Lexbase Avocats n°197 du 2 juillet 2015 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Droit de ne pas s'auto-incriminer et rôle de l'avocat dans le cadre d'une audition libre

Réf. : CEDH, 16 juin 2015, Req. 41269/08 (N° Lexbase : A0128NLC)

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par Aziber Seid Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition professions

le 07 Juillet 2015

Par un arrêt du 16 juin 2015, la CEDH affirme l'importance du droit de ne pas s'auto-incriminer lorsque l'on fait l'objet d'une audition même si la personne est entendue librement. L'absence de contrainte n'étant pas exclusive d'une violation des droits de la défense. Toutefois, elle admet le caractère équitable de la procédure en dépit du non-respect du droit au silence dès lors que l'incrimination ne résulte pas de l'audition visée ; la présence de l'avocat n'étant, par ailleurs, pas exigée par la Cour dans le cadre d'une audition libre. L'assistance d'un avocat, dans le cadre d'une audition du gardé à vue, est indispensable. Elle l'est également dans le cadre d'une audition libre. En Europe, la présence de l'avocat n'est pas systématique dans certains pays alors qu'elle permet d'assurer les droits de la défense de la personne auditionnée en lui rappelant son droit au silence.

La Cour européenne des droits de l'Homme nous place au coeur du sujet à travers un arrêt dont les faits sont les suivants : le 31 juillet 2001, M. S., compagnon de Mme S. poignarda M. O., avec lequel celle-ci était en instance de divorce. Interrogé par la police, M. S. reconnut aussitôt les faits. Le 1er août 2001, la police entendit librement Mme S., laquelle fit des déclarations détaillées. Le 23 août 2001, Mme S. fut arrêtée puis placée en détention provisoire et avoua avoir incité M. S. à commettre un meurtre à l'encontre de son époux. Ses aveux furent confirmés lors de ses auditions ultérieures par la police. Un avocat fut ensuite commis d'office le 5 septembre 2001. Lors de confrontations ultérieures devant le juge d'instruction et en présence de son conseil, la requérante revint sur ses aveux et nia intégralement son implication pour les deux tentatives de meurtre sur son époux. Par un jugement prononcé le 26 février 2004, Mme S. fut condamnée à sept ans d'emprisonnement pour tentative d'assassinat, mise en danger de la vie d'autrui et dénonciation calomnieuse. Elle interjeta appel devant la Cour suprême qui confirma le jugement de première instance. Saisi par Mme S., le tribunal fédéral annula l'arrêt de la Cour suprême cantonale au motif que la requérante avait formulé des aveux, alors qu'elle était en détention provisoire, sans avoir été préalablement informée de son droit de garder le silence. Le 6 juin 2007, un arrêt de la Cour suprême cantonale confirma la culpabilité et la condamnation de la requérante. La juridiction estima que, si les aveux formulés par celle-ci en détention provisoire sans avoir été informée de son droit de se taire ne pouvaient pas être pris en compte, les déclarations qu'elle avait faites en liberté lors de son audition du 1er août 2001, pouvaient quant à elles être exploitées. Mme S. saisit le Tribunal fédéral qui confirma la décision ainsi rendue. Elle déposa alors une requête auprès de la CEDH, invoquant l'article 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) de la Convention, et arguant que son droit à un procès équitable avait été violé car elle n'avait pas été informée par la police de son droit de garder le silence lors de son audition du 1er août. Elle estimait que ces déclarations, qui avaient pu être utilisées ultérieurement, étaient susceptibles de l'incriminer et de porter atteinte aux droits de la défense.

Les juges européens ne lui donne que partiellement raison. Ils réaffirment l'importance du droit au silence sans pour autant exiger la présence de l'avocat (I). Toutefois, ils ne censurent pas la décision dans la mesure où les déclarations faites au cours de la période visée n'ont pas contribué à l'incrimination de la personne auditionnée (II).

I - La garantie du droit au silence sans la présence de l'avocat

Le droit au silence ou le droit de ne pas s'auto-incriminer est reconnu par l'article 6 § 3 de la CESDH. En réalité, il ne s'agit pas d'un principe général de la procédure, mais plutôt d'une règle technique dérivée du droit de se taire et de ne pas s'auto-incriminer admise par la Cour européenne des droits de l'Homme (1). Celle-ci a relevé à ce sujet qu'"il ne fait aucun doute que, même si l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L7558AIR ne les mentionne pas expressément, le droit de se taire lors d'un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable consacré par l'article 6" (2).

