Lexbase Affaires n°348 du 25 juillet 2013 : Sociétés

[Evénement] Le divorce du dirigeant - Compte-rendu de la réunion de la Commission ouverte Famille du barreau de Paris du 13 juin 2013

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 25 Juillet 2013

La Commission "Famille" du barreau de Paris tenait, le 13 juin 2013, sous la responsabilité d'Hélène Poivey-Leclercq, avocat à la Cour, une réunion consacrée au divorce du dirigeant, à laquelle intervenaient Béatrice Vignolles et Axelle Bersagol, avocats à la Cour. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion. Béatrice Vignolles a précisé, en introduction, que le but de la réunion est d'étudier les cas dans lesquels le statut de dirigeant, ou plutôt d'associé de société ou de chef d'entreprise, peut avoir une incidence dans le cadre d'une procédure de divorce et donc quels sont les réflexes que l'avocat doit avoir lorsque l'une des parties est un chef d'entreprise. Si le divorce est la faillite du couple, le but est qu'il ne soit pas également la cause de la faillite de l'entreprise. Il est donc préférable pour l'entrepreneur soit d'anticiper la séparation et de se prémunir contre les effets néfastes pour son entreprise du risque de divorce, soit d'avoir de bons réflexes pour éviter de cumuler la perte du conjoint et de l'entreprise.

L'entrepreneur doit donc mesurer les risques à quatre étapes de la vie :
- lorsqu'il se marie par le choix du régime matrimonial ;
- en cours du mariage lorsqu'il constitue sa société ;
- lors du divorce lorsqu'est fixée la prestation compensatoire ;
- lors de la liquidation du régime matrimonial et que la valeur de l'entreprise ou l'entreprise elle-même doit entrer dans la liquidation.

Au stade du mariage ou en cours de mariage, le chef d'entreprise bénéficie de deux leviers pour se prémunir contre les risques nés du divorce pour son entreprise : l'un par le choix du régime matrimonial, l'autre par le choix de la structure d'exercice de son activité et la forme sociale à adopter.

En fonction du régime matrimonial, l'entrepreneur, au moment du divorce, peut se retrouver obligé soit de racheter les parts de son conjoint au prix, parfois, d'un endettement élevé, soit de céder à un tiers son activité s'il ne peut pas assumer le rachat. Par ailleurs, le conjoint du dirigeant peut, dans certains cas, s'immiscer dans la gestion de l'entreprise et compromettre la pérennité de cette dernière. Dans un régime communautaire, si la société a été créée avant le mariage, elle appartient en propre à celui qui l'a constituée, mais les fruits générés par celle-ci tombent dans la communauté. Toutefois, au moment de la liquidation, des comptes peuvent être dus à la communauté si au cours du mariage certains événements ayant des répercussions sur l'entreprise se sont produits, tels qu'une augmentation de capital. En revanche si l'entreprise est créée pendant le mariage, elle est un bien commun, bien qu'il existe ici quelques subtilités.

Les époux bénéficient d'un pouvoir de gestion concurrente sur les biens de la communauté. Ce principe connaît toutefois deux exceptions : la première est relative au fait que l'époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci ; la seconde concerne les actes les plus graves pour lesquels est consacré le principe de la cogestion. Par ailleurs il faut bien avoir à l'esprit que la communauté répond des dettes contractées par l'un des époux, dès lors qu'elles ne sont pas somptuaires, et notamment des dettes d'origine professionnelle de l'un des époux quand bien même l'autre époux n'interviendrait pas du tout dans la gestion de l'entreprise.

Dans le partage, l'entrepreneur doit demander que l'entreprise lui soit attribuée, ce qui peut, dans bien des cas, l'obliger au versement d'une soulte importante. Il peut, dès lors, apparaître opportun de prévoir, dans le contrat de mariage, une clause excluant les biens professionnels de la communauté.

Le régime séparatiste est donc plus adapté pour le chef d'entreprise.

La forme d'exercice peut être un levier intéressant pour compenser les aspects négatifs du régime matrimonial. Axelle Bersagol rappelle ainsi que l'exploitation individuelle est évidemment à éviter puisque, en cas de régime communautaire, l'époux de l'entrepreneur aura droit à la moitié de l'entreprise. Si une société est constituée au cours du mariage, le risque majeur au moment du divorce est l'irruption du conjoint dans le capital. Afin d'éviter ce désagrément, l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS) prévoit la possibilité pour le conjoint de l'apporteur de renoncer à sa qualité d'associé. Si les parts sociales restent un bien commun, ce qui permet au conjoint d'en obtenir la moitié de la valeur, cette renonciation permet d'exclure totalement le conjoint de la gestion de la société. Il est fortement conseiller de faire renoncer son conjoint ; en effet, l'époux d'un associé peut notifier à la société son intention d'être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises par son conjoint, aussi longtemps qu'un jugement de divorce passé en force de chose jugée n'est pas intervenu (Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-16.371 N° Lexbase : A1917ACY ; Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18.103, F-P+B N° Lexbase : A5136KDL). En ce qui concerne les comptes courants d'associé, il est important de noter que la jurisprudence distingue là-aussi le titre de la finance, puisqu'elle a retenu que l'action en remboursement d'un compte courant d'associé appartient au seul titulaire de ce compte et non à son conjoint, peu important que la somme provenant d'un tel remboursement dût figurer à l'actif de la communauté (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-68.659, FS-P+B+I N° Lexbase : A9580GSM).

