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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 07 Mai 2015
Que penser de ces débuts plus que timides ? Critiqué de tous bords pour laxisme, dans un contexte d'inflation des peurs et des violences, le Gouvernement ne se risquera pas à défendre outre mesure l'humble bilan de cette révolution philosophique en matière de peines pénales, alors que l'on apprend, dans le même temps que la population carcérale dévisse de 3 % sur un an, passant de 68 859 à 66 761 personnes, soit 2 098 détenus de moins. La même étude d'impact prévoyait une baisse de 4 000 détenus en moins de trois ans : cet objectif est, lui, déjà à moitié rempli...
Donc, si les prisons ne se vident pas pour cause de peines alternatives prononcées pour les nouveaux prévenus, et si les affaires pendantes demeurent toujours d'un volume conséquent vu la faiblesse des moyens financiers octroyés, quelle est l'origine de cette baisse, plus importante que prévue, du nombre de détenus ? On n'incriminera pas l'indécente, pour l'Etat des droits et libertés, statistique indiquant qu'un décès sur deux en prison est le fait d'un acte de suicide... Ne reste à vrai dire qu'une branche à l'alternative : les remises de peines -encore que l'accès des prévenus à une meilleure défense depuis les prémices de la garde à vue pourrait y être également pour quelque chose-.
On ne compte plus les affaires sordides de tel ou tel criminel relâché de manière anticipée, même avec suivi, et récidivant pour le grand malheur de familles endeuillées, provoquant l'ire des citoyens justiciables et ordonnant l'adoption de lois émotives ou de circonstance.
Ainsi, la tendance, celle au prononcé presque confidentiel de contraintes pénales, n'est sans doute pas prête de changer. Après l'affaire "d'Outreau", pour laquelle les juges devaient comparaître devant leurs pairs pour leur jugement punitif trop hâtif, l'affaire "Agnès Marin", à l'inverse, pourrait bien les mettre sur la sellette pour ne pas avoir pris la mesure du danger que peut constituer une mesure éducative non ou mal encadrée d'un mineur clairement dangereux, mais pour lequel la prison n'a pas semblé l'évidence ni pour le juge, ni pour l'expert. Il est à craindre que, sa responsabilité de plus en plus recherchée, le juge abandonne progressivement son intime conviction pour ne s'en remettre, d'ailleurs, qu'au chapitre de la loi ou à l'exclusive voix de l'expert.
Un rapport de la commission de réflexion sur l'expertise, en 2011, avertissait déjà : "ordonnée de façon quasi systématique, l'expertise peut conduire à une véritable délégation de ses pouvoirs par le juge alors qu'elle n'est qu'une modalité, parmi d'autres, d'information du magistrat qui peut confier au technicien une constatation ou une consultation". C'est sans doute cet abus de délégation que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par la famille d'Agnès Marin pourrait ainsi mettre en lumière. On craignait le Gouvernement des juges, celui des experts et l'avènement de la technocratie judiciaire de la preuve est-il plus envisageable ? L'affaire n'est pourtant pas nouvelle, la dévalorisation de la preuve testimoniale a été accompagnée de l'importance croissante de la preuve "scientifique" censée limiter les erreurs d'appréciation. Mais, on peut n'y voir également qu'un transfert de l'intime conviction du juge vers celle de l'expert, surtout dans le cadre d'expertises psychologiques... Entre le Docteur Paul et le Père Joseph, la place de l'expert est parfois difficile à contraindre.
Reste que le triomphe de la contrainte pénale se fait attendre, comme la révolution des mentalités que devrait accompagner du moins le Parquet, chargé d'appliquer la politique pénale gouvernementale. Mais, le triomphe de la prison fut tardif aussi, comme nous l'enseigne Benoît Garnot, dans son Histoire de la justice. D'abord, ce fut la mort, puis conjointement les mesures d'enfermement mais en exil (galères et bagne) et les châtiments corporels, avant que la prison ne devienne la peine universelle à la fin du XIXème siècle ! Mais là encore, il s'agissait d'exclure le "déviant" -pour reprendre le terme sociologique ad hoc- de la société. Le retour à l'assignation à résidence, mesure privilégiée du... Moyen-Age, est loin de faire l'unanimité, contrairement désormais à la peine de prison, faute de pédagogie. "L'habitude est une grande sourdine" écrivait Samuel Beckett dans En attendant Godot.
Il manque peut-être quelque exemple de "Jean Valjean" appliqué à la contrainte pénale pour rassurer les esprits : un de ces exemples romanesques de repentir et de vertu correctrice de la sanction pénale.
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