En droit français, le droit se taire résulte de l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K), issu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue, tel modifié par la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (1), en vigueur depuis le 2 juin 2014 (N° Lexbase : L2680I3N). En effet, le 3° de l'article précise que la personne est immédiatement informée "du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire". Cette disposition, initialement prévue pour la personne gardée, a été étendue à la personne auditionnée librement et qui, désormais a le droit de se faire assister par un avocat (3).

Ce droit est notifié à la personne par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire. Nul n'est donc besoin de recourir à un avocat pour que la personne privée de liberté soit effectivement informée de ce droit. Toutefois, si la présence de l'avocat n'est pas requise, l'article préliminaire du Code procédure pénale (N° Lexbase : L6580IXY) donne une "garantie" à la personne privée de liberté en soulignant clairement que "en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui".

Ce droit a, comme le relève la Cour européenne, dans l'arrêt commenté, pour but de protéger l'accusé contre une "coercition abusive de la part des autorités et ainsi d'éviter les erreurs judiciaires".

Il ne doit être exigé que lorsque la personne interrogée peut se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la Convention et c'est notamment le cas lorsque son inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité du procès.

Analysant l'espèce, les juges européens relèvent que la requérante était interrogée en tant que personne appelée à donner des renseignements. Aucun élément n'indique que la police aurait eu en sa possession des informations incriminant Mme S. à tel point qu'elle aurait dû être traitée comme une accusée lors de l'interrogatoire et qu'elle aurait, par conséquent, dû être informée de son droit de garder le silence. Par ailleurs, elle n'était ni placée en détention, ni soupçonnée d'avoir commis un crime. Toutefois, relève la Cour, la manière dont l'interrogatoire a été mené, au poste de police, notamment en lui posant la question de savoir si elle avait envisagé auparavant de recourir à la violence contre son époux, était de nature affecter sa position dans la suite de la procédure et il s'ensuit qu'elle peut valablement se prévaloir des garanties de l'article 6 § 1 de la CESDH.

Cette solution est partiellement satisfaisante du point de vue des droits de la défense, car même si la Cour reconnaît, ici, à une personne entendue librement, sans mesure de contrainte, le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 6 de la CESDH (4), en se basant sur la nature des questions posées, elle n'impose pas la présence obligatoire de l'avocat au cours de cette phase. Comme relevé plus haut, le droit français a instauré au profit de la personne, soupçonnée d'une infraction entendue hors procédure de garde à vue, un régime juridique autonome, dont les droits sont calqués sur certains de ceux dont bénéficie la personne placée en garde à vue.

Le droit à l'assistance d'un avocat s'exerce dans le cadre des auditions et éventuelles confrontations avec d'autres personnes mises en cause qu'elles soient libres ou gardées à vue, témoins ou victimes.

Ainsi, la personne soupçonnée entendue librement peut bénéficier, au même titre que la personne gardée à vue (C. pr. pén. art., 62-2 N° Lexbase : L9627IPA), de l'assistance d'un avocat au cours de son audition et, le cas échéant, de sa confrontation, dès lors que l'infraction dont elle est soupçonnée constitue un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement (5).

La Cour aurait pu admettre le droit à l'assistance d'un avocat dès la première audition par la police afin de garantir l'exercice effectif du droit au silence. Il n'en est rien. Pourtant, les faits ont démontré que la présence postérieure de celui-ci avait permis à la à Mme S. d'exercer son droit au silence. Pire encore, la CEDH ne retient pas le caractère inéquitable de la procédure en dépit du non-respect du droit de se taire.

II - L'effectivité d'une justice équitable en dépit du non-respect du droit au silence

La procédure est équitable même si la personne a été auditionnée sans être informée de son droit au silence. La CEDH l'affirme avec véhémence.

On aurait pu penser que le fait de ne pas informer la personne auditionnée de son droit se taire pouvait conduire à l'annulation de la procédure. Ce n'est pas la position qu'adopte la Cour dans cet arrêt.

Elle part, néanmoins, d'un bon postullat en rappelant que le droit de garder le silence et le droit de ne pas s'incriminer soi-même sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable et note que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne saurait raisonnablement se limiter aux aveux de méfaits ou aux remarques de la personne la mettant directement en cause. Il suffit que les déclarations de la personne soient susceptibles d'affecter substantiellement sa position ; les déclarations faites lorsque l'accusé n'est pas informé de son droit de garder le silence et de ne pas s'incriminer lui-même, devant être traitées avec précaution extrême. Il faut examiner si la procédure, y compris le mode d'obtention des preuves, a été équitable dans son ensemble (6).

