La lettre juridique n°520 du 21 mars 2013 : Bancaire

[Textes] La transposition de la Directive "monnaie électronique 2" par la loi du 28 janvier 2013 : enfin un statut pour la monnaie électronique ? - Partie I : l'extension de la définition et du champ d'application de la monnaie électronique

Réf. : Loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (N° Lexbase : L0938IWN)

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[Textes] La transposition de la Directive "monnaie électronique 2" par la loi du 28 janvier 2013 : enfin un statut pour la monnaie électronique ? - Partie I : l'extension de la définition et du champ d'application de la monnaie électronique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8038015-la-lettre-juridique-n-520-du-21-mars-2013
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par Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris, Armide Avocats

le 21 Mars 2013

L'économie et les échanges sont régulés par des opérations de paiement. Tous les acteurs de ce système, particuliers ou entreprises, utilisent chaque jour la monnaie comme instrument de ces échanges qui ponctuent la production et l'existence même d'un système économique et commercial. Doucement mais sûrement, l'économie évolue avec le développement des nouvelles technologies et peu à peu, l'échange traditionnel parti du troc, transitant par les espèces puis par la passation d'écriture, voit se développer la dématérialisation du sonnant et trébuchant. C'est cette révolution attendue, relativement silencieuse mais certaine que vient marquer la transposition de la Directive "monnaie électronique 2" (Directive 2009/110/CE 16 septembre 2009, concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements N° Lexbase : L8543IE7) dans le droit français par la loi du 28 janvier 2013. Après presque deux années de retard dont le Sénat précise, non sans argutie politique dans son rapport, que "le précédent Gouvernement a fait preuve d'un singulier manque d'anticipation" (rapport n° 247 (2012-2013) de M. Richard Yung, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 décembre 2012), après menace de la Commission européenne fin avril 2012 de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour défaut de transposition et exposition à de lourdes sanctions financières, le droit français vient de créer un statut pour les établissements de monnaie électronique et une nouvelle définition de la monnaie électronique. Décryptage en deux parties : cette première partie consacrée à l'extension de la définition et du champ d'application de la monnaie électronique, la seconde partie ayant trait à la création d'un statut autonome pour les établissements de monnaie électronique (lire N° Lexbase : N6252BTQ).

I - La monnaie électronique envisagée comme nouvel instrument de monnaie scripturale

L'opération de paiement est définie à l'article L. 133-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4786IEY) comme l'action consistant à verser, transférer, ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire. L'opération de paiement se fait par la monnaie qui en France est l'euro (C. mon. fin., art. L. 111-1 N° Lexbase : L9700DYW). La monnaie est un instrument de référence permettant de fixer un prix aux biens et services échangés, par le biais de l'opération de paiement, dans un système économique donné.

La monnaie se subdivise en deux catégories, unités de valeur : la monnaie fiduciaire (les pièces métalliques -C. mon. fin., art. L. 121-1 et s. [LXB= L2611HWM]- et les billets de banque -C. mon. fin., art. L. 121-1 N° Lexbase : L9722DYQ et s.-), dont il est intéressant de rappeler qu'elle est protégée par le droit d'auteur (C. mon. fin., art. L. 123-1 N° Lexbase : L3109G9Z) et la monnaie scripturale (le chèque -C. mon. fin., art. L. 131-1 N° Lexbase : L3316HIN et s.-, la lettre de change et le billet à ordre -C. mon. fin., art. L. 132-1 N° Lexbase : L4784IEW et s.- et les "autre instruments de paiement" dont le virement et le prélèvement, dits opérations de paiement associées à un compte de paiement -C. mon. fin., art. L. 314-1, 3° N° Lexbase : L4861IER).

Ainsi, afin de matérialiser le paiement, le payeur utilisera un instrument de paiement qui sera matériel (les espèces) ou dématérialisé (monnaie scripturale). Parmi cette classification classique des instruments de paiement s'est insérée la monnaie électronique.

Créée en 2000 par la Directive "monnaie électronique 1" (Directive 2000/46 du 18 septembre 2000 N° Lexbase : L8033AU3), quelques mois après la Directive "commerce électronique" (Directive 2000/31 du 8 juin 2000 N° Lexbase : L8018AUI), la monnaie électronique constitue un instrument de paiement issu de la pratique des échanges dématérialisés (cf. nos obs., Etablissements de paiement et monnaie électronique : panorama 2012 des paiements dématérialisés, Lexbase Hebdo n° 290 du 29 mars 2012 - édition affaires N° Lexbase : N0995BTZ).

