Lexbase Droit privé n°806 du 12 décembre 2019 : Copropriété

[Textes] Les «petites copropriétés» sous ordonnance : fin de l’unicité du statut

Réf. : Ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : Z955378U) ; modifiant la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7)

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par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’IUT de Bordeaux

le 12 Décembre 2019

Attendue par l’ensemble des praticiens du droit de la copropriété, la première étape de la réforme du droit de la copropriété est franchie avec la parution de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019. Cette ordonnance, que le législateur a été habilité à prendre par la loi «ELAN» (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L8700LM8) remanie assez profondément le droit de la copropriété et, particulièrement, le mode d’administration des petites copropriétés et copropriétés à deux. Nous proposons, ici, d’étudier ce nouveau régime, inscrit au chapitre III du titre IV de l’ordonnance.

1. Le statut de la copropriété avait pour vertu l’appréhension d’une diversité de situations par l’application d’un même régime d’administration. Il y avait, ainsi, une corrélation entre statut unique et régime unique. On pouvait, alors, parler d’unicité du statut. Celui-ci offrait le confort d’une pratique unifiée quelle que soit la taille des immeubles ou l’importance des budgets et cette situation était ardemment défendue par une partie de la doctrine, notamment par Pierre Capoulade. Avec le regretté maître s’en est allé le statut unique, qui persistait jusqu’alors malgré certaines atteintes [1]. Mais… depuis quelques temps déjà, les petites copropriétés avaient été décrétées malades [2] et cette maladie aurait consisté en une carence de régime spécifique. Or, cette carence aurait entraîné, «soit une absence de syndic légalement élu, soit une gestion approximative qui n’est pas conforme aux textes légaux et règlementaires, pouvant mettre en porte-à-faux le syndicat de copropriétaires» [3]. Il fallait y remédier.

Le législateur s’est donc penché au chevet de ces syndicats et a prescrit une ordonnance radicale, particulièrement pour les copropriétés à deux. Le régime d’administration de la copropriété est dorénavant plural, puisque le législateur a pensé deux nouveaux régimes, pour les petites copropriétés et les copropriétés à deux, qui ne sont ni optionnels, ni supplétifs. Ils s’appliqueront de plein droit, pour la plupart des mesures qu’ils comportent, sans que les syndicats ne puissent opter pour le régime général. Il ne s’agit, en outre, pas de menues dérogations, mais d’importantes atteintes au régime général relatives, notamment, aux modalités de prise de décisions et d’établissement des comptes. Voyons, donc, si cette cure est digne des médecins de Molière, ou si les instruments employés sont ceux de la modernité !

I - Le nouveau régime d’administration des «petites copropriétés»

2. Le nouveau régime d’administration des «petites copropriétés» a un champ d’application assez large, mais dont les critères alternatifs d’application manquent de cohérence (A). En outre, comme nous le verrons, ce régime dérogatoire est finalement assez décevant du fait de ses effets limités, et pensons-nous, inaboutis (B).

A - Champ d’application défini par des critères incohérents

3. Le nouvel article 41-8 de la loi de 1965, issu de l’article 34 de l’ordonnance, définit le champ d’application du régime dérogatoire selon deux critères alternatifs. Il s’appliquera soit «lorsque le syndicat sera composé de moins de cinq lots à usage de logements, bureaux ou de commerces», c’est-à-dire de lots dits principaux, soit «lorsque le budget prévisionnel moyen du syndicat des copropriétaires sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15 000 euros». L’alternative entre les deux critères est assez étonnante, car le montant de budget prévisionnel retenu est bien supérieur à celui des copropriétés de cinq lots. En outre, la plupart des projets concordaient pour retenir un seuil d’au moins dix lots [4], ce qui paraissait plus cohérent. Est-ce une sorte de concession faite aux représentants des syndics professionnels pour indiquer qu’il ne s’agit que de «petites copropriétés» ? Peut-être, mais le cas échéant, la concession serait un leurre puisque le critère du nombre de lots est alternatif, contrairement à celui qu’avait imposé la loi «ENL» [5] pour déroger à l’obligation de tenir une comptabilité en partie double. Le critère était, alors, plus concordant puisqu’étaient visés les syndicats de moins de dix lots principaux, dont le budget moyen était inférieur à 15 000 euros. Il y avait d’une part concordance et surtout conjonction des critères et non une alternative entre eux. Finalement, ici, le régime dérogatoire pourra concerner des copropriétés de dix, quinze lots ou plus. Le syndicat pourrait ainsi même être constitué d’une trentaine de lots de stationnement sans atteindre le budget de 15 000 euros annuel… Le seul critère opérant sera donc celui du budget, sauf à trouver des copropriétés de quatre lots dont le budget prévisionnel est supérieur à 15 000 euros. Cela peut arriver, bien sûr, mais pour paraphraser Audiard, elles «ne constituent pas la majorité du genre»… Loin de là.

Les copropriétaires, à qui il était parfois difficile d’expliquer le statut unique, seront donc dorénavant confrontés à une administration, pour reprendre les termes de J. Laporte, «à géométrie variable […] suivant les fluctuations du budget prévisionnel» [6]. C’est le problème des effets de seuil, et c’est l’une des raisons pour lesquelles la doctrine estimait, autrefois, que la distinction de régime n’avait pas lieu d’être [7] faute de pouvoir en fixer un seuil satisfaisant. La contrainte n’a pas été levée mais le pas a été franchi. Il reste à en observer les effets attendus.

B - Régime d’administration dérogatoire limité et inabouti

4. Le législateur a, de manière évidente, souhaité encourager le régime de la coopération à travers l’ordonnance promulguée. C’est sans doute une tendance contemporaine, mais ce qui étonne c’est l’innovation du genre par l’instauration d’un régime coopératif sans coopération (1). En outre, pour faciliter l’administration des «petites copropriétés», le législateur a imposé un régime propre (2) limité aux procédures de prises de décisions et d’établissement des comptes.

1°) L’invention du régime coopératif sans coopération

5. Dispense de constituer un conseil syndical. Le nouvel article 41-9 de la loi du 10 juillet 1965 dispense les «petites copropriétés» de constituer un conseil syndical par dérogation aux dispositions des articles 21 et 17-1 de la loi du 10 juillet 1965. Cette nouveauté avait été proposée par la CLCV [8] mais avec une variante qui consistait à faire désigner par l’assemblée générale un «copropriétaire référent», interlocuteur du syndic. Cette mesure vient ainsi transposer la constatation de l’absence régulière de candidats aux fonctions de membre de conseil syndical dans les petites copropriétés. Si la nouveauté est louable en ce qu’elle prend en compte la réalité de la pratique, il faut noter un biais au regard de l’économie globale de la réforme qui était censée promouvoir le conseil syndical dans la copropriété de demain [9].

