.

Cette solution n'avait pas échappé aux juges du fond qui, pour l'écarter, s'étaient bornés à relever que la clause litigieuse ne pouvait être qualifiée d'option. On peut leur donner raison sur ce point car l'association n'exerçait pas plusieurs activités et la stipulation en cause n'offrait pas une option entre plusieurs conventions susceptibles de s'appliquer simultanément. On était plutôt en présence de ce qu'un auteur qualifie de "clause de statu quo", permettant aux entreprises de continuer à appliquer la convention collective qu'elles appliquaient à la date d'entrée en vigueur du nouveau dispositif conventionnel ou à sa date d'extension (9).

Pour autant, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond au visa de l'article L. 132-5 du Code du travail alors applicable, ensemble l'article 1er de la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail du 20 juillet 1976 étendue par arrêté du 18 octobre 1976. La Chambre sociale rappelle, d'une part, que la convention collective applicable aux salariés est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur, et, d'autre part, que selon son article 1er, la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail règle, dans le cadre des dispositions concernées du Code du travail, les rapports entre les services interentreprises de médecine du travail et leur personnel salarié. Elle en déduit qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors que la seule activité de l'association est un service interentreprises de médecine du travail et que doit être réputée non écrite la clause de la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises excluant de son champ d'application certains services interentreprises de médecine du travail appliquant antérieurement à son entrée en vigueur une autre convention collective sans rapport avec cette activité, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cette solution doit être pleinement approuvée. Il ne peut, en effet, être admis qu'une stipulation conventionnelle écarte le principe d'ordre public selon lequel la convention collective applicable aux salariés est celle dont relève l'activité principale exercée par leur employeur. Tout au plus, est-il possible de relever qu'à l'époque des faits, aucun article du Code du travail n'évoquait expressément cette règle, qui résultait toutefois, ainsi qu'il a été vu, d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Que les partenaires sociaux excluent certaines activités économiques du champ d'application de la convention collective qu'ils concluent est une chose (11) ; qu'ils permettent à un employeur de décider unilatéralement d'appliquer une convention dont son entreprise ne relève pas du fait de son activité en est une autre. Il importe, en outre, peu que celle-ci était appliquée faute de convention correspondant à l'activité de l'entreprise. Dès lors que cette dernière entre en vigueur, elle doit seule être respectée. Toute stipulation dérogeant à cette règle doit être réputée non écrite en raison de sa contradiction avec l'ordre public.

  • Portée

Ainsi qu'il a été relevé précédemment, la décision sous examen a été rendue sous l'empire des textes antérieurs à la loi du 4 mai 2004, qui est venue validée les clauses d'option. En application de l'alinéa 2 de l'article L. 2261-2 (anc. art. L. 132-5-1), "en cas de pluralité d'activités rendant incertaine l'application [du critère de l'activité principale] pour le rattachement d'une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l'entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables".

On peut se demander si la solution retenue par la Cour de cassation aurait pu être différente par l'effet de cette disposition. Il faut certainement répondre par la négative à cette interrogation. En effet, parmi les conditions posées par le texte, figure, en tout premier lieu, l'exigence qu'une pluralité d'activités soit exercée dans l'entreprise. Or, il y a tout lieu de constater que tel n'était pas le cas en l'espèce, la Cour de cassation prenant soin de relever que "la seule activité de l'association est un service interentreprises de médecine du travail". En d'autres termes, l'article L. 2261-2 reste impuissant à assurer la validité d'une clause "de statu quo" telle que celle qui figurait dans la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail.

Cela étant, il est difficile de ne pas se mettre à la place de l'employeur qui, croyant légitimement tirer partie des stipulations d'un texte signé par d'autres, n'a, pendant plusieurs années, pas fait application d'une convention collective qu'il était pourtant tenu de respecter (12). Cela aura nécessairement un coût, à la mesure des avantages dont les salariés auront été indument privés. Reste à savoir s'il ne pourrait pas se retourner contre les signataires du texte afin de leur demander réparation. Mais c'est là une autre question.


(1) Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 90-44.807, Association Résidence Rhône-Alpes c/ Mme Dolcetti (N° Lexbase : A6397ABK) ; Cass. soc., 4 décembre 2001, n° 99-43.676, M. Daniel Masse c/ Société HVH-BLB (N° Lexbase : A5727AXE).
(2) Cass. soc., 19 juillet 1995, n° 91-44.963, Société Mazza orthopédie c/ M. Azib (N° Lexbase : A0919ABN) ; Cass. soc., 8 avril 1998, n° 95-44.750, M. Robert Mimart. c/ Société Informatique du Galeizon (N° Lexbase : A8827AGZ).
(3) Voir, par exemple, Cass. soc., 14 octobre 1992, n° 89-45.504, Mme Sonia Chassillan c/ Société à responsabilité limitée Emballages plastiques avignonnais (N° Lexbase : A3104AUI). Là encore, le code APE n'a qu'une valeur indicative : Cass. soc., 21 juin 2006, n° 04-47.565, Société Centre spécialités pharmaceutiques c/ M. Christian Roriz (N° Lexbase : A9928DPE).
(4) Cass. soc., 21 mars 1990, n° 86-45.490, Société Sarli c/ Mme Bidot (N° Lexbase : A1391AAR) ; Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-16.995, Société Carnaud metalbox alimentaire France c/ Fédération des industries du livre,du papier carton et de la communication (N° Lexbase : A8138AGI).
(5) Ainsi que le précise cette disposition, "le champ d'application professionnel est défini en termes d'activités économiques".
(6) Sachant que son champ d'application territorial s'étend à l'ensemble de la France métropolitaine et des départements d'outre-mer.
(7) Stipulation aux termes de laquelle, "toutefois, n'entrent pas dans le champ de la présente convention les services interentreprises professionnels qui, au jour de sa mise en application, sont liés par une autre convention collective" (art. 1er, dern. al.).
(8) Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-46.873, M. Jean-Pierre Roue c/ Société Vitrerie miroiterie Samiver (N° Lexbase : A1210A4L), Dr. soc., 2003, p. 183, note P.-H. Antonmattéi.
(9) G. Vachet, Négociation. Conventions et accords collectifs. Application, J.Cl. Travail Traité, Fasc. 1-34, 2009, § 43.
(10) L'article L. 132-5-1 (N° Lexbase : L4694DZU, art. L. 2261-2, al. 1er, nouv. N° Lexbase : L2420H9I) précisant que "la convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur" a été introduit dans le Code par une loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8).
(11) C'est, au demeurant, ce qu'autorise l'article L. 2222-1 (anc. L. 132-5).
(12) L'employeur n'avait, à dire vrai, même pas le choix car ce sont les stipulations de la convention collective qui lui commandaient de ne pas en faire application....


Décision

Cass. soc., 19 mai 2010, n° 07-45.033, M. Jean-Claude Bruyère et a. c/ Association Service médical du travail du bâtiment et des travaux publics de la Savoie, FS-P+B (N° Lexbase : A3738EXQ)

Cassation de CA Chambéry, ch. soc., 27 septembre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 132-5 (N° Lexbase : L1370G9M), alors applicable, ensemble l'article 1er de la Convention collective nationale du personnel des services interentreprises de médecine du travail du 20 juillet 1976 étendue par arrêté du 18 octobre 1976

Mots-clefs : convention collective ; champ d'application professionnel ; activité principale de l'entreprise ; dérogation conventionnelle ; validité

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