Définie à l'origine comme "substitut électronique des pièces et billets de banque, qui est stocké sur un support électronique tel qu'une carte à puce ou une mémoire d'ordinateur et qui est généralement destiné à effectuer des paiements électroniques de montant limités", la monnaie électronique devait se substituer aux espèces par le biais d'un stockage dématérialisé sur un support électronique (puce).

Introduite en droit français en 2003 (arrêté du 10 janvier 2003, portant homologation du règlement 2002-13 du 21 novembre 2002 du Comité de la réglementation bancaire et financière N° Lexbase : L1919A9X), la monnaie électronique n'a pas connu le succès escompté, notamment au regard de la faiblesse des montants possibles pour chaque transaction (30 euros) ou de stockage maximum (150 euros). Par ailleurs, les établissements de monnaie électronique (EME) étaient des établissement de crédit limitant leur activité à l'émission, la mise à disposition ou la gestion de monnaie électronique ce qui a rendu le statut propre d'EME très contraignant, ne leur permettant pas d'avoir la totalité des prérogatives des établissements de crédit tout en devant faire valoir le même régime prudentiel. Il n'en existait en France que trois en 2010.

La monnaie électronique n'est donc pas, terminologiquement parlant, une nouvelle sorte de monnaie qui créerait une troisième catégorie de monnaie, mais un nouvel instrument de paiement scriptural permettant de réaliser une opération de paiement, dit aussi service de paiement.

Entre 2000 et 2013, l'économie numérique a littéralement explosé au point de devenir l'un des canaux privilégiés des échanges économiques : l'introduction d'instruments de paiement adaptés répondant par ailleurs aux exigences de sécurité des instruments traditionnels s'est en conséquence rendue de plus en plus nécessaire, et ce alors que depuis 2000, la technologie de la puce est très largement mise en concurrence.

Par la Directive du 16 septembre 2009, l'Union européenne a analysé les failles du marché et établi la Directive "monnaie électronique 2" créant un véritable statut autonome pour les établissements de monnaie électronique, et revoyant une grande partie des freins qui avaient paralysé le développement de l'économie numérique. L'analyse des considérants de la Directive 2009/110/CE et des travaux parlementaires permet de comprendre la nécessité de la révision de la Directive 2000/46 en ce que notamment "certaines de ses dispositions ont été jugées préjudiciables à l'émergence d'un véritable marché unique des services de monnaie électronique et au développement de services conviviaux de ce type" (considérant 2), tout en poursuivant la volonté de créer "un cadre juridique clair destiné à renforcer le marché intérieur" et à "garantir un niveau adéquat de surveillance prudentielle". (considérant 1)

II - Les apports de la Directive "monnaie électronique 2"

A - Une nouvelle définition de la monnaie électronique (article 2)

La monnaie électronique se définit avant tout comme un pré-paiement et permet un stockage de monnaie dite "traditionnelle" sur un autre support. Il n'y a donc pas au sens propre création de monnaie mais émission d'un instrument dématérialisé de la monnaie traditionnelle permettant de faciliter les transactions dans une économie numérique de plus en plus sectorielle. La monnaie électronique, c'est aussi et surtout le marché de la carte et de la fidélisation du consommateur dans un réseau.

La définition introduite par la Directive du 16 septembre 2009 a ajouté comme support à la monnaie électronique "toute forme magnétique" afin d'anticiper sur les innovations technologiques, là où la Directive de 2000 ne prévoyait que le stockage sous forme électronique.

En outre, la "DME 2" insère une référence expresse à l'opération de paiement telle que définie dans la Directive "services de paiement" 2007/64/CE (N° Lexbase : L5478H3B) et reprise in extenso dans le Code monétaire et financier, élargissant et précisant considérablement le champ d'application de la monnaie électronique. Destinée à remplacer la monnaie fiduciaire par une extension de la monnaie scripturale, la monnaie électronique doit permettre de se substituer aux instruments traditionnels de paiement pour chaque opération de paiement.

La Directive s'est attachée à prévoir une définition claire et neutre permettant une adaptation dans le temps à tout type de support ou d'échange dématérialisé. La monnaie électronique comprend donc :
- des unités stockées sur un dispositif de paiement que le détenteur a en sa possession ;
- des unités stockées à distance sur un serveur et gérées par le détenteur de monnaie électronique, par l'intermédiaire d'un compte spécifique de monnaie électronique.