La mesure adoptée ne précise, en outre, pas si l’élection des membres du conseil devra continuer à être proposée par le syndic à l’assemblée générale. Il faut cependant constater que, jusqu’à présent, tous les syndicats pouvaient -sauf ceux ayant opté pour la forme coopérative avant la présente réforme- déroger à l’obligation de constituer un conseil syndical. Le principe de sa désignation était toutefois la règle, ce qui supposait d’interroger l’assemblée générale à cette fin. En ce sens, la mesure nouvelle qui dispose que «le syndicat n’est pas tenu de constituer un conseil syndical» devrait être analysée non comme la dérogation à l’obligation de constituer un conseil -qui existait déjà- mais comme la disparation de l’obligation elle-même. Le syndic ne devrait en conséquence plus avoir l’obligation de mettre à l’ordre du jour la question de la désignation du conseil syndical, sauf demande expresse d’un copropriétaire. Par cette mesure, le législateur a, nous semble-t-il, ainsi empêché l’application des mesures phares de l’ordonnance relatives au conseil syndical pour près d’un quart des immeubles en copropriété [10]. C’est regrettable puisque cela revient à priver d’effet les mesures de réformes de l’administration du syndicat qui ont doté le conseil syndical et son président de pouvoirs nouveaux [11].

6. Faculté de recourir au régime «coopératif» sans conseil syndical. Le nouvel article 41-11 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit un régime dérogatoire doublement conditionné. Il l’est, d’abord, parce qu’il ne s’applique qu’aux «petits syndicats», et ensuite, parce qu’il ne s’applique qu’aux syndicats ayant adopté la forme coopérative [12]. Dans cette situation particulière, le législateur a envisagé la possibilité de ne pas instituer de conseil syndical… Le syndic, qui dans le régime coopératif est le président du conseil, est alors élu parmi les membres de l’assemblée, comme un syndic non-professionnel du régime non coopératif. Le législateur ajoute -mais c’était le cas avec le «vice-président» dans le régime général-, qu’il est possible de désigner un «suppléant» à ce syndic. L’assemblée générale devra, enfin, désigner une ou plusieurs personnes chargées de contrôler les comptes, copropriétaires ou personnes extérieures qualifiées [13], selon une disposition semblable à celle du régime général prévu à l’article 17-1.

Ainsi, le syndic, copropriétaire mais non membre d’un conseil syndical, administrera le syndicat sans l’assistance et le contrôle général d’un conseil syndical qui n’a pas été désigné, et pourra voir contrôler les comptes qu’il établit par un tiers. Par ailleurs, si les dispositions du décret ne sont pas modifiées -ce qui reste à voir- le syndic bénéficiera des dispositions des articles 27 et 42 du décret du 17 mars 1967, qui lui permettront d’être conseillé par un tiers et de déléguer l’exécution de certaines tâches à des prestataires extérieurs. Mais alors… En quoi ce régime est-il encore coopératif ? La collégialité semble avoir totalement disparu. Fallait-il inventer un tel régime pour se passer d’un syndic professionnel ? C’est assez regrettable, car il pourrait s’avérer être in fine, tout aussi coûteux qu’un syndic professionnel si l’on additionne le coût d’un logiciel pour les comptes, le coût de la prestation de contrôle des comptes par un expert, et celui d’un éventuel accompagnement ou délégation…

Enfin, le dernier alinéa de l’article 41-11 n’apporte rien de neuf puisqu’il s’agit de la reprise des dispositions de l’article 17-1-1, abrogé par l’ordonnance, relatives à la faculté pour un copropriétaire d’une «petite copropriété» administré sous la forme coopérative de convoquer l’assemblée en cas d’empêchement ou de défaillance du syndic mettant en péril la conservation de l'immeuble, la santé ou la sécurité des occupants.

7. Le législateur a, comme il a pu être écrit, cherché à équilibrer la gouvernance dans le régime général en permettant le transfert de certains pouvoirs de l’assemblée au conseil syndical et en renforçant les pouvoirs de contrôle du président du conseil. Il est, donc, étonnant de constater, qu’en même temps, ce même législateur a créé un régime dérogatoire, concernant près du quart des copropriétés, dans lequel le conseil syndical n’est plus obligatoire. C’est à notre sens une incohérence majeure à laquelle s’ajoute un régime dérogatoire de l’administration des petites copropriétés qui n’apportera peut-être pas la simplification tant attendue.

2°) Les nouvelles règles d’administration des «petites copropriétés»

8. Elargissement du champ d’application de la dérogation à l’obligation de tenir une comptabilité en partie double. L’article 41-10 issu de l’ordonnance élargit le champ d’application de la dérogation à l’obligation au régime comptable générale des syndicats de copropriétaires. La mesure se substitue à celle qui figurait à la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 14-3 de la loi de 1965, supprimée par l’article 40 de l’ordonnance. Pour rappel, l’article 14-3 fixait l’obligation de tenir la comptabilité en partie double, mais également une exception, dont nous avons parlé précédemment à propos de son seuil de mise en œuvre. Il était ainsi prévu que, pour les syndicats de moins de dix lots principaux et dont le budget est inférieur à 15 000 euros, le syndicat pouvait ne pas établir une comptabilité en partie double et constater les engagements en fin d’exercice. Dorénavant, la dérogation est prévue au nouvel article 41-10 qui reprend la formulation de l’article 14-3 qui faisait pourtant «figure de repoussoir» [14]. Cet article aura simplement un champ d’application plus large puisqu’il sera applicable aux copropriétés dont le budget est inférieur à 15 000 euros ou de moins de cinq lots, ce qui signifie qu’il pourrait s’appliquer à des copropriétés de quinze lots principaux si le budget est inférieur à 15 000 euros conformément au champ d’application des dispositions relatives aux «petites copropriétés» [15]. Ce n’était pas le cas auparavant, puisque les critères étaient cumulatifs et non alternatifs [16].

Cette mesure reste, toutefois, facultative puisque le législateur a prévu, en reprenant la formule de l’article 14-3, que les syndicats concernés ne «sont pas tenus» de procéder à une comptabilité en partie double et que leurs engagements «pourront» être constatés en fin d’exercice. Les syndicats concernés pourront, donc, choisir de continuer à tenir une comptabilité en partie double. Il est dommage, à ce sujet, comme c’était déjà le cas avec la précédente règle fixée par l’article 14-3, que les modalités de cette dérogation n’aient pas été fixées. Une décision de l’assemblée générale à la majorité simple aurait été une mesure satisfaisante. Il faut, par ailleurs, espérer que le décret n° 2005-240 (N° Lexbase : L0926G8S) et l’arrêté (N° Lexbase : L1293G8E) du 14 mars 2005, relatifs aux comptes du syndicat des copropriétaires seront modifiés afin de déterminer les formes que devra adopter cette comptabilité qui concernera, potentiellement, plusieurs dizaines de milliers de syndicats.