Au stade du divorce, les éléments sur lesquels il convient de se concentrer, selon Béatrice Vignolles, sont d'abord les rémunérations du dirigeant qui peuvent soulever la question de la propriété des gains perçus et l'étendue des pouvoirs de l'époux qui la reçoit. Si le dirigeant est salarié de son entreprise, dans le cadre d'un régime communautaire, il n'y a aucun doute sur le fait que les salaires et primes qui lui sont versés constituent un acquêt de la communauté, comme tous les gains et salaires provenant de l'industrie d'un époux. Il en est donc également ainsi de tous les versements provenant de l'épargne salariale. En effet, constituent des revenus professionnels qui alimentent la communauté, dès lors qu'ils sont octroyés pendant l'union matrimoniale, l'intéressement, la participation au bénéfice de l'entreprise et les abondements versés par l'employeur dans le cadre d'un plan d'épargne. De même, les indemnités de licenciement tombent dans la communauté si la créance est née pendant le régime communautaire, la date de notification de la rupture du contrat étant ici l'élément déterminant (cf. Cass. civ. 1, 5 novembre 1991, n° 90-13.479 N° Lexbase : A5190AHP). Les indemnités de départ et les indemnités transactionnelles constituent également des actifs de la communauté (Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 09-65.345, FS-P+B N° Lexbase : A6182ERE).

Concernant les stock-options, une difficulté se présente lorsqu'elles ont été octroyées durant le mariage mais que l'option n'a pas été levée au moment de la dissolution du régime, le bénéficiaire étant seul à pouvoir exerce cette prérogative. La cour d'appel de Paris a apporté certains éléments de réponse dans un arrêt du 7 mai 2004 (CA Paris, 2ème ch., sect. B, 7 mai 2004, n° 2003/04030 N° Lexbase : A2353DC7), dans lequel elle a jugé que si le droit d'exercice de l'option est strictement personnel à l'époux bénéficiaire, la valeur patrimoniale des options, entre dans l'actif de la communauté, dès lors que lesdites options ont été attribuées au mari avant l'assignation en divorce et à condition que l'option ait été effectivement levée par l'époux bénéficiaire. Or, à l'évidence se pose la question de l'information de l'ex-époux non bénéficiaire des options quant à la levée effective des options après le divorce. Il peut alors apparaître intéressant dans le cadre d'un accord de prévoir une clause d'information annuelle sur la question.

En ce qui concerne les bénéfices de la société, Axelle Bersagol rappelle que les distributions pures et simples de dividendes tombent, conformément à l'article 1401 du Code civil (N° Lexbase : L1532ABD), dans la communauté, et ce que les parts sociales soient des biens communs ou des biens propres. Si les dividendes sont affectés en compte courant, ces sommes ne viendront pas enrichir la communauté tant que l'associé n'en demande pas le remboursement. Enfin, si les bénéfices sont mis en réserve (autre réserve ou report à nouveau), leur montant échappe également à la communauté. La Cour de cassation a ainsi jugé en 2006 (Cass. civ. 1, 12 décembre 2006, n° 04-17.486, M. Alexis Saurat, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8997DSZ) que les bénéfices réalisés par une société ne deviennent des fruits ou des revenus de biens propres, susceptibles de constituer des acquêts de communauté, que lorsqu'ils sont attribués sous forme de dividendes. Ainsi, permettent de faire échapper ces sommes au spectre de la communauté l'inscription au compte report à nouveau et l'incorporation des réserves ultérieure au capital pour procéder à une augmentation de ce dernier qui, elle-même, a donné lieu à l'attribution gratuite d'actions lesquelles constituent des accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres ayant eux-mêmes, par application de l'article 1406, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1537ABK), la nature de biens propres. Il faut par ailleurs noter que la mise en réserve systématique du bénéfice pendant sept ans n'est pas abusive dès lors qu'elle a permis le financement de la société sans faire appel à des fonds extérieurs et a ainsi favorisé la progression de la valeur des actions (Cass. com., 23 juin 1987, n° 86-13.040 N° Lexbase : A3946AGA).

Le calcul de la prestation compensatoire est un enjeu, quel que soit le régime matrimonial. Or, l'associé peut être tenté de dissimuler les revenus tirés de sa société, notamment en les affectant en compte courant, afin de fausser le calcul de la prestation. Il est donc conseillé de se faire communiquer les trois derniers bilans détaillés qui mentionnent les comptes courants.