Il s'agira dans le premier cas, par exemple, d'une carte pré-payée avec puce, permettant d'acheter dans un commerce ou sur internet, et dans le second cas d'un compte Paypal ou similaire, permettant d'effectuer des achats d'e-commerce mais également de cartes pré-payées sans puce, gérées par un serveur dit "compte technique". Ce support ou ce compte virtuel vient se superposer au système bancaire classique des cartes bancaires ou du paiement par ordre passé via la plate-forme dématérialisée de son établissement de crédit et l'utilisation des codes et systèmes d'authentification d'une carte bancaire y afférente.

L'introduction de la forme magnétique permet ainsi de garantir un régime juridique clair aux innovations technologiques traditionnellement matérialisées par la puce électronique : plus que la monnaie électronique, c'est la reconnaissance du secteur des cartes pré-payées.

B - Une clarification des exemptions (articles 1 et 9)

La définition de la monnaie électronique se comprend également à la lumière des exemptions listées de façon exhaustive. Ainsi, certains cas de dématérialisation de la monnaie sont exclus du champ d'application de la Directive.

L'article 8 de la Directive de 2000 prévoyait déjà 3 types d'exemption :
- le montant total des engagements financiers d'une activité commerciale liés à la monnaie électronique ne dépasse pas normalement 5 millions d'euros et jamais 6 millions d'euros ;
- la monnaie électronique reste d'usage "interne" à un groupe et n'est acceptée comme moyen de paiement que par des filiales de l'établissement pour des fonctions opérationnelles ou accessoires ;
- la monnaie électronique n'est acceptée comme moyen de paiement que par un nombre limité d'entreprises soit parce qu'elles se situent dans les mêmes locaux ou une zone locale restreinte, soit parce qu'il existe une relation étroite financière ou commerciale avec l'établissement émetteur.

En outre, la capacité de chargement ne pouvait excéder 150 euros.

L'article 9 de la "DME 2" vient considérablement préciser le champ d'application de la première hypothèse en fixant un plafond de 5 millions d'euros et en laissant à chaque Etat la liberté de fixer le plafond de stockage maximum ainsi que les règles de surveillance prudentielle et d'historique des volumes.

Les deux autres hypothèses sont de nouveau prévues, cette fois par renvoi à la Directive "services de paiement" : selon l'article 3 k, sont de la monnaie électronique mais ne tombent pas sous le champ d'application de la "DME 2" les chèques papier et notamment les chèques de voyage ou les titres de service. Le considérant 5 de la "DME 2" précise ainsi qu'il s'agira par exemple d'un chèque cadeau utilisable dans un magasin donné ou une chaîne de magasins donnée, une carte d'enseigne, carte d'essence, carte de membre, carte de transport, carte ou chèque de titre-repas ou titres de services (et ce afin d'encourager le recours à ces instruments pour atteindre les objectifs fixés dans la législation sociale, lorsque ces titres sont régis par un régime juridique spécifique).

Sur ce point, la problématique des tickets-restaurants reste sous étroite surveillance de la Commission. En effet, ces titres permettent de plus en plus de régler différents achats notamment alimentaires, sans restriction évidente à une chaîne de distribution. La Directive précise ainsi que "l'exclusion du champ d'application de la présente Directive devrait cesser si un tel instrument à portée spécifique devient un instrument à portée générale", ce qui se comprend aisément au regard du régime prudentiel imposé aux EME et aux entorses prévisibles à la concurrence. La nuance peut être fragile, à la lecture des textes, entre un réseau clairement défini dans l'espace ou le volume, et un secteur, par exemple toutes les entreprises de l'alimentaire seulement.

Enfin une troisième hypothèse est insérée, prévue à l'article 3 l) de la Directive "services de paiement" : lorsque les opérations de paiement sont exécutées au moyen d'un appareil de télécommunication ou d'un autre dispositif numérique ou informatique, lorsque les biens ou les services achetés sont livrés et doivent être utilisés au moyen de ces supports, à condition que l'opérateur du système n'agisse pas uniquement en qualité d'intermédiaire entre l'utilisateur du service de paiement et le fournisseur de biens et services.

Il s'agira ainsi d'une plus-value apportée par l'opérateur comme système d'accès, de recherche ou de distribution via un téléphone mobile ou un ordinateur.