Précisons, également, que si la dérogation vise la date d’établissement et les modalités de tenue des comptes, les autres mesures de l’article 14-3 de la loi du 10 juillet 1965 seront applicables. Ainsi les «petites copropriétés» devront toujours tenir des comptes comprenant le budget prévisionnel, les charges et produits de l’exercice, la situation de trésorerie, ainsi que les annexes au budget prévisionnel. L’ensemble devra être établi conformément aux règles comptables fixées par le décret et l’arrêté du 14 mars 2005. En somme, hormis l’élargissement du champ d’application de la mesure, rien n’a changé et aucune simplification n’est apportée pour ces copropriétés.

Enfin, il faut noter qu’en cas de changement de situation, c’est-à-dire d’augmentation de budget qui ferait franchir le seuil des 15 000 euros, la solution antérieure devrait être maintenue. Une réponse ministérielle [17] avait, en effet, précisé que le changement de situation n’emporterait de conséquences que pour l’exercice suivant dans la mesure où un syndicat ne peut tenir deux comptabilités différentes pour un même exercice. La solution est reprise explicitement, par ailleurs, dans l’ordonnance lorsqu’un modificatif du règlement de copropriété est adopté [18].

9. Possibilité de prendre des décisions hors assemblée générale. Le nouvel article 41-12 de la loi du 10 juillet 1965 introduit la seule véritable nouveauté pour les petites copropriétés. La mesure nouvelle prévoit la possibilité de prendre des décisions en dehors de l’assemblée générale. La CLCV [19] avait proposé une solution assez similaire mais n’avait pas pensé un champ d’application si large, la cantonnant aux travaux urgents. Ici, la dérogation aux dispositions de l’article 17 vise, plus généralement, toutes les décisions à l’exception du budget prévisionnel et l’approbation des comptes. La formulation est donc extrêmement large et semble permettre l’adoption d’un modificatif de l’état descriptif de division, sans le formalisme qui était pourtant érigé comme la protection nécessaire du copropriétaire devant lui permettre, notamment par la transmission des documents préalablement à la réunion ainsi que le délai de 21 jours, de prendre une décision éclairée…. Il devrait, également, être possible de désigner de cette manière le syndic, ce qui pourrait mettre en échec les mesures adoptées par le législateur pour encadrer la désignation et le changement de celui-ci [20], ce qui est une nouvelle contradiction entre l’économie générale de la réforme et les mesures particulières adoptées.

Le législateur devrait, bien entendu, préciser ultérieurement par décret les modalités de cette consultation écrite, notamment le délai que pourra fixer le syndic. Pour la forme, la consultation devrait, sous toute vraisemblance, être constatée par un procès-verbal rédigé à l’issue de la consultation, et celui-ci devrait faire l’objet d’une notification. L’on s’interroge, à ce sujet, sur la possibilité, à terme, pour le syndic d’être rémunéré en complément de cette mission qui s’apparentera à une assemblée générale extraordinaire mais qui n’en est pas une…

L’on s’interroge, enfin, sur la possible contestation de cet accord car, comme nous venons le noter pour les honoraires du syndic, il ne s’agira pas d’une assemblée générale. En conséquence, les dispositions des articles 42 de la loi de 1965 et 18 du décret du 17 mars 1967, relatives au délai de forclusion de la contestation et de la faculté ouverte uniquement aux opposants ou défaillants de contester ne s’appliquent pas puisqu’est expressément visé le «procès-verbal d’assemblée générale» et la notification qui doit intervenir «à compter de l’assemblée générale». Il nous semble, ainsi, qu’un copropriétaire devrait pouvoir, même après avoir donné son accord, saisir le juge afin d’obtenir l’annulation de la décision faute, par exemple, d’avoir été suffisamment informé, particulièrement si la décision emporte des conséquences graves telles que la modification de la répartition des charges… Des précisions sur le régime de contestation possible s’imposent, donc, assez rapidement et la discussion de la loi de ratification pourrait être l’occasion d’y procéder [21], sauf à vouloir ouvrir très largement le régime de la contestation.

10. Les aménagements apportés au régime d’administration des copropriétés, pour les plus petites d’entre elles, apportent des dérogations nouvelles. Il ne s’agit toutefois pas d’un régime pleinement dérogatoire puisque, comme nous l’avons vu, il s’agit pour les règles comptables d’une option. La faculté d’adopter des décisions hors assemblée générale, la suppression de l’obligation de constituer un conseil syndical et l’aménagement du recours à la forme dite coopérative sont, toutefois, autant d’atteintes au régime général, duquel ce régime nouveau se distingue assez nettement maintenant. Néanmoins, comme nous allons le voir, la distinction est encore plus nette dans le nouveau régime que le législateur impose pour les «copropriétés à deux».

II - Le nouveau régime d’administration des «copropriétés à deux»

11. Le nouveau régime d’administration des «copropriétés à deux», qui ne doit pas être confondu avec celui des «petites copropriétés», n’est pas supplétif. Il s’agit d’un régime applicable de plein droit tout à fait dérogatoire au régime général d’administration des copropriétés. Ce régime au champ d’application particulier (A) est nettement influencé par celui de l’indivision. Il opère ici un changement de paradigme : au risque d’immobilisme, le législateur a préféré le risque d’abus, par l’adoption de ce qui pourrait être appelé «la loi du plus fort» (B). Toutefois, afin de tempérer les risques nouveaux de ce régime, le juge se voit doté de pouvoirs renforcés (C).

A - Champ d’application

12. Champ d’application personnel. Contrairement au régime des «petites copropriétés», le critère d’application du régime dérogatoire n’est plus fondé sur le nombre de lots, ni sur le budget prévisionnel, mais sur le nombre de copropriétaires, selon les termes du nouvel article 41-13 de la loi du 10 juillet 1965. Ainsi, un syndicat composé de 200 lots et au budget prévisionnel de 250 000 euros pourra relever de ce régime dérogatoire dès lors que «le nombre de voix est réparti entre deux copropriétaires». Il ne s’agit, donc, pas de régler les difficultés particulières résultant de la taille d’un immeuble, mais celles rencontrées dans la prise de décision entre deux personnes dont les voix étaient nécessairement égales par application, jusqu’alors, de l’article 22, I de la loi du 10 juillet 1965.