Dans le calcul de la prestation compensatoire va entrer la valeur de l'entreprise. Comme le relève Béatrice Vignolles, celle-ci est particulièrement difficile à déterminer ; il est des cas dans lesquels par exemple la réussite de l'entreprise repose essentiellement sur la personnalité de son dirigeant. Elle rappelle que l'audience la plus importante est l'audience de tentative de conciliation, sachant que les pouvoirs du juge à ce moment sont très étendus. Ce dernier est lié par les demandes des parties. Il est ainsi vivement conseillé de demander, dès le début de la procédure, la nomination d'un expert pour évaluer l'entreprise. Bien entendu, il conviendra d'attirer l'attention du client sur le coût d'une telle expertise, et de la faire pratiquer, en priorité, par un expert-comptable en tant que professionnel qualifié.

Il existe trois grandes méthodes d'évaluation de l'entreprise :
- la méthode dynamique qui détermine la valeur de l'entreprise à partir des résultats futurs ;
- la méthode qui a pour objet de déterminer la valeur de l'entreprise par un multiple d'un agrégat basé sur ses résultats et un multiple résultant de transactions comparables concernant des entreprises du même secteur ;
- la méthode qui a pour objet de déterminer la valeur patrimoniale de l'entreprise.

La première méthode, qui est la méthode du flux de trésorerie actualisé est considérée par les praticiens comme étant la méthode fondamentale. Elle repose sur le principe selon lequel une entreprise est valorisée plus sur son avenir que sur ses résultats passés. Elle consiste à évaluer l'actif économique de l'entreprise par la somme des flux futurs après l'impôt actualisé à un certain taux qui est usuellement dénommé par souci de simplification, le taux d'actualisation.

La deuxième méthode, appelée méthode des multiples, est une méthode comparative fondée sur le principe selon lequel une entreprise qui doit être cédée doit être évaluée globalement, par un multiple de sa capacité bénéficiaire et que le marché de cession d'entreprise est un marché cohérent de sorte que les comparaisons qui en découlent s'en trouvent justifiées.

La troisième méthode, dite méthode patrimoniale, a pour objet de déterminer l'actif net réévalué de l'entreprise, en prenant en compte le passif afin de donner la valeur réelle de l'entreprise, laquelle peut être, pour diverses raisons, différente de la valeur comptable.

Les chefs d'entreprises acceptent difficilement que la valeur de l'entreprise qu'ils ont créée entre dans la base du calcul de la prestation compensatoire. Se pose en effet la question de savoir en quoi la valeur de l'entreprise est une source de disparité au regard de l'article 270 du Code civil (N° Lexbase : L2837DZ4) en plus des revenus qu'elle génère. La méthode d'évaluation joue donc un rôle crucial : il est impératif que celle-ci soit suffisamment pérenne pour que l'entreprise soit qualifiée de patrimoine dont l'exploitation serait susceptible d'entraîner une disparité dans les conditions de vie au moment où le juge devra fixer le montant de la prestation compensatoire. Ce n'est pas l'existence même d'un patrimoine qui est source de disparité mais les revenus qui en sont tirés. La société dirigée par l'un des époux ne peut en effet constituer qu'un outil de travail.

Bien sûr, le montant de la prestation compensatoire et le degré de prise en compte du patrimoine professionnel dépendra également de la méthode de calcul de la prestation choisie. Ainsi la méthode de calcul du notaire-expert Axel Depondt intègre-t-elle, par exemple, le patrimoine professionnel au même titre que les autres éléments d'actifs.

Au stade de la liquidation du régime matrimonial, Axelle Bersagol relève que le dirigeant de la société dont les titres font partie de l'actif de la communauté va souhaiter que ces derniers lui soient attribués. Lorsqu'il s'agit de titres non-négociables, en application de la distinction du titre et de la finance, l'indivision post-communautaire ne portera pas sur les parts sociales elles-mêmes, mais sur leur valeur. Le dirigeant conservera donc ses parts de sa société sans que le conjoint puisse y prétendre, sous réserve bien évidemment, qu'il puisse indemniser son ex-époux. Si les titres sont négociables, en revanche, le conjoint pourra demander l'attribution de la moitié des parts en nature. Le chef d'entreprise, qui souhaite s'y opposer, pourra former une demande d'attribution préférentielle en application de l'article 831 du Code civil (N° Lexbase : L9963HNC) qui prévoit expressément que la possibilité de demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d'entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d'une telle entreprise, à l'exploitation de laquelle le demandeur participe ou a participé effectivement.

L'indemnisation du conjoint peut être particulièrement lourde pour le dirigeant qui pourra alors recourir à l'emprunt pour conserver sa société. Si le dirigeant n'a pas la capacité de s'endetter personnellement, Axelle Bersagol conseille la création d'un LBO qui permet de faire supporter la dette par une holding qui remboursera l'emprunt par la remontée des bénéfices.

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