Ce secteur est également sous haute surveillance européenne en ce que les opérateurs téléphoniques proposent de plus en plus l'achat de services via la facture globale de télécommunications comme la location de films, les sonneries par sms...Tant que l'usage en est fait de façon interne et que le service est utilisable à travers le canal d'achat, ces opérations de paiement ne seront pas considérées comme entrant dans le champ d'application de la Directive.

La captation sectorielle par la monnaie électronique en fait un instrument très porteur pour toutes les entreprises offrant un terminal de paiement ou une fidélisation par carte, par exemple, de sorte que le marché de la monnaie électronique devient aussi hétérogène qu'il existe de grandes enseignes. La notion de réseau fermé est en conséquence essentielle pour préserver de toute entorse à la concurrence. Ce système d'exception permet néanmoins de développer et faciliter les échanges économiques sectorisés, sans avoir à répondre d'un régime prudentiel encore très lourd. Il met en exergue l'activité à titre principal d'émission de monnaie électronique, d'une part, et celle accessoire à une activité commerciale classique qui peut s'en trouver plus attractive et facilitée, d'autre part.

Cette hétérogénéité peut néanmoins trouver des limites pratiques, le consommateur préférant un usage traditionnel d'une seule carte bancaire plutôt que de dizaines de cartes de fidélité liées à chaque réseau de consommation. C'est certainement la politique tarifaire qui fera une différence à terme, bien que sur ce point, les réseaux devant s'appuyer sur un établissement de crédit ou de monnaie électronique, doivent reverser des commissions liées aux transactions, qui réduisent ainsi leur marge de bénéfice. Il convient en conséquence de bien distinguer la carte de paiement, type crédit à la consommation, de la carte pré-payée, support de monnaie dématérialisée, s'apparentant davantage au chèque-cadeau.

C - L'émission en contrepartie d'une obligation de remboursement, comme facteur de confiance et sécurisation du pré-paiement (article 11)

A la différence d'un établissement de crédit, l'établissement de monnaie électronique ne peut recevoir de fonds du public et en disposer. De ce fait, les EME bénéficient d'un régime prudentiel aligné sur celui des établissements de paiement, partant moins contraignant que les banques. En contrepartie et afin de garantir la confiance du consommateur, l'émission de monnaie électronique est assortie d'une obligation renforcée de remboursement :
- à valeur nominale, c'est-à-dire à hauteur du même montant que celui qui a été versé pour créditer le support dématérialisé ou le compte ;
- à tout moment, sans possibilité de convenir d'un seuil minimal de remboursement ;
- à titre gratuit.

Afin de garantir une concurrence équitable entre établissements de crédit et établissements de monnaie électronique, ces dispositions visent à sécuriser la protection des fonds des détenteurs de monnaie électronique.

Néanmoins, le contrat conclu entre l'émetteur et le détenteur peut prévoir des frais de remboursement, à condition qu'ils soient clairement précisés, que le remboursement constitue un défraiement proportionné et déterminé en fonction des coûts, sous réserve de la législation nationale en matière fiscale ou sociale. Ces informations constituent l'information pré-contractuelle du consommateur.

En outre, le remboursement ne peut être sollicité que dans trois conditions alternatives :
- il est demandé avant l'expiration du contrat ;
- le contrat spécifie une date d'expiration et le détenteur a mis fin au contrat avant cette date ;
- le remboursement est demandé plus d'un an après la date d'expiration du contrat.

Ces dispositions ont particulièrement intéressé les professionnels du chèque-cadeau ou du coffret cadeau, qui tomberaient sous le coup de l'application de la Directive : la plupart des consommateurs n'utilisent pas le bon cadeau qui leur a été offert, souvent valable une année, ce qui constitue pour les commerçants partenaires et pour le distributeur une trésorerie non négligeable. Une obligation de remboursement, qui n'est cependant pas prescrite, modifierait particulièrement le business-model de ces industries. C'est tout l'intérêt, pour ces industries, de rester exclues du champ d'application de la directive.

A noter que dans la loi de transposition, il est renvoyé à un décret qui fixera la liste exhaustive des titres spéciaux ne relevant pas de la "DME 2", ces titres échappant en conséquence à l'obligation de remboursement prescrite par la "DME 2" et le Code monétaire et financier. L'industrie du chèque papier dématérialisé est, en conséquence, en attente de ce décret qui pourrait fortement modifier l'économie de leurs activités.