La difficulté liée à ce champ d’application peut être de définir ce que l’on entend par «copropriétaire». Plusieurs propriétaires d’un lot sont-ils, au sens de cet article, «un copropriétaire» ou sont-ils plusieurs copropriétaires ? En ce sens, le partage des lots entre deux indivisions, ou entre d’une part une indivision et d’autre part des nus-propriétaires et usufruitiers permettra-t-elle l’application du régime ? La réponse n’est pas évidente car le texte n’envisage pas la «répartition des tantièmes» au sens de quote-part de propriété, mais la «répartition des voix» qui en découle. Toutefois, le droit de la copropriété permet de régler la difficulté car l’indivision, comme le démembrement de propriété, est considérée comme une entité disposant de voix qui ne sont pas elles-mêmes réparties. Ceux-ci doivent, d’ailleurs, être, selon l’article 23, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, représentés.

B - La loi du plus fort comme nouveau mode d’administration des «copropriétés à deux»

13. Le législateur a pensé, sur le modèle de l’indivision, une importante réforme de la prise de décision pour les copropriétés à deux. Celle-ci emporte des dérogations particulièrement importantes aux règles connues par le régime général, puisqu’il sera dorénavant possible de prendre des décisions en «réunion», et en assemblée générale selon des règles de majorité nouvelles (1). Il sera, également, possible pour le copropriétaire disposant du plus de voix de prendre unilatéralement des décisions hors assemblée ou réunion (2). C’est une révolution !

1° Réforme de la prise de décision en «réunion» et assemblée générale

14.1. Réunion sans convocation préalable. Le nouvel article 41-18 1° offre la faculté aux copropriétaires de prendre des décisions selon des modalités simplifiées. Ainsi, l’expression «assemblée générale» ne figure pas au 1° de l’article 41-18. Le cadre de la prise de décision est qualifié de «réunion». Elle sera informelle, puisque sans convocation préalable, et permettra aux copropriétaires de prendre toutes les décisions mentionnées à l’article «41-15» selon les conditions définies par cet article. Il faut ici noter une erreur de concordance, car il s’agit, de toute évidence, de l’article «41-16» qui vise les décisions relevant de la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance, la désignation du syndic, et les décisions de l’assemblée générale relevant de la majorité des voix de tous les copropriétaires. L’article 41-18 vise, en outre, les décisions prises à l’unanimité. Il y a, donc, un «trou de câblage», si l’on nous permet l’expression, dans la mesure où ne sont pas visées les décisions à la majorité de l’article 26, ce qui n’a aucun sens, dès lors que celles relevant de l’unanimité sont permises… Ce qui est vraisemblablement une erreur dans la rédaction de cet article ou de l’article 41-16… La loi de ratification devrait permettre, espérons-le, de lever le doute.

14.2. Convocation d’un copropriétaire par l’autre. L’article 41-18 2° impose un nouveau partage des pouvoirs propres du syndic par l’accroissement des pouvoirs des copropriétaires pris individuellement. L’article 41-18 2° permet, en effet, à chaque copropriétaire, de convoquer l'autre à une assemblée générale en lui notifiant les points à l'ordre du jour qu’il souhaite voir débattus. L’on suppose, en conséquence, que la procédure est identique à celle du régime général : délai de convocation, notification des pièces, etc.. Il s’agit de permettre librement à l’un ou l’autre de réunir l’assemblée lorsque la réunion informelle, que nous venons de voir, n’est pas possible faute de trouver un accord entre les copropriétaires.

L’article précise, en outre, et c’est une autre dérogation au régime général, que chaque copropriétaire pourra ajouter des points à l'ordre du jour sous réserve d'en informer préalablement l'autre. Cette procédure offre ainsi la possibilité de modifier l’ordre du jour jusqu’à la tenue de l’assemblée ce qui était jusqu’alors une cause de nullité de l’assemblée[22].

15.1. Suppression partielle de la réduction des voix du majoritaire. Le mécanisme de réduction des voix du copropriétaire majoritaire n’était pas présent dans la loi de 1938 ni, initialement, dans celle de 1965. Elle fut introduite peu de temps après son adoption, afin d’éviter les abus, par la loi du 28 décembre 1966. Cette règle concernait, alors, tous les syndicats et non seulement ceux composés de deux copropriétaires pour lesquels elle avait fini par être particulièrement critiquée en raison du blocage qu’elle pouvait entraîner. Visiblement sensible à cette situation, le législateur a supprimé partiellement cette dérogation à la règle de proportionnalité des voix à la quote-part de parties indivises dans la copropriété pour les copropriétés à deux. Sont, à la place, introduits des mécanismes de prises de décisions unilatérales qui suivent, au moins partiellement, les préconisations qui avaient pu être formulées par l’ordre des géomètres en 2012 [23], ainsi que les mécanismes d’administration des biens indivis. Ce sont, ainsi, de nouvelles dérogations qui sont faites aux règles de majorité prévues par les articles 24 et 25.

15.2.1. Les décisions relevant de l’article 24 prises par un copropriétaire détenant plus de la moitié des voix. L’article 41-16 1° dispose que les décisions de l’assemblée générale relevant de la majorité simple, ainsi que la désignation du syndic (qui relève de la majorité absolue) pourront être prises par le copropriétaire détenant plus de la moitié des voix. Un copropriétaire disposant ainsi de 501 voix pour 1 000 décidera seul de l’approbation des comptes, du budget prévisionnel, du ravalement de la façade de l’immeuble, de la réfection de la toiture, ou encore de la réalisation par un tiers des prestations de ménage et de gestion des poubelles. Le contentieux de l’abus de minorité en matière de copropriété à deux devrait ainsi se tarir, pour laisser place à celui de l’abus de majorité !

Notons, enfin, qu’en cas d’égalité parfaite entre les copropriétaires, ce qui peut arriver lorsque des droits à construire ont été concédés à parts égales et qu’aucun modificatif du règlement n’a suivi, alors les règles sont inchangées : les copropriétaires devront se mettre d’accord.

15.2.2. Les décisions relatives à la conservation de l’immeuble prises par n’importe quel copropriétaire. L’article 41-16 3° introduit un mécanisme étonnant parce qu’il sous-entend qu’en cas de désaccord entre le majoritaire opposé, et le minoritaire favorable à l’adoption d’une mesure nécessaire à la conservation, la mesure serait adoptée. Le problème que soulèvera cette solution risque d’être épineux dans la mesure où le majoritaire pourra invoquer l’accord de principe sur la mesure mais le désaccord sur les modalités de réalisation. La solution, inspirée des dispositions de l’article 815-2 du Code civil (N° Lexbase : L9931HN7), ne semble en ce sens pas très heureuse, mais se conjugue avec celle de l’article 41-17 permettant de décider une telle mesure hors assemblée générale [24].

