Réf. : Cass. soc., 29 novembre 2007, n° 06-43.524, Mme Henda Gassoumi, épouse Tahar, F-D (N° Lexbase : A9498DZS)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
La mention sur le contrat de travail que ce contrat s'exécutera au siège de la société n'exclut pas que les parties aient pu convenir d'un mode d'organisation du travail de la salariée en tout ou partie en télétravail. Peut valablement prendre acte, aux torts de son employeur, de la rupture du contrat de travail la salariée, privée par son employeur des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions. |
1. La valeur juridique du télétravail contractuel
Même si la loi n'a pas encore consacré le télétravail comme mode d'organisation du travail à part entière, cette pratique, de plus en plus répandue, dispose depuis l'accord-cadre européen du 16 juillet 2002 et, surtout, depuis l'accord étendu du 19 juillet 2005, d'un cadre conventionnel (1).
La mise en place du télétravail, soit total, soit partiel, passe normalement par la conclusion entre les parties d'un avenant spécifique organisant le nombre de jours par semaine où le salarié télétravaille, les modalités de prise en charge par l'employeur du matériel et des frais afférents, éventuellement les modalités de retour du salarié à une organisation plus traditionnelle du travail (2).
Cette organisation contractuelle du télétravail a été consacrée en tant qu'élément essentiel du contrat de travail ne pouvant être modifié unilatéralement par l'employeur.
Dans un premier arrêt en date du 2 octobre 2001, la Cour de cassation avait considéré que le fait de supprimer le bureau du salarié dans l'entreprise et de lui demander de l'installer à son domicile constituait une modification du contrat de travail (3).
Dans une autre décision rendue le 13 avril 2005, la Cour de cassation avait considéré que la suppression de la faculté reconnue au salarié de réaliser son travail administratif à son domicile, un jour par semaine, constituait, également, une modification de son contrat de travail (4).
Cette jurisprudence a été reprise et synthétisée dans un arrêt du 31 mai 2006 autour du critère de l'"organisation contractuelle du travail" qui ne peut être modifiée unilatéralement par l'employeur (5).
C'est cette jurisprudence qui se trouve confortée par ce nouvel arrêt en date du 29 novembre 2007.
Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en qualité de directrice technique et administrative selon un contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel. Un avenant avait été, par la suite, signé entre les parties, prévoyant la mise en place d'un temps complet, la salariée exerçant une partie de ses activités à son domicile grâce au matériel installé par son employeur. Ce dernier ayant décidé unilatéralement de mettre un terme au télétravail et de reprendre le matériel mis à sa disposition, la salariée avait saisi le juge des référés de différentes demandes et avait, finalement, pris acte, aux torts de l'employeur, de la rupture du contrat de travail et réclamé au conseil de prud'hommes des dommages et intérêts sanctionnant, notamment, la rupture sans cause réelle et sérieuse.
La cour d'appel de Bordeaux l'avait déboutée de l'ensemble de ses demandes au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un quelconque engagement de l'employeur à lui permettre de travailler à son domicile, singulièrement parce que le contrat de travail écrit n'y faisait pas référence.
Alors que l'on pouvait s'attendre à ce que la Cour de cassation rejette le pourvoi en se fondant sur le pouvoir d'appréciation souverain des juges du fond, l'arrêt est, au contraire, cassé, pour violation de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Cour relevant que "la mention sur le contrat de travail que ce contrat s'exécutera au siège de la société n'exclut pas que les parties aient pu convenir d'un mode d'organisation du travail de la salariée en tout ou partie en télétravail".
Ce n'est donc pas parce que le télétravail n'a pas été gravé dans le marbre contractuel que les parties n'étaient pas convenues de cette forme d'organisation du travail, les juges ne devant pas s'arrêter, pour déterminer les éléments essentiels du contrat de travail, aux seules stipulations écrites du contrat.
Ce faisant, la Cour de cassation confirme sa conception matérielle, et non formelle, du contrat de travail qui ne s'arrête pas à l'instrumentum mais couvre plus largement, et plus informellement, toutes les pratiques convenues des parties (6).
Ce dépassement du strict cadre écrit du contrat interdit, par conséquent, aux juges du fond de s'en tenir aux clauses écrites par les parties et les contraint à sonder plus largement leurs relations de travail pour y déceler les preuves empiriques d'autres accords informels.
Cette jurisprudence est parfaitement justifiée. Sauf pour les contrats de travail spéciaux, la loi n'impose pas, en effet, la rédaction d'un document contractuel écrit. Même si le recours à l'écrit présente de nombreux avantages, il n'est donc pas systématique. Les parties qui ont conclu, lors de l'embauche, un contrat ne songent, d'ailleurs, pas nécessairement à signer des avenants à chaque fois que l'un des éléments essentiels du contrat est modifié ; dans ces conditions, rechercher la réalité du contrat de travail dans la pratique des parties paraît plus conforme à la réalité, et plus juste.
2. L'obligation faite à l'employeur de laisser au télétravailleur ses outils de travail
Cet arrêt en date du 29 novembre 2007 présente un autre intérêt car il démontre que le salarié est, non seulement, protégé contre les modifications que l'employeur pourrait apporter au contrat de travail mais, également, contre toutes les pratiques qui pourraient rendre l'exécution effective de celui-ci impossible.
Dans cette affaire, en effet, l'employeur avait décidé de mettre un terme au télétravail en retirant à la salariée le matériel jusque-là mis à sa disposition. Il ne s'agissait donc pas, à proprement parler, d'une modification du contrat de travail, mais plutôt d'un moyen de contrainte plus insidieux destiné à la faire plier.
Or, ce procédé déloyal est condamné par la Cour de cassation, qui considère la prise d'acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail justifiée, l'employeur étant condamné pour l'avoir privée "des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses fonctions".
Cet arrêt confirme, ainsi, une jurisprudence bien établie qui impose à l'employeur, non seulement, de payer au salarié le salaire convenu, mais, également, de lui donner les moyens d'accomplir les fonctions qu'il lui a confiées (7). Cette obligation, directement liée à l'exigence de bonne foi qui pèse sur les parties au contrat de travail (C. trav., art. L. 120-4 N° Lexbase : L0571AZ8), impose, par conséquent, à l'employeur d'assurer le salarié qu'il pourra effectivement exécuter son contrat de travail en lui donnant les moyens adéquats pour y parvenir. A défaut, ce dernier pourra soit saisir le juge d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, soit directement prendre acte de la rupture du contrat de travail, et obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les employeurs sont donc prévenus : le télétravail n'est pas un mode d'organisation du travail qui entrerait dans le seul pouvoir de direction du chef d'entreprise, mais une structuration de la production à part entière sur laquelle les salariés sont pleinement en droit de compter.
Décision
Cass. soc., 29 novembre 2007, n° 06-43.524, Mme Henda Gassoumi, épouse Tahar, F-D (N° Lexbase : A9498DZS) Cassation (CA Bordeaux, chambre sociale, section B, 10 novembre 2005) Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clefs : contrat de travail organisation du travail ; télétravail ; modification du contrat de travail. Liens bases : ; . |
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