La lettre juridique n°440 du 19 mai 2011 : Éditorial

Taxe de séjour : ne tirez pas sur l'ambulance !

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N1868BTD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 17 Mai 2012


"Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit".

On comprend que les collectivités locales et singulièrement les communes soient sujettes au spleen, devant le déficit abyssal auquel leurs emprunts toxiques les ont conduites (22 milliards d'euros), un spleen tel qu'elles doivent, désormais, trouver de nouvelles ressources, afin de financer leurs infrastructures. Et, si, avec Baudelaire, elles pensent que nous sommes tous des touristes de la vie, la taxe de séjour est, à n'en pas douter, l'une des ces impositions les plus savamment concoctées pour participer au renflouement budgétaire. La taxe est discrétionnaire, affectée, quasi-indolore et, surtout, elle n'est pas supportée par ceux qui sont amenés à voter localement. Bien qu'elle ne représente que 128 millions d'euros, c'est donc "tout bénéf." pour les élus locaux en quête de nouveaux deniers... Rien de plus sain que de faire payer le touriste en mal de soleil, de neige ou d'expériences sportives ou culturelles, pour qu'il contribue à son accueil. Mais de là à vouloir imposer les patients d'un hôpital, il y a un cynisme -ou une bêtise, on ne sait- qui traduit, certes, un désarroi face à la crise des ressources fiscales et financières, mais également une méconnaissance du champ et de l'objet de la taxe de séjour, ce que le dernier rapport parlementaire en date (11 juillet 2001) souligne en évoquant la complexité et le manque de lisibilité de cette imposition ; ce que confirme le rapport d'information sur l'action de l'agence de développement touristique Atout France et la promotion de la "destination France" à l'étranger, de juin 2011.

Il est donc heureux que la Cour de cassation y ait mis bon ordre, le 3 mai 2012. Les juges du Quai de l'Horloge retiennent que les malades d'un hôpital n'y séjournant pas pour les vertus touristiques de la commune dans laquelle il est situé, cet hôpital n'est pas soumis à la taxe de séjour à raison de ces malades. La commune considérait que la taxe de séjour, que certaines communes sont autorisées à percevoir, concerne toute forme d'hébergement à titre onéreux, à l'exception des colonies et centres de vacances collectives d'enfants et est établie sur les personnes qui ne sont pas domiciliées dans la commune et n'y possèdent pas une résidence à raison de laquelle elles sont passibles de la taxe d'habitation. "Les hôtels sont des refuges où le touriste soigne chaque soir son insatisfaction. D'ailleurs l'hôtellerie maintenant compte en lits, comme les hôpitaux" nous livrait Jean Dutourd. Ainsi, sur la foi de Monsieur l'Académicien, la commune s'engouffrait dans la brèche du 7° de l'article R. 2333-44 du Code général des collectivités territoriales qui fait entrer dans le champ d'application de la taxe, après quelques énumérations, finalement toute forme d'hébergement à titre onéreux. Et, le flou de cette disposition conduit inévitablement à des expérimentations plus ou moins hasardeuses en matière d'établissement et de recouvrement de la taxe.

Encore que, dans le cas présent, la commune s'appuyait certainement sur une ancienne jurisprudence du Conseil d'Etat qui, dans un arrêt du 6 juillet 1956, avait estimé que "les malades séjournant dans les hôpitaux [étaient] redevables de la taxe". Les "Sages" du Palais-Royal avaient, en effet, considéré qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte la nature de l'hébergement mais uniquement les exonérations prévues expressément par la loi. Et, sur la base de cet arrêt, on pouvait donc, tout aussi bien, exiger des établissements pénitentiaires ou des écoles, qu'ils perçoivent la taxe sur les personnes qu'ils hébergent ! C'est donc un revirement de jurisprudence auquel se livre la Cour de cassation, s'attachant à l'esprit de la loi comme à celui de la taxe elle -même : le financement de l'accueil des touristes et des infrastructures liées à leur présence dans la commune.