15.2.3. Les décisions relevant de l’article 25 prises par un copropriétaire détenant au moins deux tiers des voix. L’article 41-16 2° dispose que les décisions de l’assemblée générale relevant de la majorité absolue (hormis celle de la désignation de syndic) pourront être prises par le copropriétaire détenant au moins deux tiers des voix. Ainsi, un copropriétaire disposant de 667 voix pour 1 000 pourra s’autoriser à effectuer à ses frais des travaux affectant les parties communes, ou décider l’ensemble des travaux comportant transformation, addition ou amélioration, tels que, par exemple, l’implantation d’un ascenseur. A défaut pour un copropriétaire de disposer de ce nombre de voix, les décisions relevant de la majorité de l’article 25 devront être adoptées à l’unanimité, comme c’était le cas sous l’empire de l’ancienne règle.

15.2.4. Absence de dérogation pour les décisions relevant de l’article 26 et de l’unanimité. La règle est inchangée pour les décisions relevant des majorités de l’article 26 et de l’unanimité. Elles supposeront, toujours, que les copropriétaires se mettent d’accord en raison de l’application du mécanisme de réduction des voix. En raison, toutefois, de l’importance des décisions qui sont prises à cet article, la mesure semble justifiée, bien que le législateur ait prévu une passerelle généralisée pour les autres syndicats.

2° Introduction de la prise de décision hors l’assemblée et exécutée sans le syndic [25]

16.1. Faculté de prendre des décisions sans réunion de l’assemblée générale. L’article 41-17 de la loi de 1965 introduit une nouvelle dérogation, importante, et cumulative avec celle précédemment présentée, au régime général. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une dérogation à la dérogation… Il sera, ainsi, permis de prendre toutes les mesures conservatoires, et les décisions mentionnées à l’article 41-16 sans réunion de l’assemblée générale à l’exception du budget prévisionnel et de l’approbation des comptes. Cette faculté diffère de celle prévue pour les «petites copropriétés» dans la mesure où elle nécessite l’acceptation unanime des copropriétaires, alors que, pour les copropriétés à deux, la décision semble pouvoir être unilatérale. Le mode de prise de décision n’est pas précisé, mais se déduit de l’obligation faite au copropriétaire décisionnaire de «notifier» à l’autre. C’est la raison pour laquelle le champ d’application est réduit aux décisions relavant de l’urgence d’une part, et des majorités de l’article 24 et 25 d’autre part. Le champ est réduit, mais reste tout de même assez large, ce qui facilitera certainement la prise de décision qui devra être notifiée par le copropriétaire décisionnaire à peine d’inopposabilité, aux termes de l’article nouveau.

Autre lacune, plus importante cette fois, l’article 41-17 ne précise pas quel copropriétaire pourra prendre la décision hors assemblée générale. En effet, la référence n’est pas faite au mécanisme de l’article 41-16 qui ne permet de déroger aux articles 24 et 25 qu’au copropriétaire majoritaire. L’article 41-17 ne vise que les «décisions mentionnées à l’article 41-16», non le mode d’adoption. Aussi, bien que ce soit à notre sens incohérent, le copropriétaire minoritaire, tout autant que le copropriétaire majoritaire, pourrait, selon la lettre du texte, décider seul des mesures qu’il ne pouvait prendre en assemblée générale : Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus … ! L’article 41-18 fait, au contraire, pour la procédure de décision en réunion sans convocation préalable, référence aux «conditions mentionnées à l’article 41-15» (sic) [26]. Il faut toutefois tempérer cette analyse dans la mesure où la formulation de l’article 41-16, bien que maladroite, semble générale et s’appliquer à toutes les modalités de prises de décision. La solution semble logique [27], mais la rédaction n’est pas claire et soulèvera, ainsi, un problème d’interprétation que la loi de ratification pourrait utilement régler en introduisant au sein de cet article la référence aux conditions de prises de décisions mentionnées à l’article 41-16.

De manière générale, il faut noter que cette mesure avait été proposée par la CLCV [28], dont les propositions ont nettement influencé le projet final relatif aux petites copropriétés. Cette association l’avait envisagé, non pas seulement pour les copropriétés à deux, mais pour l’ensemble des «petites copropriétés». La mesure proposée était justifiée dans son projet par la volonté de favoriser les travaux d’entretien. Heureusement, à notre sens, le projet n’a pas été retenu pour les «petites copropriétés» car il serait devenu extrêmement difficile pour le syndic de tenir la comptabilité de ces syndicats. Nous sommes, toutefois, très dubitatifs quant à la mise en œuvre de cette mesure pour les «copropriétés à deux» : que se passera-t-il lorsqu’un copropriétaire décidera seul d’engager simultanément les travaux de ravalement de la façade, de la cage d’escalier et de la toiture ? La décision unilatérale pourra bien sûr être judiciairement contestée [29], mais cela risque de faire significativement augmenter un contentieux qui était finalement assez rare. Le législateur a préféré un système comportant un risque d’abus plutôt qu’un risque d’immobilisme dénoncé par la pratique. Il restera, donc, à apprécier la solution dans son application et à craindre l’absence totale de formalisme retenue. Ce d’autant que la solution aurait pu être envisagée avec une «dose» d’information préalable telle que la communication de pièces préalablement à la prise de décision. Ici, un copropriétaire majoritaire pourra décider, sans prévenir, de la pose d’un ascenseur. La solution nous semble réellement étonnante, d’autant plus qu’il sera chargé, et non plus le syndic, d’exécuter la décision !

16.2. Exécution des décisions prises hors assemblée par le copropriétaire décisionnaire. Lorsque la décision aura été prise hors l’assemblée générale, le copropriétaire décisionnaire sera chargé, selon l’article 41-17, de son exécution, ce qui est une importante dérogation à la répartition des pouvoirs entre les organes du syndicat. Le syndic est, en effet, en principe, chargé de plein droit de l’exécution des décisions de l’assemblée générale en qualité de représentant du syndicat. Toutefois, ne s’agissant pas d’une décision de l’assemblée générale, que vise l’article 18, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, il ne s’agit pas, stricto sensu, d’une dérogation, mais plutôt d’un nouveau pouvoir, délégué ici de plein droit au décisionnaire. Il est étonnant, à ce titre, qu’aucune assurance obligatoire ne soit imposée à ce dernier, alors que, par ailleurs, le législateur a imposé d’assurer les membres du conseil syndical dans la mesure où chacun pourrait recevoir délégation de l’assemblée de prendre les décisions relevant de la majorité de l’article 24 [30].

17. Contribution aux charges des décisions adoptées unilatéralement. L’alinéa 2 de l’article 41-17 précise que «chaque copropriétaire est tenu de contribuer aux dépenses au titre de ces décisions et mesures proportionnellement aux quotes-parts de parties communes afférentes à ses lots». Il est également ajouté, dans une formulation assez imprécise, que «lorsqu’un copropriétaire a fait l’avance des sommes, il peut obliger l’autre copropriétaire à supporter avec lui les dépenses nécessaires». La mise en œuvre de ces mesures pourra paraître difficile.