L'article 4 de la "DME 1" était extrêmement succinct et prévoyait un montant minimal de remboursement ne pouvant être supérieur à 10 euros et des modalités précises de remboursement, en espèces ou par virement. Il convient en conséquence de saluer ces dispositions en ce qu'elles protègent davantage le consommateur ; elles s'alignent sur le droit de la consommation général en matière de services de paiement.

D - La création d'une procédure de réclamation et de recours extrajudiciaire en vue du règlement des litiges liés aux opérations de paiement par monnaie électronique

Sur ce point, la "DME 2" renvoie une fois encore à la Directive "services de paiement" (DSP) et permet un alignement des régimes. La "DSP" (titre IV, chapitre 5) renvoie les Etats membres à mettre en place des procédures permettant aux détenteurs de monnaie électronique de soumettre des réclamations aux autorités compétentes formellement désignées en cas de violation des dispositions légales et contractuelles. Ce régime doit être assorti de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Chaque Etat a l'obligation de communiquer à la Commission le texte des règles prescrites.

III - La transposition en droit français

La Directive européenne nécessite une transposition dans le droit national, chaque Etat étant libre, pour un certain nombre de dispositions seulement, d'adapter les prescriptions européennes aux spécificités de son droit interne. Ainsi, l'analyse de la transposition par le droit français de la Directive permet notamment de mettre en exergue les spécificités du droit bancaire tel que nous l'envisageons dans notre culture économique et juridique.

La lecture de la loi du 28 janvier 2013 est ardue en ce qu'elle constitue une modification alinéa par alinéa de certains articles du Code monétaire et financier ainsi que de quelques dispositions du Code de commerce, du Code de la consommation et du Livre des procédures fiscales. Elle concerne d'ailleurs la transposition d'une autre Directive, dite "Omnibus I" (Directive 2010/78/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 N° Lexbase : L0389IP4) relative aux compétences des autorités européennes de supervision (titre II), la mise en cohérence du Code monétaire et financier avec certains aspects du droit européen en matière financière (titre III) et des dispositions relatives à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique (titre IV).

C'est une première partie, substantielle, qui modifie le Code monétaire et financier, pour ce qui concerne la nouvelle définition de la monnaie électronique sous les thématiques suivantes :
- la monnaie fiduciaire ;
- la monnaie scripturale ;
- la définition de la monnaie électronique et l'instauration d'un régime contractuel protecteur du consommateur ;
- l'alignement du régime de règlement des litiges des EME avec celui des établissements de crédit et de paiement.

La logique française dans le plan même de la loi n'est pas la même que celle de la Directive européenne en ce qu'elle suit chronologiquement les dispositions du Code monétaire et financier. La légistique française continue de stigmatiser les différents intervenants du secteur, marquant un monopole bancaire historique.

A - Un seuil maximal de paiement des transactions

Les premières dispositions de la loi de transposition concernent les modifications du Code monétaire et financier dans sa partie "monnaie fiduciaire", section "interdiction du paiement en espèces de certaines créances". Est ainsi ajouté le moyen tiré de la monnaie électronique : c'est l'une des seules références dans la transposition de la Directive à un montant maximal de paiement par monnaie électronique qui sera fixé par décret, probablement aligné sur celui du montant en espèces.

L'établissement de monnaie électronique pourra effectuer le paiement des salaires par un virement dans le cadre de ses prérogatives liées à la fourniture de services de paiement. A noter que cette prérogative échappe aux établissements de paiement.

B - Monnaie scripturale : monopole bancaire du chèque et section nouvelle liée au remboursement de la monnaie électronique

Dans un premier temps, le Code monétaire et financier rappelle que l'émission de chèque reste une prérogative bancaire et maintient la désignation terminologique de l'établissement de crédit comme "le banquier", marquant une distinction avec les deux autres catégories d'établissement, sortes de "sous-ensembles" que sont les EME et les EP. Ainsi, si l'établissement de monnaie électronique peut encaisser des chèques, il ne peut en émettre, et ne peut en aucun cas les encaisser aux fins d'émission de monnaie électronique, sauf à en être lui-même bénéficiaire (C. mon. fin., art. L. 131-4 N° Lexbase : L9360HDZ). Cette disposition est assortie d'une sanction limitant la responsabilité du préjudice à concurrence du montant du chèque, donc globalement, peu dissuasive.