Cependant, elle partage, sur ce point, l'avis des autorités suisses selon lequel l'interrogatoire ne constituait qu'un élément de preuve de faible importance, estimant que le tribunal fédéral a étayé de manière détaillée et convaincante que la condamnation de la requérante s'était appuyée en particulier sur les dépositions de M. S., considérées comme crédibles et non sur celles de Mme S..

La Cour relève également que la condamnation n'a pas été prononcée sur la seule base des informations obtenues au cours de l'interrogatoire du 1er août 2001 et constate qu'à la lecture du procès-verbal dudit interrogatoire, Mme S. ne s'était pas incriminée à cette occasion et qu'elle a été laissée en liberté.

La solution est classique car la CEDH a déjà retenue une telle solution (7). La Cour de cassation française lui emboîtant le pas, dans le cadre d'une garde à vue, a également affirmée que "le prévenu qui, avant toute défense au fond a sollicité l'annulation des procès de garde à vue faute d'avoir reçu notification de son droit de se taire, ne saurait se faire grief de ce que l'annulation sollicitée n'a pas été prononcée dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, pour le déclarer coupable de l'infraction poursuivie, la cour d'appel ne s'est fondée ni exclusivement, ni même essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de la garde à vue" (8).

Il en résulte que, même si l'audition s'est déroulée sans que la personne concernée soit informée de son droit de se taire, elle n'a pas contribué à justifier la culpabilité de celle-ci et elle ne saurait être annulée en dépit de la violation de l'article 6 de la CESDH.

La position de la CEDH est de ce point de vue contestable. En effet, il parait paradoxal d'admettre, d'une part, que la personne auditionnée même sans mesure de contrainte particulière puisse se prévaloir des droits résultant de l'article 6 de la CESDH et d'autre part, ne pas sanctionner la violation desdits droits parce qu'elle n'aurait pas justifié de façon exclusive ou essentielle sa culpabilité. Les droits de la défense devrait admettre la nullité de toute audition n'ayant pas respecté le droit au silence sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'incrimination résulte ou non de cette audition. La garantie des droits de la défense et l'exigence d'un procès équitable devraient imposer une telle solution.


(1) E. Vergès, Procédure pénale, 4ème éd. Litec, 2014, n° 71. Il est vrai qu'une telle consécration n'est peut-être pas nécessaire. Le droit à ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s'avouer coupable est formellement reconnu aux personnes accusées d'une infraction pénale à l'article 14, § 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (N° Lexbase : L6816BHW). Il est également consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement de l'article 6, § 1 et § 2, de la Convention européenne qui ne le prévoit pourtant pas expressément. Selon la Cour européenne, au stade de la recherche de la preuve, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination est strictement lié au principe de la présomption d'innocence qui interdit à l'accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Voir sur ce point : CEDH, 25 février 1993, Req. 10828/84 N° Lexbase : A6542AW9).
(2) CEDH, 8 février 1996, Req. 41/1994/488/570 (N° Lexbase : A8396AWU).
(3) Cf. la circulaire du 19 décembre 2014, de présentation des dispositions applicables à compter du 1er janvier 2015 (N° Lexbase : L4208I7Y) et nos obs. in L'assistance des personnes soupçonnées et de leurs victimes dans le cadre de l'audition libre, Lexbase Hebdo n° 187 du 5 février 2015 - édition professions (N° Lexbase : N5657BU3).
(4) Il convient de noter que la Cour de cassation avait rejeté l'exercice de ce droit dans le cadre d'une simple mesure d'enquête (Cass. crim., 3 avril 2013, n° 11-87.333, FS-P+B N° Lexbase : A6483KBQ).
(5) Cf. nos obs. in L'assistance des personnes soupçonnées et de leurs victimes dans le cadre de l'audition libre, op. cit..
(6) CEDH, 1er juin 2010, Req. 22978/05 (N° Lexbase : A7686EXX).
(7) CEDH, 29 juin 2007, Req. 15809 /02 (N° Lexbase : A0162NMX)
(8) Cass. crim., 18 septembre 2012, n° 11-85.031, F-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 6871043, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. crim., 18-09-2012, n\u00b0 11-85.031, F-P+B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9758ITL"}}).

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