Elle pourrait l’être, d’abord, parce que la contribution aux dépenses résulte, en principe, d’un vote en assemblée générale, soit d’un budget prévisionnel soit de travaux dont le montant a été déterminé, suivi par un appel de fonds. Ici, le législateur a prévu la modalité de prise de décision unilatérale, mais non l’appel de fonds corrélatif. Il faudra attendre le décret d’application afin de savoir si cette précision, nécessaire, est faite, sauf à considérer que la notification de la décision et sa non-contestation emporte par elle-même l’exigibilité des charges.

Elle pourrait l’être, enfin, parce que le pouvoir donné au copropriétaire, qui fait l’avance des sommes, d’obliger l’autre à supporter avec lui les dépenses nécessaires ne précise pas les moyens qu’il pourra mettre en œuvre. S’agit-il de recouvrement forcé par voie d’huissier ? D’un pouvoir à agir en justice au nom du syndicat ? D’une action au fond ? De la procédure accélérée au fond ? D’un pouvoir à agir en justice sur le fondement de l’enrichissement sans cause ? Mystère ! Reste à attendre, là également, les précisions qui viendront, espérons-le, avec la modification du décret de 1967.

18. Faculté de délégation de pouvoir du syndic non-professionnel. L’article 41-14 nouveau de la loi du 10 juillet 1965 reprend partiellement la possibilité prévue, pour le régime général des syndicats coopératifs de déléguer à un tiers une tâche, selon l’article 42 du décret du 17 mars 1967 (N° Lexbase : L5545IGH). La mise en œuvre de la délégation est, toutefois, conditionnée, d’une part par la qualité de non-professionnel du syndic, et d’autre part par l’autorisation de l’autre copropriétaire. Il s’agit, en conséquence, comme le précise l’article, d’une dérogation au IV de l’article 18. Cet article prévoit, en effet, que le syndic ne peut se faire substituer, mais qu’il peut déléguer un pouvoir à une fin déterminée sur autorisation de l’assemblée générale à la majorité de l’article 25. La dérogation prévue par le nouvel article 41-14 ne porte, donc, pas sur la faculté de déléguer, qui existe déjà, mais sur la modalité de sa mise en œuvre. Elle reste, toutefois, indéterminée par l’article 41-14, bien que l’on comprenne, par le renvoi qui est fait à l’article 18, que la réunion de l’assemblée générale ne sera plus nécessaire, la règle de majorité n’ayant aucun intérêt ici dans la mesure où les deux copropriétaires sont d’accord et qu’il y a donc décision unanime. Il faudra, toutefois, attendre la modification du décret de 1967 pour connaître les modalités de délivrance de l’autorisation et donc la formalisation de la décision. La forme écrite devrait vraisemblablement être requise afin d’éviter tout litige.

19. Comptabilité démultipliée. Dans la mesure où chaque copropriétaire pourra prendre seul une décision et la mettre en œuvre, chacun sera tenu, selon les dispositions de l’article 41-20 nouveau de la loi de du 10 juillet 1965, de tenir un état des dépenses et créances qui en résulte. Cette mesure, visiblement inspirée de l’article 815-8 du Code civil (N° Lexbase : L9937HND), apparaît quelque peu étonnante puisque le syndicat n’est pas dispensé de syndic, d’une part, ni de tenir une comptabilité, d’autre part. Certes, la dérogation à la comptabilité en partie double, bénéficiant aux «petites copropriétés» devrait s’appliquer dans la majorité des cas [31], mais la tenue d’une comptabilité par un syndic au nom du syndicat, à laquelle s’ajoutera la comptabilité de chacun des copropriétaires promet des difficultés quasi-inextricables.

20. Le législateur a opté pour un changement de régime fondé sur un risque différent, comme nous l’avons dit précédemment. Du risque d’immobilisme, de blocage, le régime adopté opte résolument pour le risque d’abus. Une autre voie, mais sans doute moins politiquement correcte, aurait pu être envisagée par un recours obligatoire à un syndic professionnel, tiers à la relation entre les copropriétaires, auquel auraient été transférés les pouvoirs de l’assemblée générale. Celui-ci aurait, alors, administré le syndic dans l’intérêt collectif de ses membres. Le projet du GRECCO prévoyait, également, une autre voie avec le recours à un «contrat de copropriété» permettant sur option de déroger aux règles de fonctionnement et d’adopter, ainsi, un régime adapté à chaque situation. Le législateur a fait son choix et a prévu, par avance, la résolution des conflits par un recours accru au juge.

C - Le tempérament judiciaire à la loi du plus fort

21. Recouvrement judiciaire contre le copropriétaire-syndic indélicat. Le nouvel article 41-15 semble permettre, de prime abord, de répondre à une hypothèse problématique pour le syndicat et le copropriétaire demandeur : l’absence de syndic ou le conflit d’intérêt, c’est-à-dire le copropriétaire-syndic-omnipotent qui ne paie pas ses charges…  Cette espèce d’action ut singuli est, toutefois, singulière car elle paraît impossible à mettre en œuvre. On s’interroge en effet sur quel fondement l’autre copropriétaire pourra agir. Il lui faudra, en effet, ramener la preuve de l’appel de fonds, puis la preuve de la défaillance, selon la procédure définie par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965. Ainsi, sauf à modifier la procédure et l’alléger considérablement au point d’en faire disparaître l’exigence de la preuve, et les caractéristiques de la créance (liquide, exigible, certaine), l’autre copropriétaire ne pourra jamais faire recouvrer judiciairement contre le copropriétaire-syndic non professionnel «indélicat». C’est toute la limite de ce système qui est ici mise en exergue. Il faudra repenser le régime du recouvrement des charges afin de rendre efficace cette action. En outre, le décret d’application permettra de préciser quelles actions [32] seront ouvertes au copropriétaire demandeur : s’agira-t-il d’une action au fond, d’une procédure accélérée au fond, de référé ? Bien des précisions restent à obtenir pour que cette mesure puisse être efficacement mise en œuvre !

22. Action judiciaire spécifique pour la contestation des décisions prises hors assemblée. L’article 41-19 prévoit pour les «copropriétés à deux» un système de contestation des décisions prises hors assemblée [33]. Selon les termes de l’article, il s’agit d’une dérogation à l’article 42 mais il nous semble s’agir plutôt, en fait, d’une nouvelle action dans la mesure où il ne s’agit pas de contester une décision de l’assemblée générale mais une décision unilatérale d’un copropriétaire. Le reste est semblable au régime de contestation de l’assemblée générale : à peine de déchéance, l’action devra être introduite dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision. Le cas échéant, sauf urgence, l’exécution de la décision prise unilatéralement par l’autre copropriétaire sera suspendue pendant ce délai, identiquement à la suspension prévue par l’article 42, alinéa 3, pour l’assemblée générale.