Le nouvel article L. 131-85 (N° Lexbase : L1274IW4) permet aux établissements de monnaie électronique d'être destinataires des informations liées aux incidents de paiement inscrits à la Banque de France et d'utiliser ces mêmes informations comme moyen de contrôle sur les détenteurs de la monnaie électronique qu'ils émettent.

Dans un deuxième temps, le Code monétaire et financier crée une douzième section intitulée "Modalités de remboursement de la monnaie électronique" dans le chapitre III ("Les règles applicables aux autres instruments de paiement") du titre III ("Instruments de monnaie scripturale). Comme la "DME 2", le Code monétaire et financier instaure un principe de remboursement immédiat, gratuit, à simple demande, assorti des exceptions listées dans la Directive (C. mon. fin., art. L. 133-31 N° Lexbase : L1260IWL). L'article L. 133-36 (N° Lexbase : L1257IWH) prévoit les modalités de remboursement, en espèces ou par virement, comme le prévoyait la "DME 1". L'article L. 133-37 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1258IWI) prévoit la possibilité d'adopter des dispositions contractuelles contraires si le détenteur est un professionnel.

Enfin dans une troisième partie, le Code élargit les prérogatives de la Banque de France dans sa mission de surveillance des établissements dits bancaires (C. mon. fin., art. L. 141-6 N° Lexbase : L1151IWK) et permet désormais aux EME de détenir des comptes à la Banque de France (C. mon. fin., art. L. 141-8 N° Lexbase : L1150IWI)

C - Une transcription fidèle de la définition et du régime de la monnaie électronique par l'insertion d'un régime protecteur du consommateur

L'article L. 315-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1154IWN) reprend désormais la définition européenne de la monnaie électronique comme "valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement définies à l'article L. 133-3 (N° Lexbase : L4786IEY) et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique".

Chaque unité de monnaie électronique dite unité de valeur constitue une créance incorporée dans un titre. Cette créance fonde le droit à remboursement par unité de valeur, que le pré-paiement soit équivalent à des euros ou des unités virtuelles (C. mon. fin., art. L. 315-2 N° Lexbase : L1071IWL). Quel que soit le processus de dématérialisation, en euros ou en unités, sa valeur doit rester nominale et implique un droit à remboursement de même valeur (C. mon. fin., art. L. 315-3 [LXB= L1072IWM]).

Si la définition stricto sensu reprend le même concept d'évolution technologique que la Directive, la création des deux articles suivants renforce la protection du consommateur et prévient des dérives éventuelles liées à l'émission de monnaie électronique : le pré-paiement dit rester gratuit, sauf exceptions contractuelles clairement définies. Cet instrument de protection particulièrement fort vise à encadrer l'activité d'émission et la confiance du consommateur alors que l'EME est soumis à des exigences de fonds propres moindres que celles des établissements de crédit et qu'il ne dispose pas des fonds reçus du public. Ainsi, l'article L. 315-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1073IWN), nouvellement créé, précise que les fonds déposés en contrepartie de monnaie électronique ne peuvent pas recevoir de rémunération quelle qu'elle soit (intérêts ou autres avantages) de sorte que l'opération de pré-paiement ou stockage doit rester neutre pour l'EME et pour le consommateur.

Ces précisions confirment ainsi la distinction, si besoin était, entre les opérations de banque traditionnelles de réception des fonds du public et de rémunération des comptes, de celle des EME qui émettent la monnaie par un simple "échange" entre de la monnaie fiduciaire et/ou scripturale, contre un nouveau support de stockage.

Les nouveaux articles créés par la loi de transposition sous la section 3 "Obligations contractuelles" (C. mon. fin., art. L. 315-5 N° Lexbase : L1077IWS à L. 315-8) reprennent les obligations édictées par la Directive sur l'information précontractuelle liée au remboursement des unités de monnaie électronique, le contrat devant clairement indiquer la méthode de calcul d'éventuels frais de retenue. Ces dispositions viennent s'ajouter à la nouvelle section 12 introduite au Code monétaire et financier, mettant l'accent sur la volonté du législateur d'encadrer clairement l'activité d'émission de monnaie électronique. Ce régime de protection est, par ailleurs, renforcé par l'alignement du système de règlement des litiges liés aux opérations de paiement par la monnaie électronique avec celui adopté pour les établissements de crédit et de paiement.