Impôt acquitté par les touristes au bénéfice des touristes et du développement de la station, la taxe de séjour devrait pouvoir asseoir sa légitimité sur un dispositif clair, une juste répartition de la charge et une totale transparence dans l'utilisation du produit. La poursuite de cet objectif ne peut résulter que de la mise en oeuvre d'une réelle simplification de la loi accompagnée des moyens d'en assurer une application juste, rigoureuse et transparente.

Centenaire, d'inspiration germanique -la Kur-taxe était en vigueur en Allemagne et dans l'empire austro-hongrois, en 1910 (le rapprochement fiscal franco-allemand avant l'heure en somme)-, la taxe n'a fait l'objet d'une profonde réforme qu'en 1988. Et, force est de constater que le tourisme, les besoins de financement des infrastructures et la pression fiscale ont considérablement évolué depuis.

D'abord, si en matière de fiscalité, l'on a coutume de parler d'autonomie, afin de déconnecter l'interprétation fiscale des droits civil, social et des affaires (principalement), le principe de réalisme aurait dû conduire l'administration à ne pas persévérer, du moins jusqu'à conduire l'affaire devant la Haute juridiction, pour tenter de recouvrer cette taxe auprès de l'hôpital contribuable. A l'exception des cures, il semble étrange de considérer un patient hospitalisé comme un touriste. Certes, on y vient avec ses valises, on n'y prend des "photos", "le gîte et le couvert" sont assurés en pension complète, mais le coeur n'y est pas et la visite des différents services hospitaliers est loin d'être une excursion prisée. Tout cela relève du bon sens, mais les finances publiques ont leurs raisons que la raison ne semble pas connaître.

Ensuite, et à la décharge des élus locaux réclamant la perception, il faut dire que le régime de la taxe de séjour, laissé finalement à leur discrétion bien que réglementairement encadré, n'est pas des plus intelligibles, comme avait pu le regretter, il y a plus de 10 ans, le rapport d'information déposé au bureau de l'Assemblée nationale, qui tentait de rechercher les moyens d'améliorer le rendement de la taxe de séjour qui constitue une ressource, certes insuffisante, mais néanmoins nécessaire.

Alors, on ne s'étonnera guère de la "bévue" communale, lorsque l'on sait, par une étude réalisée sur la région Rhône-Alpes (étude réalisée en 1999, à la demande de la région, par le cabinet Architecture et Territoires), que, dans 50 % des cas, les délibérations des collectivités locales relatives à la taxe de séjour ne sont pas conformes à la réglementation. Des cas qui n'ont d'ailleurs pas été sanctionnés par le contrôle de légalité ; des cas "d'arrangement avec la loi" qui ont pu être constatés par le rapporteur de l'Assemblée nationale, dans presque toutes les communes visitées au cours de sa mission. Et, ce dernier d'ajouter que cette situation inévitable, compte tenu de l'état actuel de la législation, explique sans doute la discrétion de l'administration quant aux contrôles de légalité.

Aussi, les conditions de son application en France conduisent à la rendre difficilement praticable par les communes et souvent mal acceptée des professionnels du tourisme. La situation qui en résulte est caractérisée par un rendement de l'impôt très inférieur à ce que la fréquentation touristique permettrait d'espérer (128 millions d'euros recouvrés sur 333 millions d'impôt putatif).

Les pistes explorées pour la recherche d'une amélioration de cette situation amènent immanquablement à reconsidérer le dispositif législatif et réglementaire de la taxe ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel s'exercent certaines formes de locations saisonnières.

Ces préconisations qui datent de 2001 sont pour le moment restées lettre morte : à l'heure de la nécessité du rendement et de l'efficacité de l'impôt, sans parler de son acceptation, au-delà du problème du consentement à l'impôt, la chose apparaît des plus regrettables. Et, tirer sur l'ambulance est loin d'être la solution adéquate...

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