22.1. Autorisation judiciaire à passer un acte. L’article 41-21 de la loi du 10 juillet 1965 renforce le pouvoir du juge qui pourra s’immiscer davantage dans l’administration du syndicat et se substituer à l’assemblée générale. L’article prévoit, en effet, qu’«un copropriétaire peut être autorisé judiciairement à passer seul un acte pour lequel le consentement de l'autre copropriétaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l'intérêt commun». La rédaction de l’article, inspirée de celle de l’article 815-5 du Code civil (N° Lexbase : L9934HNA) [34], ne vise pas simplement les mesures d’urgence nécessaires à la conservation de l’immeuble mais, plus largement, le péril de l’intérêt commun. La saisine du juge permettra, ainsi, de lever les blocages résultant du refus de l’autre copropriétaire de prendre les décisions qui ne peuvent être adoptées selon les régimes dérogatoires sans une décision unanime. Le péril à l’intérêt commun devrait être dans tous les cas, à l’instar de la procédure prévue en cas d’indivision, souverainement apprécié [35] et obligatoirement recherché [36] par le juge.

Il est également précisé que «l'acte passé dans les conditions fixées par l'autorisation de justice est opposable au copropriétaire dont le consentement a fait défaut», ce qui suppose que le juge précise lesdites conditions ce qui pourrait supposer quelques débats à ce propos, si ce n’est une expertise.

22.2. Intervention judiciaire pour autoriser ou prescrire les mesures urgentes requises par l’intérêt commun. Le nouvel article 41-22 de la loi du 10 juillet 1965, inspiré de l’article 815-6 du Code civil (N° Lexbase : L9935HNB), introduit la faculté pour le juge de «prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun». Le juge pourra, ainsi, se substituer à l’assemblée générale et à ce titre, notamment, selon l’alinéa 2 de l’article nouveau, «autoriser un copropriétaire à percevoir des débiteurs du syndicat ou de l'autre copropriétaire une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l'emploi». La procédure est cette fois partiellement précisée puisque le texte nouveau vise la saisine du président du tribunal judiciaire. On suppose, en conséquence, que la saisine sera faite soit sur requête soit selon la procédure accélérée au fonds. Le décret à venir en fera, nous l’espérons, la précision.

23. Pouvoir du juge d’autoriser l’aliénation d’une partie commune. L’article 41-23 de la loi du 10 juillet 1965 introduit, enfin, le pouvoir pour le juge d’autoriser l’aliénation d’une partie commune, à la demande d’un copropriétaire disposant d’au moins deux tiers des tantièmes, suivant les conditions et modalités définies à l’article 815-5-1 du Code civil (N° Lexbase : L1793IE7). Voici le dernier mécanisme introduit par la réforme et il est aussi inspiré du régime d’administration des biens indivis.

24. Il est difficile, après l’étude de cette réforme, d’en apprécier pleinement l’utilité pour les «petites copropriétés» et les «copropriétés à deux». Il faudra que la pratique éclaire ces mécanismes nouveaux pour savoir si, notamment pour le second cas, le changement de risque est salutaire. Il nous semble, toutefois, que ce changement présente des inconvénients dont celui d’une certaine désorganisation au sein de laquelle le copropriétaire majoritaire fera ce qu’il entend et le minoritaire aura le choix de subir ou d’agir en justice. C’est là, certes, un expédient à la problématique de la règle égalitaire précédemment fixée, mais c’est aussi une source importante de contentieux. Alors que les syndics sont, dorénavant, dans l’obligation de se former et de respecter un code de déontologie, on peut se demander pourquoi leurs pouvoirs n’ont pas été renforcés afin de permettre l’utile intervention d’un tiers dans l’intérêt du syndicat…

Par ailleurs, cette réforme relative aux «petites copropriétés» et «copropriétés à deux» fait assez largement voler en éclat la protection du copropriétaire-consommateur par la suppression de l’information préalable à la prise de décision, pourtant chaque fois renforcée jusqu’alors pour le régime général. Il y a là un problème de méthode car soit le propriétaire a besoin d’être protégé et il doit l’être dans tous les cas, qu’il soit membre d’un «petit» ou d’un «grand» syndicat, ou alors il est suffisamment éclairé, de manière générale, pour prendre des décisions sans ces informations préalables données dans des délais et selon des formes contraignantes.

Ces modifications tendent à montrer les contradictions qui s’accumulent, désormais, dans une loi qui était pourtant belle à son origine. Il faut, alors, le constater : le statut unique de la copropriété n’est plus. Il est multiple tant maintenant les atteintes qui ont été portées sont grandes. Il ne semblait pourtant pas que les petites copropriétés méritaient d’être moins bien protégées que les «grandes»…

 

[1] V° en ce sens J.-M. Roux, Droit de la copropriété : la fin de l'unité ?, Ann. Loyers, janv.-fév. 2015, p. 86 et s. ; Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de l’unicité du statut de la copropriété sous le prisme des lots à usage d’habitation, Loyers et copr., n° 10, octobre 2015, dossier 3.

[2] V° par ex. J.-P. Borel, Les pathologies de la copropriété à deux lots, Rev. Loyers, 2017, n° 979, p. 317 ; A. Delas, De l’inadaptation du régime juridique de la copropriété aux copropriétés horizontales à deux lots, LPA, 27 juin 2017, n° 217, p. 5 ; Ch. Atias, Les pièges de la copropriété réduite à deux lots, IRC 2002, p. 20 ; J.-M. Roux, La copropriété à deux personnes : les difficultés de l’assemblée générale, Ann. Loyers, 2010, p. 2187 ; P. Berlioz, Copropriété : existence de plein droit du syndicat des copropriétaires, RDC, 1er mars 2016, n° 1, p. 126.

[4] CLCV, Copropriété. Les réformes à entreprendre, oct. 2017, proposition n° 4 (prévoyait une dérogation possible, sur décision de l’assemblée générale pour les copropriétés de moins de 15 lots – proposition n°6) ; ARC, « Les 43 réformes que l’ARC suggère au gouvernement en matière de droit sur la copropriété », nov. 2017, proposition de réforme n° 24 ; GRECCO, « Proposition pour un statut des petites copropriétés », art. 9 ; Pour une présentation de ce dernier projet, v° V. Zalewski-Sicard, « La copropriété à deux copropriétaires : une réforme en vue », Gaz. Pal. n° 30, 10 sept. 2019, p. 62.