D - L'alignement du régime de prévention et de règlement des litiges des EME avec celui des établissements de crédit et des établissement de paiement

L'article L. 316-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1078IWT) étend la possibilité d'une médiation gratuite aux établissements de paiement dans leurs litiges avec les personnes physiques. De même, la procédure de contrôle des infractions aux dispositions du Code de la consommation par des agents de la Banque de France est étendue aux établissements de monnaie électronique au regard des dispositions propres liées à leurs obligations contractuelles et notamment le principe du remboursement.

En outre, ce mécanisme de contrôle prévoit davantage de supervision notamment en ce qui concerne par principe le champ d'intervention des agents de la Banque de France sur la prohibition des ententes sur les prix (C. consom., art. L. 113-1 N° Lexbase : L0333ICC), la prohibition de vente de produits ou services donnant droit à une prime (C. consom., art. L. 121-35 N° Lexbase : L3086IQD, dont le pendant est la prohibition de la rémunération ou des avantages liés au pré-paiement telle que fixée au nouvel article L. 315-4 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L1073IWN) ou la vente liée à un volume prédéterminé (C. consom., art. L. 122-1 N° Lexbase : L1288IWM).

Ainsi sont applicables aux établissements de monnaie électronique :
- l'interdiction de la vente ou offre de produits groupés lorsque cette vente peut être dissociable (C. mon. fin., art. L. 312-1-2 N° Lexbase : L4779IEQ) ;
- l'obligation de signer un contrat-cadre en l'absence de convention de compte de dépôt (C. mon. fin., art. L. 314-12 N° Lexbase : L4739IEA) ;
- l'obligation d'information pré-contractuelle (C. mon. fin., art. L. 314-13 N° Lexbase : L4778IEP) ;
- les obligations contractuelles propres aux EME tirées des articles L. 315-6 (N° Lexbase : L1074IWP) à L. 315-8 du Code monétaire et financier.

Le contrat est, en conséquence, érigé en instrument protecteur entre les EME et les consommateurs, utilisateurs non professionnels.

Enfin, autre création de la loi de transposition qui, par une seule phrase vient considérablement aligner les régimes avec ceux des établissements de crédit et de paiement, l'article L. 133-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1273IW3) dispose désormais en son IV que la totalité du chapitre III, "règles applicables aux autres instruments de paiement", s'applique à l'émission et à la gestion de la monnaie électronique, à savoir notamment :
- la définition du donneur d'ordre au paiement dans l'opération de paiement (C. mon. fin., art. L. 133-3 N° Lexbase : L4786IEY) ;
- les dispositifs de sécurité et d'authentification (C. mon. fin., art. L. 133-4 N° Lexbase : L4785IEX et L. 133-15 N° Lexbase : L4859IEP) ;
- le régime applicable aux autorisations de paiement (C. mon. fin., art. L. 133-6 N° Lexbase : L4700IES et notamment le consentement et la révocation de l'ordre ;
- les conditions d'exécution d'une opération de paiement (C. mon. fin., art. L. 133-1).

Cet arsenal de mécanismes de protection de l'ordre de paiement semble relativement important au regard de l'usage traditionnel de la monnaie électronique, notamment pour de faibles montants. En élargissant considérablement le champ d'application de la monnaie électronique, lui octroyant un statut autonome et sans limitation apparente de montant tant de stockage que de paiement, le législateur a aligné les mécanismes de contrôle sur celui des autres instruments de paiement dans une mouvance générale liée à la migration SEPA allant bien au-delà des prescriptions européennes. Ce type d'obligation risque de constituer un frein pratique pour les EME qui cibleraient les supports stockant de faibles montants, destinés à se substituer aux espèces. La pratique nous éclairera sur les éventuelles tolérances institutionnelles afin de ne pas freiner l'émergence de ces nouveaux acteurs d'autant que le secteur reste dans l'attente des décrets d'application de la loi de transposition.

Une fois encore, au même titre que les freins liés à la transposition de la Directive "services de paiement" créant les établissements de paiement par l'ordonnance du 15 juillet 2009, un régime très protecteur semble avoir été favorisé au détriment des contraintes du marché, conférant aux seuls établissements de crédit ou leurs émanations, les possibilités logistiques d'un tel mécanisme prudentiel.

La loi de transposition s'est néanmoins particulièrement attardée sur le nouveau régime des établissements de monnaie électronique, créant un statut autonome alors que jusqu'à maintenant, ils n'étaient que des établissements de crédit limitant leur activité à l'émission et à la gestion de monnaie électronique.

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