[5] Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement ; Sur l’apport de la loi ENL à la copropriété v° J. Laporte, « La loi ENL et le statut de la copropriété », AJDI 2006, p. 713.

[6] Ibid..

[7] Cl. Giverdon, «Petites copropriété» : mythe ou réalité, AJDI, 2004, p. 858.

[8] CLCV, Proposition n° 4 : «dérogation à l’obligation d’instituer un conseil syndical, avec possibilité de désigner un copropriétaire référent, interlocuteur du syndic» ; la dérogation existe également en droit belge pour les copropriétés de moins de vingt lots : v° C. civ. belge, art. 577-8/1 § 2.

[9] V° en ce sens, S. Michelin-Mazéran, Entretien avec J.-F. de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du sceau, sur l’ordonnance ELAN, IRC, nov. 2019, n° 653.

[10] Sur les 397 810 syndicats immatriculés à ce jour, 75 345 syndicats sont composés de moins de 10 lots principaux d’après les données du registre de la copropriété du 3ème trimestre 2019.

[11] V° sur ce sujet l’article de M. V. Zalewski-Sicard au présent dossier, Le conseil syndical : un conseil au rôle renforcé après l’ordonnance du 30 octobre 2019, Lexbase, éd. priv., n° 806, 2019 (N° Lexbase : N1576BYZ) ; V° également, P.-e. Lagraulet, Réforme de l’administration des syndicats, AJDI, à paraître.

[12] V° sur la simplification apportée par le législateur pour permettre l’adoption de cette forme la modification de l’article 14, alinéa 2, qui supprime l’exigence d’une mention expresse dans le règlement de copropriété : v° sur ce sujet l’article de V. Zalewski-Sicard au présent dossier, Le syndicat des copropriétaires après l’ordonnance du 30 octobre 2019,  Lexbase, éd. priv., n° 806, 2019 (N° Lexbase : N1561BYH) ; v° également, P.-e. Lagraulet, Réforme de l’administration des syndicats, AJDI, à paraître.

[13] En raison de la formulation similaire à celle de l’article 17-1, les dispositions de l’article 42-1 du décret de 1967 devraient s’appliquer. Ainsi ces personnes extérieures pouvant être désignées seront ou un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, à moins que la modification à venir du décret n’élargisse la liste des personnes pouvant être désignées (pourquoi pas à un syndic professionnel… ?).

[14] Cl. Giverdon, précit..

[15] V° § 3.

[16] Le droit belge connaît une mesure similaire permettant de tenir une comptabilité simplifiée. Le critère d’application est toutefois unique. Le régime dérogatoire concerne les copropriétés de moins de 20 lots principaux. V° C. civ. belge, art. 577-8, 17°.

[17] QE n° 67344, réponse publiée au JOAN Q, 30 août 2005, p. 8191.

[18] V° l’article 38 de l’ordonnance modifiant l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 ; la nouvelle disposition lève, toutefois, une autre difficulté en précisant que la nouvelle répartition sera applicable lors de l’exercice suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive. En effet, à cette date, le règlement peut ne pas avoir été encore publié et n’être donc pas encore opposable aux tiers…

[19] CLCV, précit., proposition n° 4 : «sans remettre en cause le principe d’une assemblée générale annuelle obligatoire et la possibilité pour les copropriétaires de contester les décisions qui y sont prises, validation des résolutions adoptées à l’occasion de réunions « spontanées » dès lors que chaque copropriétaire était présent ou dument informé de sa tenue, pour tout ce qui concerne les travaux urgents».

[20] V° sur ce sujet l’article de V. Zalewski-Sicard au présent dossier, Le syndic : une liberté mieux encadrée et des obligations supplémentaires après l’ordonnance du 30 octobre 2019, Lexbase, éd. priv., n° 806, 2019 (N° Lexbase : N1571BYT) ; v° également, P.-e. Lagraulet, Réforme de l’administration des syndicats, AJDI, à paraître.

[21] Il est assez étonnant que ce régime n’ait pas été envisagé alors que le législateur l’a expressément prévu pour les décisions prises hors assemblée générale pour les «copropriétés à deux», v° infra § 11 et s..

[22] Cass. civ. 3, 7 novembre 2007, n° 06-18.882, FS-P+B (N° Lexbase : A4224DZH).

[23] V° not. sur ce sujet : V. Picard, Adapter la loi du 10 juillet 1965 aux immeubles ne comprenant que deux copropriétaires, Loyers et copr., n° 12, décembre 2012, étude 16.

[24]Infra, § 16.1 et s..

[25] V° également, sur une dérogation par habilitation judiciaire, § 22.1. et s..

[26] Sur l’erreur de numérotation vraisemblable, voir § 14.1.

[27] V° en ce sens, l’article de V. Zalewski-Sicard au présent dossier.

[28] CLCV, précit., proposition n° 4 : «faciliter la réalisation de travaux d’entretien, de conservation des parties communes ou d’urgence en s’inspirant du régime de l’indivision. Permettre ainsi à un copropriétaire de réaliser, à ses frais, les travaux nécessaires et d’en demander ensuite le remboursement aux autres copropriétaires en cas d’obstruction des autres copropriétaires et après mise en demeure».

[29]infra, § 22.

[30] Article 21 de l’ordonnance. V° sur ce sujet l’article de V. Zalewski-Sicard au présent dossier, Le conseil syndical : un conseil au rôle renforcé après l’ordonnance du 30 octobre 2019, Lexbase, éd. priv., n° 806, 2019 (N° Lexbase : N1576BYZ) ; v° également P.-e. Lagraulet, AJDI, précit..

[31] Tous les syndicats à deux copropriétaires ne bénéficieront pas de cette dispense puisque, comme nous l’avons déjà fait remarquer, un syndicat à deux copropriétaires n’est pas nécessairement un syndicat de deux lots…

[32] Pour une étude sur les diverses actions en recouvrement des charges, v° P. Capoulade et D. Tomasin, précit., n° 242.391 et s. ; v° également P.-e. Lagraulet, Stratégie contentieuse de l’avocat en droit de la copropriété, Dalloz avocat, à paraître.

[33] V° sur la lacune pour les «petites copropriétés», § 9.

[34] Et peut-être de l’article 577-9, alinéa 1er, du Code civil belge qui dispose que «§ 4. Lorsque, au sein de l'assemblée générale, la majorité requise ne peut être atteinte, tout copropriétaire peut se faire autoriser par le juge à accomplir seul, aux frais de l'association, des travaux urgents et nécessaires affectant les parties communes».

[35] En ce sens, pour l’indivision, Cass. civ. 1, 8 janvier 1991, n° 89-15.271 (N° Lexbase : A4576AHX).

[36] Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-19.585, FS-P+B (N° Lexbase : A8605IXY).

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